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Full text of "Catherine de Médicis : ses astrologues et ses magiciens-envoûteurs : documents inédits sur la diplomatie et les sciences occultes du XVIe siècle"

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EX  LIBRIS  %j4 


\ 


WiLBOR.  L.  CRpSS  UiaR^RV 
XJNIVEI^S\Ty  of-  CONNECTICUT 


3  11S3  00553727  1 


EUGENE   BEFR ANGE 


atherine  de  Médîtis 

ses  astrologues 
et  ses  magiciens-envoûteurs 


DOCUMENTS    INEDITS    SUR    LA    DIPLOMATIE 
ET    LES    SCIENCES     OCCULTES    DU    XVI^    SIÈCLE 


AVEC  VINGT    ILLUSTRATIONS 


.  Il  y  à  deux  sortes  de  merveilleux  : 
celui  de  la  science  et  celui  de  la  cré- 
dulité. 

Ancillo  . 


PARIS 
MERGVRE    DE    FRANGE 

XXVI,  RVE  DE  CONDÉ,  XXVI 


'         1. 


JUSTIFICATION'   DU   TIRAGE 


TOUS  droits  de  traduction  et  de  reproduclion  réservés  pour  tous  pay= 


CATHERINE  DE  MÉDIGIS 


DV   MÊME  AUTEUR 


Histoire  de  l  éclairage  des  rues  de  Paris 
(Victor  Lemasle,  éditeur)     ....... 

Vieilles  façades  parisiennes  :  La  Maison  de  Ni- 
colas Flamel  (Victor  Lemasle,  éditeur)    .     . 

Vieilles  façades  parisiennes  :  La  Maison  de 
Mme  GoL'RDAN  (Mercure  de  France  .     .     .     . 

Charlotte  Corday  et  la  Mort  de  Marat  (Mer- 
cure de  France^ 

Bibliothèque  d'un  curieux  :  Singularités  reli- 
gieuses (A.  Noël  et  Chalvon,  édit.).     .     .     . 


1  voL 


A  MONSIEUR  LÉON  MARLET 

Bihliolhécaire  du  Sénal. 


X  Si  j'écris  votre  nckn  en  tête  de  cet  ouvrage, 
mon  cher  Ami,  c'est  parce  que  vous  en  avez  élé 
le  guide  savant  et  sûr.  C'est  parce  que  depuis  de 
longues  années  vous  avez  consacré  toute  votre 
érudition  de  distingué  chartiste  à  l'étude  du 
seizième  siècle  et  des  caractères  si  variés,  par- 
fois même  si  complexes,  qui  en  ont  marqué  tour 
à4our  et  la  grandeur  de  pensée,  et  les  tragiques 
phases.  C'est  enfin  parce  que  vous  avez  été 
l'amical  soutien,  l'encourageant  réconfort  dans 
l'âpre  élaboration  de  cet  ardu  travail,  au  cours 
duquel  la  fatigue  et  l'abattement  moral  sont  bien 
souvent  venus  arrêter  ma  plume. 

Je  vous  dois  donc  infiniment  de  reconnais- 
sance pour  tout  cela,  mon  cher  Ami.  Et  voilà 
pourquoi  je  tenais  à  vous  dédier  une  œuvre  qui 
contient  non  seulement  beaucoup  de  votre 
science,  mais  aussi  beaucoup  de  notre  mutuelle 
atYection. 

E.    D. 

3  Avril  lOH. 


INTRODUCTION 


Nous  .savons  deviner  l'avenir 
dans  les  astres  du  ciel,  dans  les 
plis  de  la  main,  et  le  passé  dans 
les  cendres  sépulcrales.  Aux  li- 
vrés à-  récrit  intraduisible  pour 
les  profanes,  aux  textes  ténébreux 
des  coptes,  nous  connaissons  les 
signes  qui  tuent  et  les  incanta- 
tions qui  font  revivre  les  morts. 

Thomassi  Boronello  (1). 


Pour  notre  histoire  nationale,  aussi  bien  que 
pour  l'histoire  européenne,  la  seconde  moitié  du 
seizième  siècle  et  le  premier  quart  du  dix-sep- 
;tième,  constituent  une  période  effroyablement 
malheureuse.  Certes,  ce,  n'est  plus  la  nuit  des 

(1)  Traduction  et  extrait  du  grimoire,  inédit  de  Thomassi 
Boronello.  Manuscrit  de  62  feuilleis  parchemin  ;  in-4,  seizième 
siècle.  {Collection  Wifliam  Regsser.) 


]0  CATHERINE    DE    MEDICIS 

siècles  qui  ont  suivi  la  morl  de  Théodose  ;  mais 
l'intellectualité  humaine  et  les  organisations 
sociales  des  peuples  sont,  à  cette  époque,  si 
lentes  dans  leurs  métamorphoses,  qu'il  semhle 
que  l'aurore  de  la  Renaissance  se  prolonge  en 
une  imprécision  lamentable.  Un  grand  vent  de 
raison  a  cependant  secoué  le  monde,  puissam- 
ment aidé  par  la  sublime  invention  de  Gulen-  | 
berg,  A  la  voix  des  Calvin,  Luther,  Michel  Ser- 
vet,  Rabelais,  Dolet,  Théodore  de  Bèze  et  Sé- 
bastien Castellion,  le  trône  de  Rome  se  sent 
violemment  ébranlé.  Pour  ce  que  cesi  assez 
vescii  en  îénèbres,  s'écrie  l'imprimeur  lyonnais 
qui  devait  payer  cette  phrase  sur  le  bûcher  de 
la  place  Maubert. 

Mais  toute  action  émancipatrice  ne  s'exerce 
jamais  sans  réaction.  Des  profondeurs  de  l'Alle- 
magne, surgit  soudain  une  multitu-de  de  sectes 
d'oi^i  sort  une  nouvelle  barbarie,  érigeant  en 
dogmes  les  plus  singulières  aberrations  men- 
tales. En  même  temps  que  dans  les  troubles  po- 
litiques sentretuent  papistes  et  huguenots,  en 
même  temps  que  des  intelligences  discutent 
véhémentement  sur  l'utilité  ou  Tabsurdité  de  la 
messe,  sur  l'incarnation  ou  l'absence  de  Jé»6us 
dans  la  sainte  hostie,  d'autres  cerveaux  font  un 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


brusque  retour  dans  les  doctrines  du  paganisme 
germanique  et  Scandinave,  auxquelles  ils  joi- 
gnent les  pratiques  étranges  des  rites  magiques 
du  moyen  âge. 

Evidemment  on  croit  toujours  en  Dieu.  Mais 
puisque  ceux  qui  prononcent  respectueusement 
son  nom  ne  savent  être  d'accord  sur  la  manière 
de  rhonorer,  c'est  donc  que  le  Diable  se  mêle 
de  troubler  les  esprits?  Et  l'on  croit  alors  plus 
que  jamais  à  Tinfluence  du  Prince  des  ténèbres. 

Cependant  c'est  bien  pour  la  gloire  du  Dieu 
de  miséricorde  que  "s'élèvent  les  bûchers,  que 
grincent  les  roues  de  tortures,  que  saint  Barthé- 
lémy martyr  voit  sa  fête  célébrée  dans  du  sang, 
'  que  s'assassinent  les  grands  et  que  gémissent 
les  humbles.  Mais  le  clergé  proteste  tout  bas, 
disant  que  ce  n'est  pas  de  par  la  volonté  du 
céleste  Père  que  s'accomplissent  ces  horribles 
choses,  et  que  c'est  uniquement  l'œuvre  du  sup- 
pôt des  enfers,  perturbateur  des  consciences  et 
des  cœurs  devenus  inhumains.  Et  de  cet  aveu, 
des  raisonneurs  concluent  que  i'ange  déchu  est 
désormais  plus  fort  que  son  maître. 

D'ailleurs  qui  le  nierait?  Depuis  des  siècles, 
les  psaumes,  les  humiliations,  les  prièues  et  les 
jeûnes  n'ont   rien  produit    pour  l'amoind:  isse- 


12  CATHERINE    DE    MEDICIS 

ment  des  misères  humaines.  Le  Rédempteur 
divin,  seul  dispensateur  du  bon,  du  bien  et  du 
juste,  a  été  impuissant  devant  l'envahissemenl 
de  la  foi  mondiale  par  les  stryges  infernales. 
Donc  il  faut  s'attacher  à  Satan,  obtenir  sa  pro- 
tection, ses  faveurs,  en  lui  dressant  des  autels, 
en  lui  organisant  des  messes  spéciales,  en  lui 
dédiant  des  victimes  par  le  poison  et  par  le  fer, 
par  Tenvoûtement  et  l'inceste,  par  le  viol  et  la 
sodomie.  Au  plain-chant  des  cathédrales,  on 
substituera  le  sifflement  aigu  des  flûtes  en  ti- 
bias ;  et  l'encens  subtil  et  vaporeux  enveloppant 
les  saints  au  sourire  béat  sera  remplacé  par 
l'assa-fœtida  aux  acres  émanations,  brûlant  aux 
pieds  de  Jocihévauhé,  monstre  ricanant  dans  son 
cercle  d'airain. 

Avec  de  tels  honneurs  rendus  aux  démons  et 
et  au  Macroprosope  couronné,  les  adeptes  sata- 
niques  sont  bien  sûrs  d'obtenir  promptement 
une  puissance  devant  laquelle  tout  cédera,  tout 
pliera.  Confirmant  cette  force  de  l'ombre,  les 
docteurs  es  sciences  maudites  ne  déclarent-ils 
pas  que  les  fidèles  du  noir  Seigneur  sont  seuls 
possesseurs  du  Secret  des  Secrets  ?  Apologistes 
autofisés  des  théories  du  mal,  ils  assurent  que 
tout  fervent  doctrinaire    luciférien    peut  com- 


CATHERINE    DE    MEDICIS  13 

mander  aux  génies  nocturnes  (i),  aux  élémen- 
iales,  aux  lémures  et  larves,  aux  incubes  et  suc- 
cubes, aux  spectres  et  goules,  aux  farfadets  et 
lamies  (2).  Ils  détiennent  en  outre  le  moyen  de 
découvrir  les  sources  et  les  trésors,  de  faire  gé- 
mir la  mandragore,  et  de  transformer  les  plus 
vils  métaux  en  un  or  pur  et  ductile.  Ils  savent 
aussi  faire  naître  de  troublants  désirs  dans  les 
cœurs  les  plus  réfraclaires  à  Tamour,  et  chacun 
reconnaît  que  la  complexe  goétie  n'est  pour  eux 
qu'un  ensemble  de  banales  opérations  et  for- 
mules évocatoires.  Mieux  encore,  Paracelse  et 
Stirgane,  biogénistes  convaincus,  ne  donnent-ils 
pas  rimmanquable  moyen  d'obtenir  Ihommiin- 
niiliis^  homme  ou  femme  artificiels  que  l'hermé- 


(1)  R.-P.  SiNiSTRARi  d'Ameno.  —  De  la  démonialité  et  des 
animaux  incubes  et  succubes,  où  l'on  prouve  qu'il  existe  sur 
terre  des  créatures  raisonnables  autres  que  rhonime,  ayant 
comme  luy  un  corps  et  une  âme,  naissant  et  mourant  comme 
luy,  rachetées  par  N'.-S.  Jésus-Chri.<t  et  capables  de  salut  ou  de 
damnation.  Curieux  ouvrage  publié  d'après  le  manuscrit 
original  s.  d.,  découvert  à  Londres  en  1872,  et  traduit  du 
latin  par  Liseux  en  1876  ;  un  volume  in-lG. 

(2)  Del  Congresso  notturno  délie  lamie,  par  Girolamo 
Tartorotti  Rovereto  ;  17-19,  un  volume  in-lo.  Les  lamies 
étaient  des  monstres  à  léte  de  femme  et  queue  de  serpent, 
que  l'on  accusait  de  s'introduire  nuitamment  dans  les  habi 
talions  pour  y  voler  les  entants  qu'ils  dévoraierit  ensuite 
dans  les  bois. 


14  CATIIEKINE    DE    MEDICIS 

tistc  peut  à  son  gré  créer  en  son  laboratoire,  par 
la  concentration  dans  un  alambic  scellé,  d'une 
quantité  déterminée  de  semence  humaine?  (i). 
Quel  triomphe  que  d'avoir  en  mains  ces  moyens 
prestigieux  !  Quelle  jouissance  que  de  parvenir 
à  ce  vaste  idéal,  à  cette  influence  supérieure  et 
sans  rivale  ! 

Bien  rares  furent  les  esprits  suffisamment  forts 
pour  échapper  à  cet  âpre  désir  de  domination, 
de  vengeance,  de  haine  calculatrice  ou  d'amour 
lubrique.  Jamais  on  ne  vit  les  souverains  de  la 
vieille  Europe  aussi  avides  de  merveilleux, 
qu'ils  le  furent  au  seizième  siècle.  Encouragés 
par  ces  hautes  protections,  les  Ruggieri  le 
vieux,  Corneille  Agrippa,  Jérôme  Cardan,  Mi- 
chel x\^ostradamus  et  autres  maîtres  dans  rensei- 
gnement des  grands  arts,  font  de  nombreux 
élèves  qui  trouvent  aisément  de  lucratifs  em- 
plois auprès  des  princes  régnants.  Mais  nul 
monarque,  nulle  reine,  ne  réservèrent  à  ces  per- 
sonnages, le  bon  accueil  et  le  soutien  que  leur 
accorda  Catherine  de  Médicisà  la  cour  dcFrance. 

(1)  Voir  sur  ce  sujet  l'étrange  ouvrage  de  Jean  Finot.  le,-< 
HomancLiles  tVhier  eî  cV après- demain.  Essai  sur  la  créalion  de 
Vhommeen  dehors  de  la  femme.  Paris,  1897,  un  volume  iu-so. 
Le  même  auteur  nous  a  aussi  laissé  un  ouvrage  non  moins 
curieux  sur  les  Hommes  et  les  femmes  à  cornes. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  15 

Aussi  vit-on  bientôt  trente  mille  (i)  sorciers, 
alchimistes,  devins  et  astrologues,  vivre  du 
produit  de  la  superstition  parisienne.  Tout  ce 
que  la  ville  et  la  cour  comptent  de  notabilités, 
croit  plus  ou  moins  à  l'autorité  diabolique  des 
magiciens,  à  l'attraction  du  mauvais  œil,  aux 
■dangers  mortels  de  l'envoûtement.  Des  cerveaux 
•comme  ceux  de  Pasquier,  de  Thou,  Ambroise 
Paré,  n'échappèrent  pas  à  cette  fièvre  démonia- 
que. L'Eglise  même,  qui  lançait  sans  arrêt  ses 
plus  terribles  a na thèmes  contre  les  sorciers, 
ne  les  condamnait  pas  comme  des  imposteurs 
•ou  des  fous,  mais  bien  comme  des  impies  et 
relaps  dont  la  malignité  pouvait,  à  Taide  du 
démon,  opérer  des  faits  extraordinaires  suscep- 
tibles   de  nuire   au  christianisme    (2).    Chacun 


(1)  Mémoires  —journaux  de  Pierre  de  VEsloile,  publiés  par 
"Brunet,  Champollion,  Halphen,  etc.  Édition  Alphonse 
Lemerre,  Paris  1896. 

(2)  Questions  sur  VEncyclopédie,  article  Superslition  1  ar 
Voltaire,  et  Alfred  Maury  dans  l'Encyclopédie  Moderne, 
t.  XXV,  édition  de  1862.  Notons  que  cette  opinion  de 
i'Église  du  seizième  siècle  sur  le  Dénionisme  est  restée  la 
même  pour  l'Église  moderne.  Tout  comme  au  temps  de 
•Catherine  de  Médicis,  le  clergé  catholique  croit  fermement 
-à  l'influence  du  Démon  et  à  ses  manifestations  diverses. 
Pour  se  coavaincre  de  cette  croyance,  il  suffit  d'ouvrir 
l'année  1902  de  l'Ami  du  Clergé,  revue  hebdomadaire,  très 
sérieusement  rédigée,  et  traitant  toutes  les  questions  ecclé- 


16  CATHERINE    DE    MEOICIS 

traîne  alors  son  existence  dans  une  crainte,  une 
méfiance  continuelles,  voyantdes  empoisonneurs 
et  des  assassins  partout,  des  sortilèges  en  toutes 
choses,  et  des  menaces  divines  dans  les  moindres 
phénomènes  atmosphériques  (i). 


siastiques.  On  y  trouve,  pa!isim,  des  récils  sensationnels  sur 
les  prouesses  de  Satan  au  vingtième  siècle.  Entre  autres 
élucubrations,  il  faut  lire  le  récit  d'une  aventure  arrivée  à 
Lyon  au  P.  Jandel,  supérieur  général  des  dominicains, 
aventure  confirmée  par  le  témoignage  du  P.  Lécuyer,  pro- 
vincial des  dominicains  lyonnais,  de  M.  Guélat,  archiprctre 
de  Moirans,  de  M.  Michel,  curé  des  Rives  et  de  Mgr  Cotton, 
évoque  de  Valence.  C'est  la  description  d'une  tenue  maçon- 
nique présidée  par  Salan  en  personne,  et  à  laquelle  le 
P.  Jandel  assista  sur  l'autorisation  spéciale  de  l'archevêque 
Mgr  de  Donald.  Le  P.  Bresciani,  qui  passe  aussi  pour" 
avoir  particulièrement  étudié  les  rites  maçonniques,  assure 
également  qu'il  est  à  sa  connaissance  que  le  Démon  apparaît 
dans  plusieurs  réunions  de  francs-maçons,  et  qu'il  s'y  fait 
vraiment  adorer.  Ces  narrations  insensées  me  rappellent 
le  sermon  d'un  capucin  portugais,  auquel  mon  bealu  père, 
M.C.  C.Guihéry  assista  vers  1865,  à  Lisbonne.  Ce  prédicateur 
persuadait  ses  ouailles  assemblées,  que  les  francs-maçons 
n'étaient  pas  des  hommes  constitués  comme  les  autres  humains, 
et  que,  voués  au  Démon,  celui-ci  les  avait  dotés  d'une  queue  en 
leur  prolongeant  la  colonne  vertébrale.  Naturellement,  ce 
révérend  père  était  très  écouté,  et  nul  n'aurait  osé  douter 
de  la  véracité  d'une  parole  aussi  saintement  autorisée. 

(1)  Une  ordonnance  royale,  datée  de  1563,  défendit  l'usage 
des  poches  aux  vêtements,  pour  empêcher  les  conspirateurs 
et  assassins  de  dissimuler  toute  arme  offensive  autre  que 
l'épée. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  J7 


Possédée  par  une  ambition  incommensurable, 
Catherine  de  Médicis  n'aura  d'autre  but  que  celui 
de  conserver  le  gouvernement;  et  pour  satisfaire 
cet  amour  du  pouvoir,  elle  emploiera  tous  les  sys- 
tèmes bons  ou  mauvais.  Très  autoritaire,  mais  fa- 
taliste comme  la  plupart  des  intelligences  supé- 
rieures de  son  temps,  ce  n'est  ni  le  catholicisme, 
ni  le  protestantisme  qui  sauront  guider  sa  con- 
science. Contrairement  à  ce  queprétendent  divers 
historiens  redresseurs  de  torts,  c'est  bien  à  un 
idéal  plus  ténébreux  que  Catherine  voua  son 
âme,  toute  son  âme  de  Florentine  altière.  C'est 
seulement  devant  l'astrolabe,  les  miroirs  ma- 
giques et  les  cercles  goétiques,  qu'elle  inclinera 
sa  fierté  souveraine.  Par  les  sciences  occultes, 
elle  sera  épouse,  mère  et  dictatrice,  tour  à 
tour  bonne  ou  cruelle,  fourbe  ou  sincère,  mais 
toujours  adroitement  énigmatique  et  mysté- 
rieuse. 

Ceci  n'empêchera  pas  cette  femme  étrange  de 
posséder  les  plus  hautes  qualités  d'un  adminis- 
trateur d'Etat,  sans  avoir  aucune  des  faiblesses 
morales  ou  physiques  particulières  à  son  sexe. 


1]  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Prise  entre  le  républicanisme  des  huguenots  et 
la  trahison  catboliquCj  elle  saura  garder  le  trône 
a.ix  Valois  par  des  combinaisons  dont  l'habi- 
iHé  fait  encore  envie  à  nos  plus  éclairés  diplo- 
mates. Elle  sera  une  autorité  forte,  inflexible 
et  clairvoyante,  prompte  en  ses  décisions,  ne 
redoutant  ni  les  injures,  ni  les^  embûches,  ni 
les  terribles  moyens.  Tant  plus  de  morts,  tant 
moins  d'ennemis,  écrira-t-elle  à  de  Gordes. 
Et  cette  phrase  résumera  tout  ce  caractère  de 
femme  infrangible,  qui  met  sa  dignité  de  Reine- 
Mère  aa-dessus  des  sentiments  féminins  ordi- 
naires. 

Elle  est  d'une  coquetterie  modérée,  et  en 
dehors  de  son  mari  :  pas  d'amour.  En  dehors  de 
SCS  enfants:  pas  d'affection.  Encore  n'accorde- 
t-elle  à  ces  derniers  ses  élans  maternels,  qu'au- 
tant qu'ils  sont  incapables  d'enrayer  son  auto- 
rité, leur  retirant  toute  tendresse  dès  qu'ils  ont 
atteint  l'âge  de  gouverner.  Pourtant,  elle  faiblira 
devant  Henri  111  qui  ne  lui  rendra  son  attache- 
ment que  par  une  profonde  ingratitude.  Donc^ 
elle  n'a  qu'un  idéal  :  c'est  la  couronne  de  France 
qu'elle  porte  par  fierté  et  par  devoir. 

Pour  Catherine,  le  sceptre  réunit  toutes  les 
joies,  toutes  les  satisfactions,  en  d^pit  clés  com- 


CATHERINE    DE    MEDICIS  10 

bats  de  chaque  jour,  des  perpétuelles  dupli- 
cités à  créer  ou  à  détruire.  Que  lui  importe  la 
lutte  !  N'est-elle  pas  née  par  elle  et  pour  elle? 
Les  Médicis  n'étaient-ils  pas  d'ardents  remueurs 
politiques?  Et  pourquoi  exigerait-on  qu'elle  fût 
douce  et  sensible,  conciliante  et  bonne  ?  N'a- 
t-elle  pas  été  formée  au  contact  de  la  tourbe 
révolutionnaire?  Son  enfance  ne  s'est-ellc  pas 
1  imenlablement  écoulée  au  milieu  des  haines 
s  )ulevées  par  le  despotisme  de  son  père  ? 
Les  hommes  n'ont-ils  pas  toujours  été  des  bar- 
bares pour  elle,  lorsque,  âgée  de  neuf  ans,  prison- 
nière en  un  couvent,  Baptiste  Geï  proposa  de 
rattacher  nue,  sur  les  murs  de  Florence,  entre 
diux  créneaux,  exposée  aux  caHonnades  des 
a  .siégeants.  Et  quand  Bernard  Castiglione, 
jugeant  cette  proposition  insuffisamment  outra- 
geante, émettait  l'avis  de  terminer  la  discussion 
e  1  la  livrant  aux  soudards  étrangers  pour  la 
déshonorer  par  le  viol,  pouvait-elle  vraiment 
concevoir  que  la  bonté,  la  générosité  et  la 
pitié  humaines  constituent  le  beau  dune  exis- 
tence?... 

Mariée,  elle  ne  fut  pas  plus  heureuse.  Henri  II 
ne  la  considéra  jamais  autrement  que  comme 
un  être  propre   à    la  perpétuation   de   sa  lace. 


20 


CATHERINE    DE    MÉDICIS 


Tout  ce  que  le  cœur  d'un  roi  pouvait  contenir 
de  vibration  amoureuse,  d'admiration  dévouée, 
de  soumission  d'âme  vis-à-vis  d'un  être  aimé, 
Henri  H  le  donna  entièrement  à  Diane  de  Poi- 
tiers. Catherine  ne  fut  que  l'accessoire  obligé, 
imposé  par  les  exigences  et  les  intérêts  politi- 
ques d'un  trône. 

Devant  tant  d'adversion  ou  d'indifférence,"  la 
cruauté  et  le  machiavélisme  de  Catherine  sont, 
certes,  excusables  en  partie.  Mais  la  réhabilita- 
tionde cette  femme  supérieure  n'est  pas  le  but  de 
ce  livre.  D'autres  historiens  se  sont  déjà  imposé 
cette  tâche  et  je  n'y  reviendrai  pas.  Si  l'unani- 
milé  s'est  enfin  prononcée  en  faveur  des  qualités 
gouvernementales  de  Catherine,  il  ne  faudrait 
pourtant  pas  exagérer  l'adiniration  qui  peut  lui 
être  due,  en  refusant  systématiquement  de  croire 
aux  défauts  qui  caractérisèrent  cette  nature 
d'élite.  Ceci  m'amène  nécessairement  à  une  di- 
gression. ^ 

Depuis  quelques  années,  des  médecins-histo- 
riens se  plaisent  à  établir  des  diagnostics  rétros- 
pectifs, dont  quelques-uns  tentent  à  réhabiliter 
Catherine  de  Médicis  d'une  part  des  crimes  que 
lui  imputèrent  ses  contemporains.  A  quatre  siè-^ 
clés  de  distance,  sans  hésitation,  ces  praticiens 


CATHERINE    DE    MEDICIS  21 

nécrophores  appliquent  en  pensée  leur  oreille 
&ur  la  poitrine  de  la  reine  de  Navarre  et  décla- 
rent sentencieusement  qu'elle  n'est  pas  morte 
d'une  action  toxique,  mais  tout  simplement  d'une 
pleurésie^d'origine  tuberculeuse.  Quant  au  car- 
dinal de  Châtillon,  ils  nous  le  montrent,  avec 
une  assurance  audacieuse,  mourant  d'un  ulcère 
de  Vestomac  (i). 

Loin  de  moi  la  pensée  d'encourager  la  multi- 
plication des  erreurs  historiques,  ou  de  blâmer 
ceux  de  mes  confrères  qui  essayent  de  les  dé- 
truire.. Il  y  a  tant  d'historiens  dont  le  but  est 
uniquement  de  flatter  l'opinion  préconçue  du 
populaire,  ou  de  faire  l'œuvre  d'un  parti  quel- 
conque, qu'il  faut  au  contraire  féliciter  ceux  qui 
ont  le  courage  d'enrayer  la  propagation  de  ces 
turpitudes  intéressées.  Mais  entre    l'impartiale 

(1)  Il  en  est  de  même  pour  le  prince  de  Condé  et  Madame. 
Après  force  périphrases  sur  la  santé  habituelle  de  ces  deux 
personnages,  ces  médecins  concluent  qu'indiscutablement  ils 
sont  morts  d'une  péritonite  suraiguë  par  perforation.  Mais 
ceci  n'est  rien  comparativement  aux  déclarations  d'un  autre 
exhumateur  du  même  genre,  lequel  entreprit  récemment  de 
nous  prouver  que  Jésus- Christ  n'est  nullement  mort  des 
souffrances  endurées  sur  la  croix,  mais  plus  prosaïquement 
d'une  congestion  pulmonaire.  Voilà  bien  les  arabesques  de 
Vhypothèse  historique  dont  parle  Balzac,  lorsqu'il  se  moque 
des  gens  qui  consacrent  leur  vie  à  la  recherche  du  chemin 
par  lequel  Annibal  passa  les  Alpes. 

2. 


22  CATHERINE    DE   MEDICIS 

mise  au  point  d'un  fâit^  basée  sur  des  sources 
authentiques  d'archives,  et  une  fantaisiste  ver- 
sion médicale  établie  d'après  l'interprétation 
conventionnelle  d'un  texte,  il  y  a  un  écart  con- 
sidérable, marqué  par  une  "sorte  de  forfanterie 
dont  les  chercheurs  sérieux  ne  seront  jamais 
dupes. 


Nier  la  criminalité  et  la  superstition  de  Cathe- 
rine de  Médicis,  c'est  absolument  nier  l'esprit  de 
l'époque  dont  elle  devait  inéluctablement  subir 
l'ambiance  (i).  D'ailleurs  une  telle  négalion  ne 


(1)  Parmi  les  défenseurs  de  Catherine  de  Médicis,  mon 
sympathique  et  savant  confrère  M.  Camille  Piton,  Tauleur 
très  autorisé  du  Quartier  des  Halles  de  Paris,  me  pardonnera 
mon  franc-parler.  Mais  la  vérité;  m'oblige  à  ne  pas  partager 
son  opinion  sur  la  colonne  de  VHôfelde  la  Reine,  plus  connu 
sous  le  nom  d'//o/é/  de  _Sozsso«s  (aujourd'hui  Bourse  de 
Commerce),  construit  en  1572  pour  Catherine  de  Médicis, 
d'après  les  plans  dressés  par  Jean  BuUant.  Les  plans  et  do- 
cxtments'  divers  conservés  aux  ^rc/iioe^a//ona/es  :  N.  11-175, 
N.  III-233-235;  O)»  1193,  0}i  1099^  f»  143  et  T.  1G33,  prouvent 
suffisamment  la  destination  astrologique  de  cette  colonne- 
observatoire,  parfaitement  orientée  aux  quatre  points  cardi- 
naux avec  une  sphère  armillaire  et  qui  fut  d'ailleurs  cons- 
truite sur  les  données  de  presque  tous  les  observatoires  de 
l'antiquité.  De  plus,  ces  documents  anéantissent  complète- 
ment la  légende  qui  nous  présentait  Petit  de  Bachaumont 
comme  étant  le  sauveur  de  cet  intéressant  monument.  Ce 


G\THr:iaNE  de  médicis  23 

rehausse  en  rien  la  valeur  de  celte  reine  qui  ne 
fut  ni  plus  superstitieuse,  ni  moins  criminelle 
que  les  autres  grandes  figures  de  son  temps. 
Mais  plus  que  d'autres,  elle  eut  l'occasion  de 
mettre  en  pratique  ce*  deux  forces  ordinairement 
sournoises  :  le  fer  et  le  poison. 

Que  l'on  ait  exagéré  les  conséquences  de  ses 
actes  mystérieux,  cela  n'est  pas  douteux.  Il  y 
avait  là  un  terrain  excellemment   propice    aux 

n'dst  nullement  Bachaiimont  qui  a  acheté  cette  colonne  aux 
démolisseurs  de  VHôtel  de  Soissons  pour  la  revendre  ensuite 
à  la  ville  de  Paris  ;  et  en  voici  la  preuve  irrécusable,  preuve 
demandée  par  M.  Camille  Piton  quand  il  cite  Leroux  de  Lincy 
aux  pages  12?  et  iSi  de  son  Quartier  des  Halles.  A  la  date  du 
19  mars  1750,  nous  trouvons  l'acte  de  vente  de  la  four  en 
forme  d'observatoire  de  l'ancien  Hôtel  de  Soissons.  Cette  tour 
fut  cédée,  à  cette  date,  aux  échevins  de  la  ville  de  Paris, 
moyennant  une  somme  de  1.800  Hures,  par  le  sieur  Laurent 
Destouches,  architecte  demeurant  à  Paris,  rue  Neuve-des- 
Petits-Champs,  paroisse  Saint-Eustache.  »  Ouinzejours  plus 
tôt,  soit  le  4  mars  1750,  Laurent  Destouches  avait  acheté, 
pour  la  même  somme,  cette  tour  à  Louis  Duhenois,  démo- 
lisseur adjudicataire  de  l'enlèvement  des  matériaux  de  VHô- 
tel de  Soissons.  L'acte  de  vente  passé  entre  Laurent  Destou- 
ches et  Louis  Duhenois  a  été  rédigé  par  M*  Gervais,  notaire 
à  Paris.  Celui  passé  entre  Laurent  Destouches  et  les  éche- 
vins de  la  ville  a  été  rédigé  par  M"  Marchand  le  jeune,  éga- 
lement notaire  à  Paris.  (Archives  nationales  :  série  O)^  carton 
n°  1193.)  Sur  la  destination  astrologique  de  cette  colonne, 
voir  aussi  l'opinion  de  M.  Camille  Flammarion,  dans  le  Bul- 
letin de  la  Société  Astronomique  de  France,  notamment  le 
numéro  de  septembre  1908,  pp.  385  et  suiv. 


2i  CATHERINE    DE    MEDICIS 

colères  huguenotes,  terrain  que  surent  cultiver 
des  pamphlétaires  violents  comme  Henri  Es- 
tienne.  Cependant,  il  faut  reconnaître  que  dans 
tout  pamphlet,  comme  dans  toute  légende,  il  y 
a  un  fond  de  vérité  évidemment  difficile  à  démê- 
ler de  la  fiction.  Car,  les  pamphlétaires,  chroni- 
queurs et  mémoristes  qui  nous  ont  transmis  les 
défaillances  intimes  et  les  bizarreries  morales  de 
certains  personnages  célèbres,  n'ont  jamais  écrit 
sans  partialité.  Soit  en  admiration^  soit  en  haine, 
la  vérité  est  presque  toujours  altérée,  et  Cathe- 
rine de  Médicis  ne  devait  pas  échapper  à  cette 
loi  des  préventions  humaines. 

Pour  l'historien  consciencieux  et  de  bonne  foi, 
il  est  donc  indispensable  de  vérifier  attentive- 
ment les  textes  imprimés  traitant  d'un  même 
sujet,  de  les  comparer  entre  eux  et  de  recourir 
toujours  aux  pièces  manuscrites  des  archives 
diplomatiques,  seules  sources  vraiment  authen- 
tiques de  l'histoire. 

Comme  dans  mes  ouvrages  antérieurs,  telle 
est  la  méthode  que  je  me  suis  efforcé  d'appli- 
quer à  l'élaboration  du  présent  livre,  en  y  appor- 
tant tout  l'inédit  possible,  toute  la  minutie, 
toute  la  tolérance  et  la  sincérité  nécessaires  à 
la  solidité  d'une  œuvre   documentaire,   et  à  la 


CATHERINE    DE   MEDICIS  25 

mise  en  lumière  d'une  physionomie  aussi  mys- 
térieusement personnelle  que  cette  mère  de  trois 
rois,  qui  fut  certes  bien  italienne  par  naissance, 
mais  surtout  bien  française  par  orgueil  et  par 
autocratique  principe. 

EUGÈNE  DEFRANCE. 


CHAPITRE  PREMIER 


LA    STERILITE    DE    CATHERINE,    LE    DOCTEUR   JEAN 
FERNEL  ET  LES  BREUVAGES  MAGIQUES 


Après  la  marche  triomphale  de  Florence  à 
Livourne,  après  le  versement  effectué  par  Phi- 
lippe Strozzi  des  1.200  livres  d'or  qui  cons- 
tituaient la  dote  de  Catherine,  après  le  cadeau 
de  noces  du  Pape  Clément  VII,  cadeau  de 
100.000  ducats  en  bijoux  et  pierres  précieuses^ 
après  rapport  des  comtés  d'Auvergne  et  de 
Lauraguais  (1),  le  mariage  du  futur  Henri  II,  se- 


(1)  Sur  la  fortune  du  père  de  Catherine,  voir  :  Archives 
nationales  :  Lettres  de  naturalité  pour  Laurent  de  Médicis,  duc 
d'Urbain^  et  sa  fdle  Catherine  de  Médicis,  depuis  reyne  de 
France.  Saint-Germain-en-Laye,  may  1519.  (Reg.,  O^  218, 
fol.  3  et  4)  Document  inédit. 


%^: 


CATHERINE   DE    MEDICIS  27 

cond  fils  de  François  l^',  Henri  duc  d'Orléans, 
avec  Catherine  de  Médicis,  fut  célébré  à  Mar- 
seille le  28  octobre  de  l'année  i533. 

Henri,  âgé  de  quatorze  ans,  n'avait  que  vingt 
jours  de  plus  que.  sa  femme.  En  dépit  du  jeune 
âge  des  deux  époux,  François  P''  tenait  à  être 
assuré  de  la  consommation  du  mariage  de  son 
fils;  et  le  pape  Clément VH,  oncle  de  Catherine, 
ne  voulait  pas  quitter  Marseille  sans  avoir  la 
même  certitude. 

Donc,  le  28  octobre  au  soir,  «  le  festin  ter- 
miné, dit  un  témoin  oculaire,  le  pape  s'est  re- 
tiré. Le  roi  s'est  aussi  retiré  en  habit  de  mas- 
que. La  reine,  avec  toutes  les  demoiselles  d'hon- 
neur, a  accompagné  la  sérénissime  duchesse 
en  sa  chambre,  où  était  préparé  un  lit  si  riche, 
qu'il  est  estimé  soixante  mille  ècas  ;  la  chambre  où 
était  le  lit  était  toute  tapissée  de  brocart...  C'est 
ainsi  qu'ils  ont  dormi  ensemble  la  nuit  dernière, 
et  qu'a  été  consomméle  mariag  e.  Le  matin,  Sa 
Sainteté  est  allée  les  visiter  au  lit  de  bonne 
heure,  et  les  a  trouvés  tous  deux  très  dispos. 
Notre  seigneur  [le  pape]  est  aussi  joyeux  que  je 
l'ai  jamais  vu,  ainsi  que  le  roi  et  toute  la  cour  (1)  » . 

(1)  Relation  anonyme  des  cérémonies  du  mariage  de  Cathe- 
rine de  Médicis  avec  le  duc  d'Orléans  [futur  Henri  II);  Mar- 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


Dès  le  temps  même,  d'aucuns  prétendirent 
que  François  P''  aurait  poussé  la  curiosité  plus 
loin  encore  que  Clément  VII  :  «  Quand  on  eut 
fini  de  danser  et  que  chacun  fut  retourné  dans 
ses  appartements,  dit  l'ambassadeur  de  Milan, 
le  roi  voulut  lui-même  mettre  au  lit  les  époux, 
et  quelques-uns  disent  qu'il  les  voulut  voir  jou- 
ter, et  que  chacun  d'eux  fût  vaillant  à  la 
joute  (i).  » 

Balzac  nous  dit  que  des  faiseurs  d'anecdotes, 
contemporains  de  cette  union,  assurent  que  Clé- 
ment VII  attendit  patiemment  jusqu'au  12  no- 
vembre les  preuves  physiologiques  de  la  fécon- 
dité de  sa  nièce.  Mais  son  attente  ayant  été 
vaine,  au  moment  de  quitter  Marseille  pour  se 
rendre  à  Civita-Vecchia,  Clément  dit  à  Catherine 
en  manière  de  consolation  :  A  figlia  (Tinganno 


seille,  29  octobre  1533.  Original  italien  inséré  sans  indica- 
tion de  provenance  dans  Touvrage  de  Reumont,  la  Jeunesse 
de  Catherine  de  Médicis,  et  traduit  de  Tallemand  par  Armand 
Baschet  (Paris,  1866,  un  vol.  in-8°).  Voir  les  pages  319  à 
324  et  le  n°  11  des  pièces  de  l'appendice.  [Traduclion  fran- 
çaise inédite.)  Cette  relation  commence  à  l'entrée  de  Cathe- 
rine à  Marseille,  c'est-à-dire  au  23  octobre. 

(1)  Dépêche  de  Don  Antonio  Sacco  au  Président  de  Milan  ; 
30  octobre  1533.  Original  italien  conservé  dans  les  Archives 
de  la  maison  Dona  dell  Roh,  à  Venise  (note  p.  323).  Traduc- 
tion inédite  de  M.  Léon  Marlet. 


30  CATHERINE    DE    MEDICIS 

non  manca  mai  la  figlinolanza,  c'est-à-dire  qu'à 
fille  d'esprit,  jamais  la  postérité  ne  manque  (i). 

Le  souhait  formulé  par  Clément  VII  n'était 
certes  pas  près  de  sa  réalisation.  Dix  années 
devaient  s'écouler  avantque  Catherine,  devenue 
d  Auphine,  pût  donner  un  successeur  à  la  cou- 
ronne qu'allait  porter  son  époux.  Les  difficultés 
de  sa  situation  se  compliquèrent  bientôt  de  cette 
siérilité,  dit  Dandolo  (2),  et  la  maîtresse  en  titre 
do  son  mari,  Diane  de  Poitiers,  pensa  un  mo- 
ment à  la  faire  répudier.  L'ambassadeur  vé- 
ni'ien  Contarini  confirme  ce  bruit  de  cour  et 
Fe  complète  par  certains  détails  dignes  d'in- 
térêt : 

((  A  la  mort  du  dauphin  (i536),  dit-il,  comme 
0:1  doutait  que  Catherine  de  Médicis  pût  jamais 
avoir  d'enfants,  le  bruit  se  répandit  que  Fran- 
çois P'désiraitun  divorce,  espérantpeut-être  tirer 
partid'une  autre  alliance.  Catherine  para  ce  coup 

(1)  H.  DE  Balzac,  Études  philosophiques  sur  Catherine 
de  Mélicis;  édition  de  1879,  pp.  15  et  25  de  V introduction, 
sans  indication  de  source. 

(2)  Matteo  Dandolo,  Relation  d'ambassade,  fin  de  Tan- 
nie  15i2,  dans  Relazioni  del  anibascialiui  Veniti,  publié  par 
Eugenio  Alberi,  P*  série,  t.  IV,  p.  47.  Original  italien.  Ce 
passage  a  été  traduit  pour  la  première  fois  par  Armand 
Bascliet  dans  la  Diplomatie  vénitienne  et  les  princes  de  l'Eu- 
rope  du  seizième  siècle.  Paris,  Pion,  1866. 


p 


CATHERINE    DE    MEDICIS  31 

avec  son  habileté  habituelle.  Allant  trouver  le 
roi,  elle  lui  dit  qu'elle  avait  appris  qu'il  avait  l'in- 
t  ntion  de  donner  une  autre  femme  à  son  fils,  et 
puisque  Dieu  ne  lui  avait  pas  fait  la  grâce  d'avoir 
djs  enfants,  du  moment  qu'il  ne  plaisait  pas 
à  Sa  Majesté  d'attendre  davantage,  il  était  bien 
convenable  de  pourvoir  à  la  succession  d'un  si 
grand  royaume;  quant  à  elle,  se  rappelant  ce 
qu'elle  devait  au  roi  pour  l'avoir  choisie,  elle  était 
p  ête  à  subir  la  grande  douleur  qui  lui  en  vien- 
drait, plutôt  que  de  contrarier  sa  volonté,  toute 
disposée  à  entrer  en  un  monastère,  ou  à  rester 
ai  service  de  celle  qui  aurait  la  fortune  d'être 
la  femme  de  son  mari;  tout  cela  entrecoupé  de 
larmes  et  de  sanglots.  François  P'\  d'humeur 
généreuse  et  facile,  en  fut  si  touché,  qu'il  lui  dit 
avec  émotion  :  «  Ma  fille,  puisque  Dieu  a  voulu 
que  vous  soyez  ma  bru  et  la  femme  du  dauphin, 
je  ne  veux  pas  qu'il  en  soit  autrement,  et  peut- 
être  Dieu  voudra  t-il  bien  se  rendre  à  vos  désirs 
et  aux  nôtres  (i).  >> 

Henri    Estienne,  écrivant  quatorze  ans  plus 
tard,  en  i574,  se  fait  aussi  l'écho  de  cette  répu- 


(1)  Relaz  di  ambasciaf  Contarini  Venezia  (1552)  relaz  di  Con- 
larini;  V^  série,  t.  IV,  p.  73  {Traduction  Bascheî). 


32  CATHERINE    DE    MEDICIS 

diation  projetée  :  «  Comme  estant  sur  le  point 
d'estre  répudiée  et  renvoyée  en  Italie,  tant  à 
cause  que  la  nature  l'avoit  condamnée  à  ne  por- 
ter jamais  enfans,  que  pour  apparence  de  son 
mauvais  naturel,  elle  gaigna  la  grande  sénéchale, 
depuis  duchesse  de  Valentinois  (Diane  de  Poi- 
tiers) afm  qu'icelle  Tentretinst  en  grâce  avec 
Monsieur  le  dauphin  son  mary,  et  n'eût  honle 
d'estre  ainsi  come  maquerelle  pour  parvenir 
à  son  intention  (i).  » 

Il  est  certain  que  Catherine  finit  un  jour  par 
vivre  en  parfait  accord  avec  la  maîtresse  de  son 
mari;  mais  il  n'en  avait  pas  toujours  été  ainsi,  et 
une  lettre  d'un  ancien  serviteur  de  Marguerite 
d'Angoulême,  sœur  de  François  P^,  nous  rensei- 
gne plus  amplement  sur  les  machinations  de 
Diane  de  Poitiers  au  sujet  de  la  répudiation  de 
Catherine.  Voici  en  quels  termes,  Villemadon 
rappelait  la  chose  à  la  reine  en  août  de  l'année 
1559  : 

«  Je  commencerai  par  vous  dire  que  régnant, 
le  feu  roi  François  et  étant  le  feu  roi  luy  dau- 


(1)  Discours  merveilleux  de  la  vie,  actions  et  déporlemens  de 
a  reyne  Catherine  de  Médicis^  etc.,  et  réimpression  des 
Archives  curieuses  de  l'Histoire  de  France;  1^'^  série,  t.  IX 
p.  17. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  33 

pliin  revenu  du  Piémont  où  il  s'oublia  lanl  que 
de  commettre  un  ord  et  sal  adultère  par  le  Con- 
seil et  conduite  de  certains  mignons  méchants 
et  infidèles  serviteurs,  et  par  lesquels  d'abon- 
dant la  misérable  grande  sénéchale,  Diane  de 
Poitiers,  public  et  commun  réceptacle  de  tant 
d'hommes  paillards  et  effrénés  qui  sont  morts, 
ou  quivvivent  encore,  lui  fut  introduite  comme 
une  bague  dont  il  apprendroit  beaucoup  de 
vertu;  et  depuis  que  les  nouvelles  furent  venues 
que  la  bâtarde  (i)  était  née  du  susdit  adultère, 
vous  fûtes  mise  sur  les  rangs  par  les  susdits  mo- 
queurs et  la  vieille  mérétrice  qui  vous  déclarèrent 
entre  eux  incapable  de  telle  grandeur  et  honneur 
d'être  femme  d'un  dauphin  de  France,  parce  que 
vous  n'auriez  jamais  d'enfants,  puisque  vous 
mettiez  tant  de  temps  à  en  porter,  vue  qu'il  ne 
tenait  pas  à  votre  mari  de  n'en  pas  avoir  (2).  » 

(1)  Cette  bâtarde  était  Diane,  fille  naturelle  de  Henri  II 
alors  dauphin,  et  de  la  jolie  Piémonîais'^,  Filippa  Duco. 
Diane  fut  plus  tard  légitimée  de  France  et  mariée  au  duc 
de  Castro,  puis  en  secondes  noces  au  maréchal  duc  Fran- 
çois de  Montmorency.  Elle  mourut  en  janvier  1619,  âgée  de 
quatre-vingts  ans,  ce  qui  porterait  sa  naissance  au  courant 
de  Tannée  1538.  Une  médaille  devenue  rare  a  été  frappée 
au  XVII''  siècle  à  l'effigie  de  ce  personnage. 

(2)  Lettre  [de  Villemaion].à  la  reine-mère.  S.  L.26  août  1550, 
Mémoires  de  Condé,  Paris,  1743,  5  vol.,  in-i°,  1. 1,  pp.  620  et  621. 


Si  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Catherine  de  Médicis  ressentait  une  telle  haine 
à  l'adresse  de  Diane  de  Poitiers,  qu'un  jour  elle 
manifesta  le  désir  de  la  fs^ire  vitrioler  par  Jacques 
de  Savoie,  duc  de  Nemours.  C'est  l'Aubespinc, 
l'un  des  quatre  secrétaires  d'Etat,  qui  nous  conte 
le  fait  au  sujet  d'une  lettre  que  ce  dernier,  con- 
vaincu de  menées  pour  enlever  le  pouvoir  à  îa 
reine,  lui  adressa  afin  d'obtenir  son  pardon  : 

((  La  reyne  a  bien  ri,  dit  l'Aubespine  à  son  frère, 
évêque  de  Limoges,  quand  elle  a  vu  dessus  1:\ 
lettre  de  M.  de  Nemours  ces  lignes  marquées, 
se  souvenant  qu'elle  le  vouloit  employer  lors- 
que Mme  de  Valentinois  la  fàchoit  tant  à  luy 
faire  jeter  par  luy  d'une  eau  forte  distillée, 
€omme  par  manière  de  jeu,  sur  le  visage,  de 
quoy  elle  fut  toute  sa  vie  demeurée  défigurée,  et 
ainsi  pensait  de  en  retirer  le  feu  roy  son  mari; 
ce  qui  ne  fut  pas  fait,  car  elle  y  pensa  depuis. 
Bruslez  ceste  lettre  après  l'avoir  lue,  s'il  vous 
plaist  (i).  » 

Si  la  répudiation  a  été  évitée,  si  Catherine  a 
su  établir  son  autorité  de  dauphine,  si  aux  srr- 


(1)  Alphonse  de  Rubles,  Antoine  de  Bourbon  et  Jeanne 
dAlbret,  t.  III,  p.  239  et  note.  L'original  de  la  lettre  de 
Jac  lues  de  Savoie  est  conservé  à  la  Bibliolh'qne  nctlonale^ 
fonds  français,  manuscrit,  n"  6608,  fol.  32. 


m 


CATHERINE    DE    MEDICIS  35 

casraes  de  l'entourage  royal  elle  a  su  répondre 
par  une  habileté  plus  efficace  que  des  actions 
de  haine,  cette  stérilité  est  quand  môme  pour 
son  orgueil  et  pour  son  amour  un  tourment  ob- 
sesseur.  D'abord  elle  se  livre  aux  médecins  ordi- 
naires de  la  cour,  et  leur  ignorance  la  jette 
bientôt  dans  le  domaine  des  grands  mystères 
auxquels,  par  atavisme  de  famille  et  de  race, 
elle  est  étroitement  attachée.  Elle  consulte  les 
devins,  elle  se  fait  préparer  des  philtres,  elle 
évite  de  voyager  à  dos  de  mulet,  parce  que  cet 
animal,  réputé  infécond,  communique  sa  stéri- 
lité aux  femmes  qui  le  montent.  Aux  consulta- 
tions des  tarots,  se  joignent  les  breuvages  magi- 
ques (i)  et  les  potions  médicinales  de  tousgenres: 
«  La  sérénissime  dauphine,  dit  l'ambassadeur 


(1)  Les  formules  les  plus  ordinaires  de  ces  breuvages 
magiques  étaient  empruntées  à  Albert-le-Grand.  «  Prenez, 
dit  cet  auteur,  l'herbe  appelée  uerges-du-pasteur,  mèlez-la 
■et  détrempez-la  avec  du  suc  de  mandragore.  Si  l'on  donne 
ce  breuvage  à  une  femme  ou  à  un  animal  femelle,  elle 
deviendra  pleine  et  fera  un  être  de  son  genre  et  de  son  espèce.  » 
La  pervenche,  selon  le  même  alchimiste,  réduite  en  poudre 
et  mêlée  à  des  vers  de  terre,  donne  aux  femmes  de  l'amour  et 
le  désir  de  concevoir.  La  pierre  échile  ou  pierre  aquilaire  cpie 
Ton  trouve  dans  les  nids  d'aigles,  réduite  en  poudre,  doit 
être  absorbée  par  les  femmes  enceintes  pour  les  empêcher 
d'accoucher  avant  terme,  tandis  que  la  pierre  dite  saune 
qui  se  trouve  dans  File  du  même  nom,  empêche  les  femmes 


CATHERINE    DE    RIEDICES 


vénitien  Matteo  Dandolo,  est  d'une  bonne  corn 
plexion,  sauf  en  ce  qui  regarde  le 5  qualités 
physiques  propres  à  en  faire  une  femme  à 
enfants,  «  donna  di  figluoli  »;  non  seulement  elle 
n'en  a  point  encore,  mais  je  doute  qu'elle  en 
doive  jamais  avoir,  bien  qu'elle  ne  manque 
point  d'avaler  toutes  les  médecines  capables 
d  aider  la   génération,    d'où  je   conclus   qu'elle 


daccoucher  et  retient  éternellement  les  enfants  dans  le 
ventre  de  leurs  mères.  La  pierre  blanche  que  l'on  trouve 
dai3  la  tètç  de  la  licanle,  facilite  beaucoup  le  travail  des 
femmes  en  couches,  Isidore-le-Physicien  dit  qu'une  femme 
qui  désire  féconder  n'a  qu'à  porter,  attachées  à  sa  ceinture, 
les  cendres  d'une  grosse  grenouille,  parce  que  ce  fétiche 
arrête  le  flux  des  menstrues.  Les  géniloires  de  sanglier  pen- 
dant la  lune  de  Mars  produisent  le  même  effet.  Selon  Pho- 
tius,  un  verre  d'urine  de  mule,  bu  chaque  mois  par  une 
femme  stérile,  la  rend  immanquablement  féconde.  11  en  est 
de  même  si  la  femme  stérile  utilise  certains  talismans.  Par 
exemple  la  graisse  de  y/ne/Ze  appliquée  sur  la  tempe  gauche, 
le  doigt  majeur  et  la  chair  de  l'anus  d'un  fœtus  venu  deux 
mois  avait  terme,  coastituent  d'excellentes  amulettes  contre 
la  stérilité  féminine.  Tabariensis  assure  que  Vurine  de  mou- 
ton, le  sang  de  lièvre,  la  patte  gauche  d'arrière  de  la  belette, 
infusée  dans  du  vinaigre  fort,  la  corne  de  cerf  pulvérisée  et 
mêlée  à  de  la  fiente  de  vache,  et  le  lait  de  jument  absorbé  avant 
c  wmerce  charnel,  sont  les  plus  efifcaces  de  tous  les  remèdes 
indiqués  pour  combattre  la  stérilité  féminine.  Enfin,  d'après 
Blérius,  une  ceinture  faite  de  poils  de  chèvre  trempée  dans 
du  lait  d'ànesse,  et  portée  au-dessus  du  nombril  par  la  femme 
qui  veut  engendrer,  rendra  cette  femme  mère  dun  enfant  ma  e 
qui  aura  longue  vie. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  37 

court  de  grands  risques  d'augmenter  son  infir- 
mité plutôt  que  dy  porter  remède.  Elle  est 
aimée  et  chérie  du  dauphin  ;  d'après  les  plus 
grands  indices,  Sa  Majesté  l'affectionne  aussi 
et  de  même  la  cour  et  le  peuple,  à  ce  point  d'ail- 
leurs que  j'estime  qu'il  n'y  a  personne  qui  ne 
voudrait  se  laisser  se  tirer  du  sang  pour  lui  faire 
avoir  un  fils  (i  et  2).  » 

C'est  ici  qu'entre  en  scène  un  infatigable  et 
savant  médecin,  Jean  Fernel,  qui  sacrifia  à  la 
science  médicale  et  aux  mathématiques  sa  for- 
tune, ses  plaisirs  et  sa  santé,  avec  une  convic- 
tion et  un  désintéressement  exemplaires.  Les 
malades  affluaient  chez  lui  en  si  grand  nombre, 
que  souvent  il  était  obligé  de  dîner  debout,  écou- 
tant tous  ses  consultants,  riches  ou  pauvres, 
avec  patience  et  politesse.  La  renommée  qui 
s'était  bientôt  établie  autour  de  son  nom  par- 
vint jusqu'au  dauphin  de  France  dont  la  maî- 

(1)  Relation  de  Malleo  Dandolo;  fin  de  l'année  de  1542. 
Recueil  dAlbéri,  1"  série,  t.  IV,  pp.  47  et  48. 

(2)  Dans  une  intéressante  étude  sur  la  stérilité  de  Cathe- 
rine, le  docteur  Cabanes  [Cabinet  secret  de  Vhistoire,  t.  I, 
pp.  31  et  suiv.),  prétend,  d'après  Brantôme,  que  Henri  II 
était  atteint  d'hypospadias,  alors  qu'un  médecin  du  dix-sep- 
tième siècle,  Nicolas  Venette,  déclare  que  la  stérilité  de  la 
reine  était  due  à  ce  qu'elle  était  affligée  d'une  tortaosilé  dit 
canal  vaginal. 


:-;S  CATHERINE    DE    MEDICIS 

tresse,  Diane  de  Poitiers,  était  alors  gravement 
malade.  Fernel  triompha  par  l'heureuse  guéri- 
son  de  Diane,  et  ce  fut  le  début  de  l'estime  que 
Henri  II  lui  accorda  toute  sa  vie. 

L'ardeur  que  Jean  Fernel  apportait  au  travail 
l'obligea  à  refuser  la  place  de  premier  médecin 
du  dauphin  dont  ce  prince  voulait  l'honorer,  ce 
qui  l'aurait  naturellement  retiré  de  ses  travaux 
et  séparé  de  ses  élèves.  Henri  consentit  difficile- 
ment à  laisser  Tindépendance  à  l'illustre  prati- 
cien, et  pour  lui  témoigner  Tétendue  de  sa  con- 
sidération, il  exigea  que  Fernel  touchât,  quand 
même,  les  honoraires  de  la  place  refusée. 

Après  plusieurs  autres  tentatives  également 
inutiles  de  la  part  de  Henri,  Fernel  n'accepta 
cette  situation  qu'à  la  mort  de  son  confrère, 
Louis  de  Bourges,  qui  avait  été  le  premier  mé- 
decin de  François F^(i).  Mais  ce  fut  bien  avant 
cette  époque  que  Jean  Fernel  fut  consulté  par 
Henri  II  sur  la  stérilité  de  Catherine  de  Médicis. 


(1)  On  ignore  la  date  et  le  lieu  exacts  de  la  naissance  de 
Jean  Fernel.  Pierre  Bayle,  le  P.  Daire,  Guillaume  Plancy  et 
autres  biographes,  se  contredisent  mutuellement  sur  ce 
point.  Pourtant  Renauldln,  en  1815,  s'est  livré  à  une  étude 
spéciale  de  Fernel  et  il  résulte  de  ses  recherches  que  Jean 
Ftrnel  serait  né  à  Clermont  en  Beauvaisis,  au  cours  de 
l'année  1497. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  39 

Si  l'on  en  croit  Isaac  Bullart,  le  dauphin  avait, 
d'une  singulière  façon,  demandé  à  Fernel  d'exa- 
miner la  dauphine  :  «  Monsieur  le  Médecin,  au- 
rait-il dit,  feriez-vous  bien  des  enfants  à  ina 
femme?  »...  ce  à  quoi  Jean  Fernel  aurait  sage- 
ment répondu  :  «  C'est  à  Dieu,  Sire,  à  vous  don- 
ner des  enfants  par  sa  bénédiction  ;  c'est  à  vous 
à  les  faire  et  à  moi  à  y  aporter  ce  qui  est  de  la 
médecine  ordonnée  de  Dieu  pour  le  remède  des 
infirmités  humaines  (i).  » 

A  l'appui  de  Bullart,  Varillas  rapporte  le 
remède  que  Jean  Fernel  aurait  soi-disant  pres- 
crit à  Henri  II  pour  sa  femme  :  «  Le  peuple  étoit 
persuadé,  dit-il,  que  la  reine-mère,  après  dix  ans 
de  stérilité,  n'avoitconçu  le  roi  (François  II) 
que  parce  que  le  premier  médecin  Fernel  avoit 
conseillé  à  Henri  second  de  coucher  avec  elle 
durant  ses  ordinaires,  et  que  les  personnes  en- 
gendrées de  la  sorte  étoient  sujettes  à  cette  hon- 
teuse maladie  (la  lèpre)  (2).  »  Et  Mézeray  constate 
qu'en  effet  «  François  II  avoit  été,  dès  sa  nais- 
sance, de  complexion  malsaine,  étant  le  premier 

(1), Isaac  Bullart,  Académie  des  sciences  et  arts,  contenant 
les  vies  et  les  éloges  historiques  des  hommes  illustres  de  diverses 
nations,  avec  219  portraits  gravés  par  Larmessin  et  Boulon- 
nois.  Pari«,  1682,  2  vol.  in-fol.  (t.  II,  p.  84.) 

(2)  Antoine  Varillas,  Histoire  de  François  II,  t.  II,  p.  81. 


40  CATHERINE    DE    MEDICIS 

enfaiil  d'une  mère  qui  avoit  eu  ses  purgations 
bien  tard.  » 

Le  savant  médecin  calviniste  Antoine  Menjot 
est  aussi  de  Tavis  de  Varillas.  De  plus,  dans 
une  dissertation  physiologique  un  peu  naïve,  il 
nous  explique  pourquoi  et  comment  Catherine 
de  Médicis  n'était  susceptible  d'engendrer  qu'à 
certaines  époques  déterminées  :  «  Catherine  de 
Médicis,  dit-il,  n'étoit  stérile  que  par  une  trop 
grande  sécheresse  de  l'utérus,  ou  que  pour  être 
trop  serrée  dans  cette  partie.  Au  premier  cas,  la 
semence  rencontrant  une  terre  trop  aride,  ne 
pouvoit  fructifier.  Au  second  cas,  elle  ne  parve- 
noit  point  où  elle  devoit.  Or,  comme  pendant 
le  cours  des  ordinaires  de  la  royne,  la  partie 
s'humectoit,  et  se  dilatoit  plus  que  de  coutume, 
Fernel  jugea  qu'il  faloit  que  M.  le  Dauphin  prit 
alors  son  tems,  et  que  c'étoit  le  moment  pro- 
pice pour  faire  un  coup  de  partie  avec  son 
épouse.  »  Et  Menjot  ajoute  que  Jean  Fernel,. 
trèsiiïibu  des  principes  d'Hippocrate,  s'était  cer- 
tainement inspiré  de  ce  maître  antique  qui 
«  lui  avait  fourni  des  ouvertures  pour  ce  con- 
seil (i)  ». 

(1)    Antonius   Menjotius,   Dissertalionum    palhologicarum 
parles  IV  ;  16fô.  Part.  3,  p.  23.  (Traduction  de  Pierre  Bayle.) 


CATHERINE    DE   MEDICIS  41 

Guy  Patin,  Isaac  Bullart,  Louis  d'Orléans,  et 
Gabriel  Naudé  assurent  que,  pour  marquer  à 
Jean  Fernel  toute  la  reconnaissance  qu'elle  li.i 
devait,  Catherine  lui  fit  remettre,  à  la  naissance 
de  chacun  des  dix  enfants  qu'elle  eut  de  Henri  II 
après  le  traitement  de  ce  savant  médecin,  «  dix 
mille  écus  lors  de  chaque  accouchement  ». 
Bayle  s'est  efforcé  de  réfuter  ces  affirmations, 
mais  sans  grande  valeur  critique  dans  ses  argu- 
mentations. 

Quel  que  soit  le  remède  prescrit  par  Jean  Fer- 
nel contre  la  stérilité  de  Catherine,  et  quelle 
qu'ait  été  son  efficacité,  il  est  assuré  que  la  dau- 
phine  n'en  continuait  pas  moins  ses  absorptions 
de  breuvages  bizarres.  Un  jour,  le  connétable 
de  Montmorency  lui  ayant  indiqué  une  formule 
nouvelle,  elle  ne  sait  comment  exprimer  sa  recon- 
naissance au  vieux  gentilhomme  :  «  Je  ne  vous 
remercierai  point  de  ce  que  vous  m'avez  envoyé, 
lui  écrit-elle,  car  s'il  plaît  à  Dieu  qu'il  me  serve, 
je  ne  tiendrai  ce  bienfait  qui  est  le  plus  grand 
qui  me  serait  à  venir,  que  de  vous  (i).  »  Et  dès 


(1)  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  publiées  par  de  la 
Ferrière,  t.  I,  p.  6,  note.  (Original,  sans  lieu  ni  date,  con- 
servé à  la  Bibliothèque   nationale,  fonds  français,  n"    3292, 

fol.  58). 


42  CATHERINE    DE   MEDICIS 

que  sa  grossesse  sera  certaine,  elle  ne  manquera 
pas  de  Tannoncer  au  connétable. 

Selon  l'Estoile,  un  autre  personnage  de  l'en- 
tourage de  Catherine  aurait  également  contri- 
bué indirectement  à  la  rendre  mère  :  «  Le  frère 
du  comte  de  Retz,  dit  ce  chroniqueur,  étoit 
un  banquier  florentin  de  Lyon,  nommé  Gondi, 
seigneur  du  Peron,  duquel  la  femme  italienne 
avoit  trouvé  moyen  d'entrer  au  service  de  la 
reine  Katherine  de  Médicis  (en  lui  faisant  cadeau 
d'un  petit  chien  d'une  espèce  rare),  et  avoit  en 
charge  de  la  nourriture  des  enfants  du  roy  Henry 
et  d'elle,  en  leur  maillot  et  enfance.  Même,  di- 
soit-on,  qu'elle  avoit  aide  la  reine  qui  avoit 
demeuré  dix  ans  mariée  sans  avoir  lignée,  à  faire 
les  dits  enfants  (i).  » 

En  plus  des  recettes  magiques  et  des  prescrip- 
tions médicales,  Catherine  s'adresse  au  rédemp- 
teur des  chrétiens.  Par  des  prières  et  par  des 
psaumes,  elle  appelle  sur  elle  la  bénédiction  et 
la  protection  divines,  ce  qui  fait  la  joie  de  la 
reine  de  Navarre,  laquelle  déclare,  vers  la  fin  de 
1542,  que  devant  une  telle  dévotion,  «  il  ne  se 


(1)  L'Estoile,  Journal  de  Henri  III,  édition    Jouaust,  t.  I, 
p.  9,  15  juin  1574. 


r 


CATHERINE    DE   MEDICIS  43 

passera  pas  un  an  que  Dieu  ne  luy  fasse  grâce 
de  luy  donner  un  fils  ».  En  effet,  treize  à  qua- 
torze mois  s'écoulèrent  et,  le  19  janvier  de  l'an- 
née i544j  Catherine  enfantait  de  son  premier 
fils,  François  II.  «  Puis,  dès  lors,  elle  mit  au 
monde  régulièrement  fils  et  filles  (1)  »,  jusqu'à 
concurrence  de  dix  enfants. 

A  partir  de  la  naissance  de  François  II,  Cathe- 
rine est  plus  calme;  elle  sent  que  sa  situation 
de  Dauphine  est  enfin  assurée  et  elle  ne  souffre 
plus  autant  des  commentaires  désobligeants  de 
la  cour.  Çà  et  là,  elle  aura  bien  quelques  inquié- 
tudes, comme  celle  que  nous  rapporte  Desti- 
gny  de  Caen  (2),  mais  ce  ne  sont  plus  que  de 
simples  curiosités  :  «  Un  soir  du  mois  d'août  i547, 
dit  cet  auteur,  au  palais  des  Tournelles,  Cathe- 
rine avait  fait  établir  fhoroscope  de  l'enfant 
qu'elle  portait  dans  son  sein,  selon  les  indica- 
tions que  lui  avaient  envoyées  Gabriel  Siméoni, 
astrologue  florentin.  Ceci  se  passa  en  une  con- 
juration magique  à  laquelle  assistaient  la  dame 
Gondi  (astucieuse  gouvernante  des  enfants  de 
Catherine  et  sa  confidente),  et  son  fils  Albert  de 

(1)  Mémoires  de  Condé,  p.  624, 

(2)  Destigny   de   Caen,    oiiv.    cité   antér.,    p.    105   et    sui- 
vantes. 


44  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Gondi,  qui,  plus  tard,  fut  fait  comte  et  duc  de 
Retz,  enfin  maréchal  de  France.  De  cet  horos- 
cope Catherine  devait  avoir  et  eut  une  fille  (i).  » 


Si  dans  les  premières  années  de  son  mariage, 
Catherine  avait  eu  beaucoup  de  peine  à  sup- 
porter Diane  de  Poitiers,  sa  rivale,  elle  sut  sur- 
monter sa  jalousie  dès  qu'elle  fut  mère  :  «  Sur 
la  prière  du  roi,  dit  l'ambassadeur  Lorenzo  Con- 
tarini,  elle  toléra  patiemment  Mme  de  Valenti- 
nois  et  vécut  même  habituellement  avec  elle.  En 
retour,  Diane  avait  certaines  complaisances  et 
elle  envoyait  souvent  le  roi  dormir  avec  la 
reine  (2).  » 

Diane  faisait  plus  encore;  elle  soignait  Ca- 
therine pendant  ses  couches  et  ses  diverses  mala- 
dies. Puis,  lorsque  Catherine  fut  prise  à  Joinville 
d'un  mal  qui  mit  ses  jours  en  danger,  Diane  sut 
retenir  Henri  II  auprès  de  sa  femme,  et  c'est 
Diane  qui  nous  informe  du  dévouement  du  roi 
en  cette  circonstance  :  «  Je  vous  puis  assurer. 


(1)  Claude  de  France,  née  le  12  novembre  1547. 

(2)  Albert,  Relaz  degli  ambascial  :  Venel;  relazdi  Conîarini. 
Série  1",  t.  IV,  p.  78. 


r 


CATHERINE    DE   MEOICIS 


45 


écrit-elle  à  M.  de  Brissac,  que  le  roi  a  fait  fort 
bien  le  bon  mari,  car  il  ne  Ta  jamais  aban- 
donnée (i).  )>  Il  est  vrai  que  Diane  sait  bien 
faire  payer  au  roi  toutes  ces  amabilités.  D'une 


ARMIS  DE  CATHERINE  DE  MEDICIS 
APRÈS  LA  MORT  DE  SON  MARI. 

{Cab.  des  Estampes.) 

seule  fois,  il  lui  donne  «  cinq  mille  cinq  cents 
livres,  en  faveur  des  bons,  agréables  et  recom- 
mandables  services  qu'elle  a  cy-devant  faitz  à  la 
royne. 

Maintenant,  Catherine    se  renferme    entière- 


;1)  Lelîres  de  Diane  de  Poitiers  publiées  par  Gaiffrey,  p.  83. 


i6  CATIJERINE    DE    RILDICIS 

ment  dans  son  devoir  d'épouse  soumise  et  de 
mère  dévouée,  se  consacrant  uniquement  aux 
soins  de  ses  enfants.  Momentanément  appelée  à 
être  régente  du  gouvernement  de  France,  elle 
sera  de  nouveau  mise  à  l'écart  parce  que  cer- 
tains appétits  intéressés  auront  constaté  ses  trop 
grandes  aptitudes  à  gouverner  et  sa  supériorité 
intellectuelle  marquée. 

Mais  après  le  désastre  de  Saint-Quentin,  elle 
reparaîtra  sur  la  scène  gouvernementale.  Et 
alors  que  tous  désespèrent,  elle  saura  raviver 
l'énergie  parisienne  abattue,  arracher  par  son 
adresse  et  son  éloquence  un  important  subside 
au  Parlement  et,  en  un  seul  jour,  ramener  à  elle 
toute  Popinion  publique. 


CHAPITRE  II 


.ES  ORACLES  ASTROLOGIQUES  DE  LUC  GAURIC  ET  DE 
NOSTRADAMUS.  MORT  DE  HENRI  II  ET  MORT  DE 
MONTGOMxMERY. 


Il  y  a  quatre  cents  ans  à  peine,  on  croyait  fer- 
mement à  rinfluence  des  astres  sur  la  vie  hu- 
maine. Des  hommes,  possédant  tout  le  savoir 
mathématique  d'alors,  consacraient  entièrement 
leur  existence  à  l'étude  des  divinations  astro- 
logiques. Ils  concevaient  le  monde  tout  entier 
comme  une  unité  dont  chaque  objet,  animé  ou 
non,  en  était  une  partie  constitutive.  Allant  du 
simple  au  composé,  ils  partaient  de  l'examen  des 
êtres  et  des  choses  qui  les  entouraient,  pour  re- 
monter par  synthèse  jusqu'à  une  essence  divine. 
Tout  est  dans  an  et  an  est  dans  tout,  disaient-ils, 


48  CATIJKiaNE    DE    MLDICIS 

Et  au  lieu  de  procéder  comme  la  science  mo- 
derne qui  décompose  ce  loul  en  éléments  divers, 
les  savants  de  la  Renaissance  se  transportaient 
du  fait  à  la  loi  primordiale  de  laquelle  ils  pen- 
saient que  ce  fait  dérivait. 

De  leur  théorie  ils  concluaient  que  ta  nature, 
très  simple  dans  son  action,  obéissait  tout 
entière  à  une  petite  quantité  de  lois,  lesquelles 
régissaient  tous  les  faits  perceptibles  à  Thomme, 
et  que  ces  lois  elles-mêmes  dérivaient  d'une 
seule,  unique  et  grande  loi  :  la  loi  de  Vanalo- 
gie  (i).  En  outre,  ils  considéraient  que  le  monde 
entier,  désigné  sous  le  nom  de  macrocosme  (2), 


\1)  C'est  cette  loi  que  la  Table  cTÉmeraude  exprime  par 
cette  phrase  symbolique  ;  Ce  qui  est  en  bas  est  en  haut,  et  ce 
qui  est  en  haut  est  en  bas.  Les  astronomes  du  vingtième 
siècle  ont  repris  cette  théorie  sous  une  formule  plus  claire, 
en  déclarant  que  dans  V univers  il  n'y  a  ni  haut  ni  bas.  Voir 
notamment  l'ouvrage  de  M.  Camille  Flammarion  :  Qu'est-ce 
que  le  ciel?... 

(2)  Voir  la  savante  étude  du  docteur  anglais  Robert  Fludd 
ou  Fluctibus,  sur  le  macrocosme  et  le  microcosme.  Robert 
Fludd,  mort  en  1637,  fut  sans  contredit  l'un  des  hommes  les 
plus  savants  de  son  temps,  et  digne  de  figurer  à  côté  de 
Kircher,  de  Mersenne  et  de  Gassendi.  Les  ouvrages  de 
Robert  Fludd  sont  fort  rares  et  atteignent  des  prix  fabuleu- 
sement élevés  quand  l'un  d'eux  passe  en  vente.  L'édition  la 
plus  commune  est  celle  publiée  en  cinq  volumes  in-foL 
Quant  à  l'étude  du  macrocosme  et  du  microcosme  précitée, 
Fludd  la  publia  pour  la  première  fois  de  1619  à  1621,  sous  ce 


CATHERINE    DE    MEDICIS  19 

avait  une  vie  analogue  à  celle  de  l'homme  ou  mi- 
crocosme. Donc,  ce  que  l'on  savait  de  l'homme 
s'entendait  également  de  Tunivers.  Ainsi  établi- 
rent-ils la  loi  dite  du  iernaire,  où  Phomme  était, 
comme  Tunivers,  partagé  en  trois  grandes  par- 
ties distinctes  (i).  Ces  trois  divisions  pour  Fhom- 


titre  :  De  supernalarali,  naturali,  prœlernaîurali  et  conlrana- 
turali  microcosmi  historia.  En  1907  M.  Pierre  Piobb  a  traduit 
et  annoté  en  français  ce  très  curieux  travail;  1  volume  in-8. 
(1)  Pourtant,  de  temps  en  temps,  un  cerveau  plus  éclairé, 
plus  hardi  que  les  autres  s'élevait  pour  protester  contre  cet 
amas  d'erreurs  scientifiques.  Mais  ce  n'était  qu'un  éclair 
dans  la  nuit,  que  certaines  personnalités  étaient  intéressées 
à  ne  pas  laisser  briller.  Parmi  ces  précurseurs  de  la 
science  raisonnée,  combien  payèrent  leur  audace  par  la 
mort  ou  par  d'atroces  tortures  !  Le  génial  dominicain  Tho- 
mas Campanella,  mort  à  Paris  en  1639,  fut  mis  sept  fois  à  la 
question  et  resta  vingt-sept  ans  dans  les  fers,  pour  avoir 
osé  démontrer  que  le  nombre  des  mondes  était  indéfini.  Pri- 
nelli  fut  battu  de  verges  pour  avoir  déclaré  que  les  étoiles 
ne  tomberaient  pas.  Un  autre  penseur  dont  les  importants 
travaux  sont  peu  connus  et  qui  vivait  au  treizième  siècle, 
c'est-à-dire  bien  avant  Campanella  et  Prinelli,  alla  beaucoup 
plus  loin  dans  ses  affirmations.  C'est  le  savant  dominicain 
Vincent  de  Beauvais,  né  vers  1200  et  mort  en  1264.  Son 
Spéculum  niajus  ou  Miroir  général  du  monde,  est  une  mine 
extraordinaire  de  théories  scientifiques  hardies  pour  l'épo- 
que. Cet  ouvrage  renferme  la  matière  de  50  volumes  in-S" 
et  ce  n'est  pas  sans  surprise  que  l'on  y  constate  une  foule 
de  découvertes  soi-disant  modernes,  qui  étaient  parfaite- 
ment connues  de  Vincent  de  Beauvais.  Au  hasard  je  citerai 
la  vapeur,  l'Amérique,  la  rotondité  de  la  terre  et  les  lois  de 
Vattraction  universelle  que  Newton  ne  devait  redécouvrir  que 


50  CATHERINE    DE    MEDICIS 

me  étaient  :  la  première,  spirituelle;  la  seconde, 
morale;  et  la  troisième,  matérielle.  A  chacune  de 
ces  trois  divisions  correspondaient  trois  parties 
du  corps  humain.  La  tête^  siège  de  l'esprit,  cor- 
respondait à  la  partie  spirituelle  ;  le  cœur,  cor- 
respondait à  la  partie  morale;  et  enfin  le  ventre, 
avec  son  appareil  reproducteur,  correspondait 
à  la  partie  matérielle  en  raison  de  la  perpétua- 
tion de  la  race  humaine. 

De  même  Tunivers  était  régi  par  cette  loi  ter- 
naire. Lui  aussi  avait  ses  trois  parties  fondamen- 
tales :  le  ciel,  la  terre  et  Veau.  Confirmant  cette 
analogie,  l'homme  était  encore  considéré  comme 
une  partie  de  la  famille,  qui,  elle,  se  compose 
également  de  trois  éléments  :  \e  père,  la  mère  et 
Uenfant,  trinité  supérieure  de  l'individu  qui 
correspond  à  la  trinité  supérieure  de  l'univers 
formée  par  :  le  soleil,  une  planète  et  des  satellites 
envisagés  comme  issus  de  l'union  du  soleil-^ère 
et  de  la  planète-m.ë.re  (i). 


quatre  cents  ans  plus  tard.  Cette  œuvre  colossale  de  Vincent 
de  Beauvais  fut  Tune  des  premières  grandes  entreprises  de 
limprimerie.  Elle  fut  éditée  pour  la  première  fois  à  Stras- 
bourg en  1473  ;  10  volumes  in-fol. 

(1)  Voir  sur  la  loi  du  ternaire  et  les  principes  astrologi- 
ques, la  curieuse  collection  de  manuscrits  conservés  à  la 
Bibliothèque  de  l'Arsenal,  notamment  celui  que  nous  a  laissé 


CATHERINE    DE    MKDICIS  51 


C'est  cette  analogie  de  Ihomme  avec  Vunivers 
qui  pe_rmettait  aux  astrologues  de  soutenir  que 
tous  les  hommes  nés  à  un  moment  déterminé 
participaient  de  la  nature  entière  en  ce  moment 
même,  et  qu'ils  étaient,  par  rapport  aux  éléments 
qui  les  entouraient,  sous  la  même  influence  en 
étant  au  même  point  du  globe.  Donc,  le  fils  d'un 
roi  et  le  fils  d'un  paysan,  nés  à  la  même  heure^ 
au  même  lieu,  alors  qu'ils  subissaient  la  même 
influence  de  la  part  des  astres,  devaient  avoir  les 
mêmes  tendances. 

Cependant  les  astrologues  ne  niaient  pas  l'in- 
fluence du  milieu  dans  lequel  le  nouveau-né  était 
appelé  à  vivre,  pas  plus  qu'ils  ne  niaient  Tin- 
fluence  de  l'éducation.  Astra  inclinant  non  né- 
cessitant^ disaient-ils  ;  les  astres  prédisposent, 
mais  ne  forcent  pas  le  caractère.  En  conséquence 
l'homme  jouissait  toujours  de  son  libre  arbitre, 
pouvant  à  sa  guise  se  soustraire  ou  bien  s'aban- 
donner à  ses  instincts. 

Il  y  avait  deux  sortes  d'astrologie  :  Vastrolo- 
gie  naturelle  qui  était  simplement  l'astronomie 
proprement  dite,  et  V astrologie  j adiciaire  qui  re- 

le  comte  de  Boulainvilliers,  intitulé  :  De  V Astrologie  :  ce 
qu'un  honnête  homme  en  doit  sçauoir.  Ms.  Se.  et  A.,  n°  205,  in- 
161.  Voir  aussi  Mystère  des  sciences  occultes,  cuv.  ano.  s.  d. 


52  CATEIERINE    DE    MEDICIS 

posait  sur  rinterprétation  donnée  auxaspects  du 
firmament  à  certaines  époques  de  Tannée,  pour 
prédire  la  destinée  des  êtres.  Ainsi  que  le  démon- 
trent les  explications  philosophiques  qui  précè- 
dent, ces  deux  astrologies  reposaient  parfaite- 
ment sur  des  théories  scientifiques  de  la  valeur 
desquelles  les  mathématiciens  étaient  convaincus 
en  toute  bonne  foi.  C'est  pourquoi  il  ne  faut  pas 
trop  s'élever  contre  les  astrologues  qui  n'ont  pas 
toujours  été  des  imposteurs,  mais  plus  souvent 
des  savants  très  imbus  de  leurs  convictions  phi- 
losophiques et  scientifiques^  et  qui  cherchaient 
à  tirer  le  meilleur  profit  possible  de  leur  sa- 
voir. 


Au  milieu  du  seizième  siècle  vivait  en  Italie 
un  astrologue,  mathématicien  distingué,  dont  la 
science  était  universellement  connue,  et  qui  fut 
le  maître  de  Térudit  philologue  padouan  Jules 
Scaliger.  C'était  Luc  Gauric.  Né  d'une  famille 
pauvre,  à  Gifoni,  dans  le  royaume  de  Naples,  le 
12  mars  1476»  Gauric  débuta  péniblement  en 
vivant  du  produit  des  leçons  de  mathématiques 
qu'il  donnait  à  quelques  fils  de  grands  seigneurs. 
Puis  il  s'adonna  spécialement  à  l'étude  de  l'as- 


f 


CATHERINE    DE    MEDICIS  53 

trologie  judiciaire,  science  dans  laquelle  il  fit  non 
seulement  de  rapides  progrès,  mais  où  il  apporta 
une  méthode  nouvelle  d'observations  horosco- 
piques.  Des  événements  divers  ayant  pleinement 
justifié  la  valeur  de  ses  prédictions,  une  renom- 
mée s'établit  promptement  autour  de  son  nom, 
et  de  toutes  les  cours  italiennes,  les  plus  hau(s 
personnages  vinrent  en  grand  nombre  le  consul- 
ter. 

Parmi  ses  consultants  de  marque,  Luc  Gauric 
eut  le  malheur  de  (îompter  Jean  II  Bentivoglio, 
tyran  de  Bologne.  Ayant  demandé  à  Gauric 
quelle  était  sa  destinée  de  chef  d'État,  l'astrolo- 
gue déclara  sans  ambages  à  Bentivoglio  qu'il 
mourrait  chassé  de  Bologne.  La  prophétie  ne 
fut  pas  du  goût  de  ce  prince  qui  condamna  Gau- 
ric à  cinq  tours  d'estrapade,  dur  supplice  dont 
les  suites  firent  soufîrir  le  savant  pendant  plu- 
sieurs années  (i).  Mais  la  conclusion  que  les 
Bolonais    imposèrent   au   despotisme  de   Jean 


(1)  Dans  son  curieux  traité  De  infeliciiaîe  liîieraîorum,  Tal- 
lius  et  après  lui  Teissier  déclarèrent  que  Luc  Gauric  mou- 
rut à  la  suite  du  supplice  que  lui  fit  subir  Bentivoglio. 
C'est  une  erreur.  Luc  Gauric  mourut  à  Rome  le  6  mai^s  155H, 
dans  sa  quatre-vingt-deuxième  année.  Selon  Weis,  Gauri'c 
fut  inhumé  en  1  église  d'Ara  Cœli,  avec  une  épitaphe  portant 
cette  date  de  sa  mort. 


5i  CATHERINE    DE   MEDICIS 

Bentivoglio,  en  ouvrant  les  portes  de  leur  ville 
au  pape  Jules  II  (novembre  ido6),  donna  une 
fois  de  plus  raison  à  Part  divinatoire  de  Luc 
Gauric  qui,  de  ce  fait,  n'en  acquit  que  plus  de 
popularité. 

C'est  alors  que  le  pape  Paul  III,  désirant  faire 
dresser  son  horoscope,  fit  appeler  Luc  Gauric. 
Avec  une  précision  surprenante,  Gauric  prédit 
la  maladie  et  la  mort  de  ce  pape,  mort  qui  sur- 
vint exactement  au  jour  indiqué,  20  novembre 
1549.  Mais  sans  attendre  la  réalisation  de  la 
prophétie,  le  pape  Paul  III  avait  récompensé 
Gauric  de  son  savoir  en  le  dotant  de  l'évêché 
de  Givita-CastcUana,  et  en  lui  conférant  le  grade 
de  chevalier  de  Saint-Paul  (1). 

(1)  Luc  Gauric  se  démit  de  cet  évêché  au  bout  de  quatre 
années,  à  la  mort  de  Paul  III,  pour  revenir  définitivement  à 
Rome.  Les  œuvres  de  Luc  Gauric  ont  été  réunies  et  publiées 
à  Bàle  en  1575  (3  vol.  in-fol.).  On  y  remarque  Y  Éloge  de  r  astro- 
nomie et  de  fastrologie,  une  Description  de  la  sphère  céleste,  un 
Traité  du  mouvement  des  cinq  planètes,  des  Notes  sur  les 
tables  astronomiques  d'Elisabeth  d'Espagne  et  d'Alphonse-le- 
Sage,  un  Calendrier  ecclésiastique,  le  Calendrier  de  Jules 
César,  plusieurs  Traités  d'astrologie  judiciaire,  une  Méthode 
pour  apprendre  la  grammaire  à  toutes  sortes  de  personnes  dans 
lespace  de  trois  cents  heures,  et  un  Éloge  des  belles-lettres  des 
poètes  anciens  et  de  la  vraie  noblesse.  La  plupart  de  ces 
ouvrages  avaient  été  imprimés  séparément  du  temps  de 
Gauric.  Quant  aux  travaux  suivants  de  cet  astrologue,  ils 
ne  furent  point  compris  dans  le  recueil  de  Bâle;  ce  sont: 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


La  famille  des  Médicis  ne  resta  pas  en  ar- 
rière dans  la  confiance  que  la  noblesse  italienne 
accordait  à  Luc   Gauric.    D'ailleurs,  les  astro- 

De  conceptu  naîorum  et  seplimesîri  parla  ex  Valenîi  Antio- 
cheno,  in-4,  publié  à  Venise  en  1533  ;  De  eclipsi  solis  mira- 
culosa  in  passione  Domini  observata;  item  de  anno,  mense,  die 
et  horâ  conçeptionis,  nalivitalis^passionis  et  resurrecîionis  ejus; 
in-4  publié  à  Rome  en  1539,  puis  à  Paris  en  1553;  Ars  mys- 
tica  de  quanîitate  syllabarum  in  componendis  uersibus  necessa- 
ria,  in-l  publié  à  Rome  en  1545.  On  a  encore  de  Gauric 
des  vers  latins  publiés  dans  le  premier  volume  des  Delicise 
poëlarum  lîalorum,  Gallorum,  Belgicoruni  de  Jean  Gruter, 
mort  en  1627;  la  Doclrina  sinum  et  arcuum  insérée  à  la  suite 
du  Prinum  mobile  de  Erasme  Oswald,  in-fol.  publié  à  Bâle 
en  1567,  et  enfin  des  Notes  savantes  sur  VAlniagesle  de  Ptolé- 
mée,  sur  le  Traité  des  naissances  d'Abraham  Judeeus  et  des 
Réflexions  sur  les  jours  critiques.  Mais  à  notre  avis,  l'ouvrage 
le  plus  curieux  de  Luc  Gauric  est  assurément  son  grand 
traité  d'astrologie  intitulé  :  Lucse  Gaurici  geophonensis  epis- 
copi  ciuilatensis  Iractalus  astrologicus,  in  quo  agitur  de  prœle- 
riiis  multorum  hominum  accidentibus  proprias  eoram  genituras, 
ad  unguem  examinatis,  in-4  publié  à  Venise  en  1552.  Des 
bibliographes  ont  attribué  par  erreur  au  frère  de  Luc  Gau- 
ric, c'est-à-dire  à  Pomponius  Gauric,  un  livre  dans  lequel 
il  est  traité  de  la  Physiognonomie,  de  Vastrologie  judiciaire  et 
autres  sciences  occultes,  publié  à  Strasbourg  en  1630  avec 
la  Chiromancie  de  Jean  Abindagine;  mais  cet  ouvrage  est 
certainement  encore  de  Luc  Gauric.  La  vie  de  cet  astrologue 
célèbre  a  été  insérée  dans  les  Mémoires  de  Jean-François 
Nicéron  (t.  XXX),  mathématicien  français  mort  à  Aix  en 
1646  et  qui  fut  un  grand  admirateur  de  Luc  Gauric.  Rantzo- 
vius,  de  son  vrai  nom  Henri  comte  Rantzau,  riche  gentil- 
homme allemand  mort  en  1598,  et  qui  fut  également  un 
astrologue  distingué,  nous  a  laissé  des  notes  biographiques 
et  bibliographiques    sur   Luc   Gauric    dans   son   Catalogus 


56  CATHERINE    DE    MEDICIS 

logLies  avaient  toujours  trouvé  le  plusfavoral  le 
accueil  au  sein  de  cette  famille  ;  et  en  i5io,  lo:s 
de  la  naissance  de  Catherine,  son  père,  Lau- 
rent II,  avait  confié  rétablissement  du  thème  de 
la  nativité  de  sa  fille  à  Bazile-le-Mathématicien, 
fameux  devin  que  ses  prédictions  au  duc  de  Flo- 
rence avaient  classé  au  rang  supérieur  d-es  dres- 
seurs d'horoscopes.  Et  de  point  en  point,  ce 
dernier  détailla  les  futurs  qualités  et  défauts  de 
celle  qui  devait  être  reine  de  France  (i). 

Luc  Gauric  fut  donc  également  consulté  par 
les  parents  de  Catherine.  De  même  qu'il  avait 
justement   prédit  à   Hamilton,    archevêque    de 

imperalorum,  ac  regain  et  principam  qui  arlem  aslrologicam 
amaranl,  in-12  de  109  pages  publié  pour  la  première  fois  à 
Anvers  en  1580.  J'aurai  l'occasion  de  citer  à  nouveau  ce  sin- 
gulier ouvrage  qui  fut  analysé  par  Lalande  dans  sa  Biblio- 
graphie astronomique  (page  109).  Ajoutons  que  Renée  de 
France,  duchesse  de  Ferrare,  fdle  de  Louis  XII  et  d'Anne 
de  Beaujeu,  et  qui  fut  l'une  des  rares  femmes  érudites  de 
son  temps,  avait  été,  selon  'Varillas,  élève  de  Luc  Gauric. 

(1)  «  Les  astrologues  avaient  prédit  à  la  reine  de  France, 
Catherine  de  Médicis,  femme  de  Henri  [II],  qu'elle  était  née 
pour  détruire  le  trône  où  son  mariage  l'avait  fait  parvenir, 
comme  l'affirme  Guicciardino.  De  même,  son  oncle,  le 
pape  Clément  VII,  fit  la  même  prédiction  à  Charles  V,  au 
dire  de  l'historien  Paul  Jove.  Au  lecteur  à  juger  si  c'est  la 
vérité.  »  {Caîalogus  imperaloruni  ac  regum  qui  aslrologicam 
arlem  aniarunt.  Anvers,  in-8%  1580;  page  53.)  Traduction  inédile. 
Voir  aussi  :  Bibliothèque  nationale,  Destigny  de  Caen,  ou- 
vrage précité,  pp.  14  et  15  {Sans  indication  de  source). 


^^T' 


CATHERINE    DE    MEDICIS  57 

Sainl-André,  que  sa  prélaiure  se  terminerait  au 
gibet,  Gauric  prédit,  en  i493,  à  Jean  de  Médicis, 
grand-oncle  de  Catherine,  alors  cardinal  âgé  de 
quatorze  ans,  qu'il  serait  un  jour  souverain  pon- 
tife. En  effet,  vingt  ans  plus  tard,  en  i5i3,  Jean 
de  Médicis  coi  Tait  la  tiare  sous  le  nom  de 
Léon  X. 

A  Jules  de  Médicis,  autre  oncle  de  Catherine, 
Gauric  prédit  encore  une  extrême  débauche,  des 
luttes  politiques,  et  une  nombreuse  progéniture. 
Or,  Jules  de  Médicis,  élu  pape  sous  le  nom  de 
Clément  VII,  fut  célèbre  par  ses  démêlés  avec 
Charles-Quint  et  Henri  VIII  d'Angleterre,  autant 
que  par  ses  liaisons  féminines  desquelles  il  eut 
vingt-neuf  bâtards  (i). 


Catherine  de  Médicis,  devenue  dauphine  de 
France,  désira  connaître  la  destinée  de  son 
époux.  C'est  alors  qu'elle  pria  Luc  Gauric  de 
consulter  les  astres  et  de  consigner  l'influence 
qu'ils  pouvaient  avoir  sur  le  tempérament  et 
l'avenir  du  futur  Henri  IL 

(l)  Même  ouvrage,  p.  108. 


58  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Selon  la  règle  des  triplicités  de  Dioclès  et 
d'Avicenne,  Gauric  résuma  ses  observations  et 
déclara  d'abord  «  que  le  Dauphin  parviendrait 
certainement  au  pouvoir  royal,  que  son  avène- 
ment au  trône  serait  marqué  par  un  duel  sensa- 
tionnel, et  qu'un  autre  duel  mettrait  fin  à  son 
règne  en  même  temps  qu'à  sa  vie  (i).  »  En  une 
autre  consultation  dont  Claude  de  l'Aubespine 
nous  a  également  conservé  le  texte  latin,  Luc 
Gauric  ajoute  que  :  «  le  très  illustre  roi  très 
chrétien  Henri  de  France  acquerra  la  supré- 
matie sur  un  certain  nombre  de  rois  ;  il  par- 
viendra au  comble  des  grandeurs  humaines, 
avant  d'entrer  lui-même  dans  le  néant  ;  il  jouira 
d'une  très  heureuse  et  verte  vieillesse  comme 
l'enseignent  le  Soleil,  Vénus  et  la  Lune,  con- 
joints dans  riioroscope  et  principalement  le 
soleil  partiellement  compté  en  son  trône.  C'est 
dans  les  régions  soumises  au  Bélier  qu'il  réa- 
lisera ses  plus  hauts  rêves  de  domination.  S'il 
parvient  à  dépasser  les  années  de  sa  vie,  56^,  63^, 
64®,  etc,  ainsi  de  suite  jusqu'à  l'âge  de  soixante- 
neuf  ans,   dix  mois    et  douze  jours,   le    trajet 

(1)  Bibliothèque  nationale,  Destigny  de  Caen,  L.  G.  34  :  832, 
p.  103,  et  Colin  de  Plancy,  Dictionnaire  infernal^  p.  298,  article 
Luc  Gauric. 


">'■•■ 


CATHERINE    DE    MEDICIS  59 

de  l'existence  lui  sera  aisé  et  fortuné  (i).  » 
De  plus,  Gauric  précisa  le  genre  de  blessure 
dont  mourrait  Henri  II  au  cours  du  duel  an- 
noncé. Mais  comme  la  situation  sociale  de  ce 
prince  rendait  impossible  le  danger  mortel  d'un 
duel  proprement  dit,  on  accorda  peu  de  crédit 
à  la  prédiction  du  célèbre  astrologue.  Pour- 
tant Gauric  n'en  persista  pas  moins  dans  ses 
déclarations  qui  furent  imprimées  à  Venise 
en  i552,  soit  sept  années  avant  le  fameux  tour- 
noi où  Henri  II  devait  recevoir  la  mort  (2). 
Gauric  avait  en  outre  averti  le  roi,  par  lettre, 
dans  laquelle  il  lui  renouvelait  avec  plus  de 
détails  le  résultat  de  ses  observations  basées 
sur  des  calculs  astrologiques  antérieurs  de  cinq 
ans  à  la  naissance  royale.  Il  lui  recommandait 
particulièrement  «  d'éviter  tout  combat  singu- 
lier en  champ  clos,  notafnment  aux  environs  de 
la  quarante  et  unième  année,  parce  qu'à    cette 

(1)  Voir  citation  et  source  mentionnées  plus  loin  au  sujet 
des  notes  de  l'Aubespine. 

(2)  Luc  Gauric,  Opéra,  t.  Il,  Tractaîas  Naliuilatum;  Venise, 
1552,  îrois  vol.  in-fol.  M.  Marlet  bibliothécaire  du  Sénat,  a 
traduit  et  annoté  ce  curieux  horoscope  qui  n'a  été  inséré 
qu'en  partie  seulement,  dans  le  tome  II  de  :  Poisons  el  sor- 
tilèges des  docteurs  Cabanes  et  Nass,  eu  1903  (pp.  23  et  24). 
Le  texte  latin  est  également  inséré  dans  le  livre  de  l'Au- 
bespine.   • 


60  CATHERINE    DE    MEDICIS 

époque  de  sa  vie,  il  était  menacé  d'une  blessure 
à  la  tête  qui  pouvait  entraîner  rapidement  la  cé- 
cité ou  la  mort  ».  A  la  réception  de  cette  lettre 
Henri  II  avait  été  légèrement  affecté  et  voici  ce 
que  nous  dit  Brantôme  à  ce  sujet  : 

«  M.  le  comiestable  y  étoit  présent,  à  qui  le 
roy  dit  :  «  —  Voyez,  mon  compère,  quelle  mort 
«.  m'est  présagée.  —  Ah!  Sire,  respondit  M.  le 
((  connestable,  voulez-vous  croire  ces  marauts 
«  qui  ne  sont  que  menteurs  et  bavardz?  Faictes 
((  jetter  cela  au  feu.  —  Mon  compère,  répliqua  le 
«  roy,  pourquoi  ?  Ils  disent  quelquefois  vérité.  Je 
«  ne  me  soucie  de  mourir  autant  de  ceste  mort 
«  que  d'une  autre;  voire  Taymerais-je  mieux,  et 
«  mourir  de  la  main  de  quiconque  soit,  mais  qu'il 
«  soit  brave  et  vaillant,  et  que  la  gloire  m'en  de- 
«  meure.  «  Et  sans  avoir  esgard  à  ce  que  lui  avoit 
dict  M.  le  connestable,  il  donna  cette  professie 
à  gardera  M.  de  l'Aubespine,  et  qu'il  la  serrast 
pour  quand  il  la  demanderoit.  Hélas!  ny  luy, 
ni  M.  le  connestable  ne  songeoient  pas  à  ce  com- 
bat singulier  dont  il  mourut,  mais  d'un  autre 
duel  en  champ  clos  et  à  outrance  comme  duelz 
solempnelz  doivent  se  faire  (i).  » 

(1)  Œuvres  de  Brantôme,  publiées  et  annotées  par  Ludo- 
vic Lalanne.  Édition  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France  : 


CATHERINE    DE    MEDICIS  fjl 

Claude  de  TAubespiiie,  lui-même,  confiruie 
cette  singularité.  Le  soir  où  la  Trêve  de  V^u- 
celle  (5  février  i556)  fut  annoncée  au  roi,  «  on 
receut,  dit  ce  secrétaire  d'Etat,  une  despesche 
de  Rome  où  estoit  Toroscope  du  roy,  composé 
par  Gauricus.  Je  le  mis  de  latin  en  françoys 
pour  le  faire  entendre  au  roy.  Cet  oroscope  fut 
négligé  jusques  au  jour  de  la  blessure  du  dict 
seigneur  dont  je  représentay  la  ^coppie,  ce  qui 
donna  beaucoup  d'esbahissement  (i)  ». 

Le  très  éclairé  Jérôme  Cardan  avait  égale- 
ment été  chargé  par  Catherine  de  rédiger  Phoros- 
cope  de  son  époux.  Mais  Pierre  Gassendi  nous  a 
démontré  la  non-valeur  de  cette  seconde  pré- 
diction (-2).  11  est  vrai  que,  d'accord  avec  Bayle, 
Gassendi  critique  également  le  thème  établi  par 

t.  III,  p.  280.  Claude  de  l'Aubespine,  auquel  Henri  II  con- 
fia la  prophétie  de  Gauric,  était  baron  de  Châteauneuf 
et  fut  secrétaire  d'État  sous  François  î"»",  Henri  II  et 
Charles  IX.  Il  mourut  le  11  novembre  1567.  Voir  aussi  le 
Dictionnaire  historique  et  critique  de  Pierre  Bayle,  art. 
Henri  II,  pour  cette  prédiction  de  Luc  Gauric. 

(1)  Histoire  particulière  de  la  Court  de  Henry  II  (par  Claude 
DE  l'Aubéspine,  secrétaire  d'État).  Cet  ouvrage  qui  n'a  été 
publié  qu'en  1831,  fut  réimprimé  en  183")  dans  le  tome  III  de 
la  l"^  série  des  Archives  curieuses  de  l'Histoire  de  France 
(pp.  295  et  296). 

(2)  Gassendus,  Operum,  t.  II,  sect.  2  ;  Piiysica  :  liv.  6,^ 
p.  7-5. 

4 


62  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Luc  Gauric.  Mais  le  président  de  Thou  dans  scn 
Histoire  Universelle^  confirme  le  dire  de  Bran» 
tome  : 

«  Il  est  certain,  dit-il,  que  Luc  Gauric,  ma- 
thématicien que  Paul  III  considéroit  beaucoup, 
avoit  prédit  le  tems  et  le  genre  de  la  mort  du 
roi,  et  que  Catherine  de  Médicis  toujours  in- 
quiète de  Tavenir,  l'ayant  consulté  sur  la  des- 
tinée de  son  mari  et  de  ses  enfants,  il  lui  avoit 
répondu  que  le  roi  seroit  tué  en  duel  et  mour- 
roit  d'une  blessure  à  l'œil.  Comme  on  pensoit 
que  ce  prince  étoit  d'une  condition  à  craindre 
peu  les  hazards  d'un  duel,  on  se  moqua  de 
cette  prédiction  et  on  la  négligea  dans  le  temps. 
Quelques-uns,  pourtant,  remarquèrent  qu'au 
commencement  de  son  règne  il  avoit  autorisé  par 
sa  présence  un  véritable  duel  (i)  que  la  religion 
chrétienne  défend,  et  qu'il  perdit  la  vie  dans  les 
jeux  et  feinte  d'un  combat  singulier  (2).  » 

Selon  plusieurs  auteurs,  cette  prédiction  de  Luc 


(1)  Duel  de  Gui  Chabot  Jarnac  et  François  Vivonne  la 
Châtaigneraie;  qui  se  battirent  en  présence  de  Henri  II  à 
Saint-Germain-en-Laye,  le  16  juillet  1547.  Dans  ce  combat 
mourut  la  Châtaigneraie  qui  était  favori  du  roi. 

(2)  Histoire  Universelle  de  Jacques-Auguste  de  Thou  depuis 
1543  jusqu'en  1607.  Traduite  sur  l'édition  latine  de  Londres; 
16  vol.  in-4,  Londres,  1734,  (t.  III,  p.  369.) 


CATHERINE   DE  MÉDICIS 


CH 


Gauric  obsédait  tellement  Catherine  de  Médicis, 
qu'elle  fit  appel  aux  plus  renommés  savants  de 
son  temps,  soit  pour  contrôler  les  calculs  de  l'as- 
trologue, soit  pour  conjurer  le  danger  annoncé. 
C'est  ainsi  qu'elle  eut  recourra  Gabriel  Simeoni, 
autre  astrologue  florentin  qui  fut  aussi  un  littéra- 
teur de  médiocre  talent.  Venu  vers  i532  à  la  cour 
de  François  P^  qui,  sur  la  recommandation  de 
la  duchesse  d'Étampes,  lui  avait  accordé  une 
pension  annuelle  de  i.ooo  livres,  Gabriel  Si- 
meoni était  surtout  un  ambitieux  pédant,  dont  les 
connaissances  en  astrologie  judiciaire  n'étaient 
guère  plus  étendues  que  sa  valeur  littéraire. 
Aussi,  les  conclusions  qu'il  tira  de  son  examen  du 
thème  établi  par  Luc  Gauric,  ne  sont-elles  qu'une 
confirmation  banale  n'ayant  d'autre  but  que  celui 
de  maintenir  dans  l'esprit  de  Catherine  la  con- 
fiance aveugle  qu'elle  attachait  à  la  science  as- 
trologique. Outre  cette  consultation  complémen- 
taire, Destigny  de  Caen  nous  assure  que  Gabriel 
Simeoni  (i)  a  joué  un  rôle  dans  les   pratiques 

(1)  Gabriel  Simeoni  était  né  à  Florence  en  1509.  Après 
avoir  vécu  longtemps  en  France  sous  François  I"  et  sous 
Henri  II,  soit  à  Paris,  soit  à  Lyon,  sous  la  protection  du 
cardinal  de  Lorraine,  il  eut  une  vie  très  aventureuse  au 
cours  de  laquelle  on  le  voit  toujours  à  la  recherche  d'un 
Mécène  quelconque,  car  il  ne  publia  pas  un  ouvrage  sans 


€4  CATHERINE    DE    MEDICIS 

occultes  auxquelles  se  livra  Catherine,  lors- 
qu'elle désirait  si  ardemment  donner  à  Henri  II 
des  enfants  mâles  pour  la  succession  des  Valois 
au  trône  de  France. 

Des  écrivains  occultistes  ont  aussi  prétendu 
que  Catherine  de  Médicis,  lors  de  la  mort  de 
François  I"',  avait  soumis  la  prédiction  de  Luc 
Gauric  à  l'examen  du  savant  astronome  bolonais, 
Nicolas  Simi,  mort  en  i564.  Maris  cette  asser- 
tion ne  repose  sur  aucune  preuve,  et  les  érudits 
travaux  que  nous  a  laissés  Nicolas  Simi  mon- 


t'adressor  à  quelque  grand  personnage  susceptible  de  le 
soutenir  par  sa  fortune.  Finalement  il  passa  tranquillement 
les  dernières  années  de  sa  vie  auprès  d'Emmanuel-Philibert 
de  Savoie,  auquel  il  avait  dédié  son  livie  des  Devises.  Il 
mourut  à  Turin  vers  1570.  Touchant  la  science  astrologique, 
nous  avons  de  lui,  en  dehors  de  nombreux  ouvrages  litté- 
raires et  fantaisistes  :  De  la  Génération,  nature,  lieu,  figure, 
cours  et  signification  des  comète^,  imprimé  à  Lyon  en  1550. 
un  vol.  in-8.  Il  avait  aussi  rédigé  un  traité  d'Astrologie 
Judiciaire  qu'il  voulut  publier  sous  les  auspices  de  Pierre- 
Louis  Farnèse,  duc  de  Plaisance,  protecteur  de  l'Arétin. 
Mais  ce  prince  eut  le  bon  esprit  de  ne  pas  répondre  à  sa 
proposition,  ce  qui  épargna  au  public,  dit  Weiss,  la  mise  au 
jour  d"un  mauvais  ouvrage,  La  Bibliothèque  nationale  con- 
serve encore  un  ouvrage  de  Simeoni  intitulé  :  Épitome  "de 
r origine  et  succession  de  la  duché  de  Ferrare,  composé  en 
langue  toscane  par  le  seigneur  Gabriel  Symeon,  et  traduit 
en  français  par  lai-même.  Avec  certains  épistres  à  divers  per-- 
sonnages  et  aucuns  Épigrammes  sur  la  propriété  de  la  lune 
tandis  quelle  passe  par  les  douze  signes  du  ciel.  Pour  Mme  la 


CATHERINE    DE    MÉDICIS  <)5 

trent  que  ce  savant  ne  s'est  jamais  occupé  d'as- 
trologie judiciaire,  tous  ses  livres  étant  d-e  purs 
ouvrages  astronomiques,  sorte  de  résumés  des 
cours  publics  qu'il  pratiquait  à  l'école  de  Bo- 
logne (i). 


duchesse  de  Valenlinois.  (A  Paris,  au  Palais,  en  la  bou- 
tique de  Gilles  Corrozet,  1553,  in-8,  de  85  p.  avec  pri- 
vilège du  roy.)  En  plus  de  la  dédicace  de  l'ouvrage  à 
Diane  de  Poitiers,  on  trouve  à  la  page  43  (Épistre  XIX),  une 
lettre  sans  importance  adressée  à  la  favorite  de  Henri  II. 
Puis  des  épigrammes,  au  nombre  de  six,  également  dédiées 
à  Diane,  ainsi  qu'un  sonnet  sur  la  mort  de  M.  Saint- Vallier» 
frère  de  Diane.  C'est  de  cet  ouvrage  que  j'ai  extrait  le  por- 
trait de  Gabriel  Siméoni  ici  reproduit,  p.  175,  portrait  formant 
frontispice  de  ce  livre  très  rare.  Signalons  enfin,  comme  curio- 
sité bibliographique,  Les  illustres  observations  antiques  de 
Gabriel  Symeon  {Florentin),  en  son  dernier  voyage  d'Italie,  l'an 
1557.  Lyon,  Jean  de  Tournes,  15^8,  petit  in-4,  orné  de  nom- 
breuses figures  sur  bois. 

(1)  Les  principaux  ouvrages  de  Nicolas  Simi,  sont  :  Theo- 
rica  planetarum  in  compendium  redacka,  imprimé  à  Venise 
•en  1551,  puis  à  Bàle  en  1555;  Ephemerides  anno  XV,  ab  ànno 
Christi  1.554  ad  1568,  ad  nieridianum  Bononiœ.  Canones,  usum 
^phemeridum  explicantes,  imprimé  à  Venise  en  1554  ;  Trac- 
iatus  de  electionibus,  de  mutatione  aëris,  de  revolutionibus 
annorum  et  alla,  imprirné  à  Venise  en  1554,  un  vol.  in-4 
■enfin,  on  a  encore  de  lui  :  Introductoriuni  ac  sunimariuni 
iolius  geographiœ,  un  volume  in-8,  imprimé  à  Bologue  en 
1563.  La  bibliothèque  de  l'institut  de  Bologne  conserve 
quelques  autres  ouvrages  inédits  de  cet  auteur  relativement 
peu  connu,  et  qui  fut  pourtant,  sans  conteste,  l'une  des  plus 
grandes  figures  scientifiques  du  seizième  siècle. 


4. 


Autographe  de  Catij   ^ 
{Archives  n\    1 


éz 


ERINE  DE  MÉDICIS. 

ationales.) 


€8  CATHERINE    DE   MEDICIS 


Cependant,  il  existait  un  autre  homme  qui, 
depuis  le  seizième  siècle  jusqu'à  nos  jours,  a 
sans  cesse  été  l'objet  des  plus  enthousiastes 
admirations,  aussi  bien  que  des  plus  vils  déni- 
grements. C'est  l'auteur  des  étranges  Centuries, 
Michel  de  Nostre-dame,  plus  connu  sous  le  nom 
latinisé  de  Nostradamus. 

Indéniablement,  les  Centuries  ne  constituent 
pas  Tœuvre  d'un  cerveau  vulgaire,  et  les  quatre- 
vingts  éditions  de  ce  livre  mystérieux  démon- 
trent que  ce  travail  n'a  certes  pas  manqué  d'ap- 
préciateurs naïfs  ou  éclairés.  Tout  en  faisant 
des  réserves  pour  la  part  de  flatterie,  de  supersti- 
tion et  d'exagération  que  l'on  rencontre  parmi 
les  apologistes  de  Nostradamus,  tout  en  se  mé- 
fiant de  'a  crédulité  facile  avec  laquelle  certains 
d'entre  eux  ont  commenté  les  œuvres  du  célèbre 
astrologue,  il  faut  pourtant  reconnaître  avec 
Jean-Aimé    de     Chavigny    (i),    avec    Baltazar 

(1)  Jean-Aimé  de  Chavigny,  docteur  en  théologie,  né  en 
1524,  mort  en  1604,  était  un  élève  de  Nostradamus  avec 
lequel  il  étudia  durant  vingt-huit  années.  Tous  ses  ouvrages 
sont  relatifs  aux  travaux  de  son  maître;  en  voici  les  titres 
principaux  :  La  première  face  du  Janus  François,  contenant 


Guynaud  (i)  et  plus  récemment  avec  Anatole  Le 
Pelletier  (2),  que  le  nom  de  Michel  Nostrada- 
mus  est  vraiment  digue  d'être  compris  dans  la 
liste  des  grands  intellectuels  du  seizième  et  du 
dix-septième  siècles. 

Ami  intime  de  Jules-César  Scaliger^  Michel 
Nostradamus  tint  d'abord,  pendant  plusieurs 
années,  la  chaire  de  médecine  à  la  faculté  de 

les  troubles  de  France  depuis  1534  jusquen  1589,  fin  de  la 
maison  Valésienne,  extraite  et  colltgée  des  Centuries  et  commen- 
iaires  de  Michel  Nostradamus  (texte  latin  et  français),  im- 
primé à  Lyon  en  un  volume  in-8, 1594.  De  ce  très  rare  et  fort 
curieux  ou\'Tage  une  seconde  édition  revue  et  augmentée  fut 
publiée  à  Pans  en  1596,  un  vol.  in-8,  sous  le  titre  suivant: 
Commentaires  sur  les  Centuries  et  pronosîications  de  Nos- 
Iradamus.  On  a  encore  de  lui  :  les  Pléiades  divisées  en  sept 
Hures,  prinses  des  anciennes  prophéties  et  conférées  avec  les 
oracles  de  Nostradamus;  Lyon,  1603,  et  une  seconde  édition 
augmentée  publiée  dans  la  même  ville  en  1606,  un  vol. 
àn-8.  Ce  dernier  recueil  de  prédictions  est  tout  aussi  curieux 
«et  tout  aussi  rare  que  le  précédent. 

(1)  Baltazar  Guynaud,  qui  était  écuyer  royal,  avait  rempli 
pendant  plusieurs  années  la  charge  de  gouverneur  des  pages 
de  la  chambre  de  Louis  XIV.  Il  nous  a  laissé  la  Concor- 
dance des  prophéties  de  Nostradamus  avec  Vhistoire,  depuis 
Henri  II  jusqu'à  Louis-le-Grand,  la  vie  et  Vapologie  de  cet 
auteur,  un  vol.  in-12,  de  402  p.  dédié  à  Louis  XIV  et  publié 
à  Paris  en  1693.  Cet  ouvrage  a  été  réédité  dans  le  même 
format  à  Paris  en  1709. 

(2)  Les  Oracles  de  Michel  de  Nostredanie,  astrologue,  méde- 
■cin  et  conseiller  ordinaire  des  rois  Henri  11^  François  II  et 
Charles  IX,  par  Anatole  Le  Pelletier.  Paris,  1867,  2  vol. 
în-8,  chez  Le  Pelletier,  imprimeur-lithographe. 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


Montpellier,  où  il  avait  été  reçu  docteur  à  l'âge 
de  vingt-deux  ans.  Puis,  sans  pour  cela  quitter 
la  médecine,  il  se  passionna  pour  l'astrologie 
judiciaire,  reprit  les  textes  des  littératures  an- 
ciennes, traduisit  les  documents  astrologiques 
de  Pantiquité,  rectifia  plusieurs  calculs  astrono- 
miques, et  acquit  ainsi  promptement  une  renom- 
mée à  laquelle  s'intéressèrent  le  duc  et  la  du- 
chesse de  Savoie  qui  vinrent  le  consulter  à 
Salon-de-Craux,  sa  résidence  habituelle. 

En  i555  il  publia  ses  trois  premières  Centu- 
ries auxquelles  il  ajouta  les  cinquante-trois  pre- 
miers quatrains  de  la  quatrième,  avec  une  épî- 
tre  adressée  à  son  fils.  César  de  Nostredame  (i). 


(1)  Ouvrage  publié,  à  Lyon,  chez  Macé-Bonliomme,  MDLV, 
avec  privilège  du  roi  rendu  par  Hugues  du  Puis,  seigneur 
de  la  Motte  et  conseiller  du  roy,  privilège  donné  le  dernier 
jour  dapuril  (avril)  et  achevé  d'imprimer  le  quatrième  jour  de 
may.  Voir  P"  Centurie,  §  35  de  cette  édition  pour  la  pro- 
phétie relative  à  la  mort  de  Henri  II.  Un  exemplaire  de 
cette  rarissime  édition  était  conservé  à  l'ancienne  biblio- 
thèque de  la  ville  de  Paris  installée  à  l'Hôtel  de  Ville  et 
détruite  en  1871.  Ce  livre  y  était  catalogué  sous  la  cote 
Y  :  n°4621.  Un  exemplaire  du  livre  de  Jean- Aimé  de  Chavigny, 
La  première  face  du  Janus  François  précité  et  qui  subit 
le  même  sort,  était  catalogué  sous  la  cote  :  Y.  N°  4629,  à  la 
même  bibliothèque.  Au  sujet  de  cette  prédiction,  César  de 
Nostradamus,  fils  du  devin,  fait  les  réflexions  suivantes  : 
«  Prophétie  à  la  fois  estrange  où  pour  la  cage  d'or  se  voit 
«  le  timbre  royal  dépeint  au  vif,  qui  accordant  merveilleu- 


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CATHERINE    DE   MEDICIS 


Or,  la  même  année,  Henri  II,  qui  avait  eu  con- 
naissance des  Centuries  et  du  sort  que  Nos- 
tradamus  lui  prédisait  dans  ce  livre,  fut  frappé 
de  la  concordance  qui  existait  entre  cette  pré- 
diction et  celle  que  lui  avait  précédemment 
faite  Luc  Gauric.  Aussi,  fît-il  venir  Nostrada- 
mus  à  la  cour(i5  août  i555)  où  le  devin  lui  con- 
firma verbalement  les  présages  de  mort  insérés 
sous  la  forme  suivante  dans  la  première  Centurie  i 

Le  Lyon  jeune,  le  vieux  surmontera 
En  champ  bellique  par  singulier  duelle. 
Dans  cage  d'or  les  yeux  lui  crèvera. 
Deux  classes,  une  seulement,  puis  (brisure)  mourir. 
Mort  cruelle. 

Toute  énigmatique  que  puisse  paraître  cette 
rédaction,  il  faut  avouer  que  les  événements 
ont  prouvé  qu'elle  ne  manquait  pas  de  justesse 


«  sèment  bien  avec  ce  qu'il  avoit  dit  en  quelque  autre- 
«  endroit  en  ces  termes  courts  et  couverts  Forge  étouffera 
«  le  bon  grain.  Car  non  •  seulement  le  nom  de  celuy  qui 
«  porta  ce  coup  de  lance  tant  malheureux  y  est  exprimé,. 
«  mais  je  ne  sais  quel  mystique  pronostic  de  la  nouvelle  doc- 
<(  trine  quitascheroit  d'estouffer  la  pure  et  orthodoxe  créance 
«  de  plusieurs  hommes  déceus.  »  [Histoire  et  Chronique  de 
Provence.,  de  César  de  Nostradamus,  gentilhomme  pro- 
vençal, etc.  Lyon,  1611,  chez  Simon  Rigaud,  avec  privilège-^ 
in-fol.,  p.  782.) 


CATHERINE    DE   MEDICIS  73 

dans  les  détails,  et  qu'elle  était  tout  aussi  pré- 
cise que  celle  de  Luc  Gauric. 

Cependant,  Gauric  mourait  le  i5  mars  i558  et 
Nostradamus,  définitivement  attaché  à  la  cour 
de  France  en  qualité  de  médecin-astrologue, 
devenait  conseiller  ordinaire  du  roi  (i).  Cathe- 
rine de  Médicis  lui  accordait  une  réelle  sympa- 
thie. Elle  le  consultait  fréquemment  soit  pour 
ses  agissements  personnels,  soit  pour  les  actes 
que  devait  accomplir  Henri  II.  Selon  les  con- 
seils du  devin,  elle  augmentait  chaque  jour  la 
surveillance,  l'étiquette  et  les  précautions  né- 
cessaires à  la  sécurité  du  roi;,  et  les  deux  pré- 
dictions touchant  la  vie  de  son  mari  étaient 
devenues  chez  elle  une  véritable  obsession.  Au- 
paravant, c'était,  à  la  cour  de  France,  une  exis- 
tence conformée  aux  fantaisies  d'autrui,  et  une 
étiquette  pour  laquelle  il  n'y  avait  aucune  règle 
rigoureuse.  Maintenant,  dit  Henri  Bouchot,  les 
obligations  sont  autres,  elles  sont  plus  étroites, 
et,  pour  avoir  obtenu  le  droit  d'ordonner,   Ca- 

(1)  La  Vie  de  Michel  Nosfradamus  ;  Paris,  1789.  Voir  cet 
ouvrage  passim  et  la  Clef  de  Noslradamus,  avec  la  critique, 
par  un  Solitaire,  Paris,  1716,  un  volume  in-12.  Voir  aussi  : 
Éclaircissement  des  véritables  quatrains  de  Maistre  Michel 
Nostradamus,  ouvrage  anonyme  publié  à  Paris  en  1656  ;  un 
vol.  in-12. 


CATHERINE    DE   MEDICIS 


Iherine  n'a  même  plus  le  moyen  de  s'ab&traire 
ni  de  rêver.  On  a  indiqué  l'heure  du  réveil  de 
la  reine  aux  dames  d'honneur  ;  si  Ton  paresse, 
il  y  a,  aux  antichambres,  des  personnes  venues 
qui  attendent.  Bon  gré,  mal  gré,  on  devra  s'ha- 
biller et  accorder  audience  aux  visiteurs  impor- 
tuns. Catherine,  réglant  sa  vie  sur  celle  du  roi^ 
est  debout  dès  sept  heures,  et  s'il  donne  au- 
dience à  ses  conseillers,  elle  a  ses  secrétaires 
auxquels  elle  dicte  sa  correspondance  volumi- 
neuse. A  dix  heures,  messe  de  cour,  petit  céré- 
monial, intimité,  musique  seulement  aux  fêtes. 
Au  sortir  de  la  chapelle,  le  premier  repas.  Après 
ce  déjeuner,  une  courte  sieste  et  les  audiences. 
Celles-ci  terminées,  ce  qui  conduit  à  deux  heures 
de  l'après-midi,  la  reine  reçoit  le  roi  et  tient  son 
cercle.  S'il  fait  beau  temps,  le  roi  joue  à  la 
paume  et  Catherine  sort  pour  la  promenade  ; 
s'il  pleut,  le  roi  tient  son  jeu  de  dés  ou  son 
tarot,  et  la  reine  brode  ou  entend  la  lecture  de 
quelques  pages  littéraires  ou  scientifiques.  A 
six  heures,  dîner  en  famille,  puis  deux  fois  par 
semaine,  un  bal. 

Et  tout  ceci  se  passe  sans  une  seconde  d^a 
parie,  sous  l'œil  de  mille  valets,  avec  le  capi- 
taine des  Gardes  faisant  ses  rondes  incessantes. 


CATHERINE   DE    MEDICIS 


avec  les  archers  montant  leur  faction  aux  esca- 
liers, de  marche  en  marche,  avec  les  Suisses 
encombrant  les  vestibules^  les  corridors  et  les 
cours.  Vers  la  nuit,  le  grand-maître  ordonne  la 
lumière^  et  subitement  cinq  cents  flambeaux 
jettent  leur  lueur  aux  moindres  recoins  du 
palais,  les  cours  a^'ant  leurs  falots  et  les  anti- 
chambres leurs  lampadaires.  Jamais  la  porte  du 
palais  ne  s'ouvre  avant  que  le  roi  ne  soit  éveillé. 
S'il  dort,  personne  n'entre  ni  ne  sort,  et  lui- 
même  a  les  clefs  sous  son  traversin  (i). 

Au  milieu  de  cette  existence  luxueusement 
réglée  et  pleine  de  méfiance,  la  superstition  ne 
perdait  pas  ses  droits.  Tout  en  déclarant  bien 
haut  qu'il  ne  croyait  ni  aux  prédictions,  ni  aux 
sortilèges,  Henri  II  pensait  sans  cesse  aux  pro- 
phéties de  Luc  Gauric  et  de  Nostradamus.  Si 
l'on  en  croit  Mme  de  la  Fayette,  il  aimait  assez. 
à  en  parler  dans  son  entourage,  et  un  jour 
d'avril  i559,  où  le  roi  était  chez  la  reineibrheure 
du  cercle,  comme  la  conversation  roulait  sur  les 
horoscopes  et  que  les  opinions  étaient  partagées, 
la  reine  déclara  qu'elle  y  ajoutait  beaucoup  de 

(1)  Henri  Bouchot,  Catherine  de  Médicis.  Édition  Goupil 
et  Cie,  Paris,  1899  ;  un  magnifique  volume  in-fol.  avec 
planches.  Voir  pp.  46  et  47. 


76  CATHERINE    DE    MEDIC.IS 

foi.  Elle  soutint  qu'après  tant  de  choses  qui 
avaient  été  prédites  et  que  l'on  avait  vu  se  réa- 
liser, on  ne  pouvait  douter  qu'il  n'y  eût  quelque 
certitude  dans  les  sciences  divinatoires.  Le  roi 
ajouta  qu'il  avdt  eu  autrefois  beaucoup  de  cu- 
riosité pour  l'avenir,  mais  qu'on  lui  avait  dit 
tant  de  choses  fausses,  qu'il  demeurait  con- 
vaincu que  rien  n'était  véritable  dans  ces  racon- 
tars. Pourtant  il  conta  la  prédiction  de  Luc 
Gauric  :  «  Il  me  prédit  que  je  serois  tué  en  duel, 
dit  le  roi.  Il  annonça  à  M.  de  Guise  qu'il  seroit 
tué  par  derrière  et  à  d'Escars  qu'il  auroit  la 
tête  cassée  d'un  coup  de  pied  de  cheval.  M.  de 
Guise  s'ofîensa  quasi  de  cette  prédiction,  comme 
si  on  l'eût  accusé  de  devoir  fuir.  D'Escars  ne  fut 
guère  satisfait  de  trouver  qu'il  devoit  finir  par 
un  accident  si  malheureux.  Enfin,  nous  sortîmes 
tous  très  mal  contents  de  l'astrologue.  Je  ne 
sais  ce  qui  arrivera  à  M.  de  Guise  et  à  d'Escars; 
mais  il  y  a  guère  d'apparence  que  je  sois  tué 
en  duel.  Nous  venons  de  faire  la  paix,  le  roi 
d'Espagne  et  moi  (i);  et  quand  nous  ne  l'aurions 

(1)  La  paix  à  laquelle  Henri  II  fait  ici  allusion,  est  la  paix 
de  Cateau-Cambrésis  signée  le  7  avril  1559  {Archives  natio- 
nales :  M.  V.  8,  pièce  n°  36).  Cet  accord  avait  également  été 
prédit  par  Nostradamus  dans  sa  Neuvième  Centurie,  para- 
graptie  52,  ainsi  traduite  par  Le  Pelletier  :  «   La  paix  de  la 


CATHERINE    DE   MEDICIS  77 

pas  faite,  je  doute  que  nous  nous  battions,  et 
que  je  le  fisse  appeler  comme  le  roi  mon  père 
fît  appeler  Charles-Quint  (i).  » 


Un  double  mariage  vint  cimenter  cette  pacifi- 
cation. Elisabeth  de  France,  fille  aînée  de 
Henri  II  et  sa  sœur,  Marguerite,  furent  unies, 
la  première  au  roi  d'Espagne,  et  la  seconde  au 
duc  de  Savoie,  Philibert-Emmanuel.  Suivant 
l'usage;  la  cour  de  France  décida  de  célébrer 
ce  triple  événement  par  des  fêtes  splendides, 
festins,  bals  et  tournois.  Pendant  les  prépa- 
ratifs de  ces  réjouissances,  Henri  II,  libre  des 
préoccupations  de  la  guerre,  redoubla  de  ri- 
gueur envers  les  protestants  dont  le  nombre 

France  avec  l'Espagne  s'approche  d'un  côté,  et  la  guerre 
civile  des  catholiques  avec  calvinistes  s'approche  de 
l'autre.  Jamais  on  n'aura  une  lutte  aussi  acharnée.  Plaignez 
hommes,  femmes  et  enfants  innocents  dont  le  sang  ruis- 
sellera à  flots.  Car  catholiques  ou  réformés,  ce  sera  quand 
même  du  sang  français  qui  sera  versé  de  part  et  d'autre.  » 
(1)  La  Princesse  de  Clèves,  par  Mme  de  la  Fayette  ;  édition 
avec  notes  de  Garnier  frères,  pp.  308  et  309.  Dans  sa  notice 
sur  Mme  de  la  Fayette,  l'académicien  L.  S.  Augera  dit  tout 
ce  que  l'on  peut  dire  sur  la  valeur  historique  de  la  Prin- 
cesse de  Clèues  ;  je  n'insisterai  donc  pas  sur  ce  détail  docu- 
mentaire. 


78  CATHERINE    DE    MEDICIS 

croissait  sans  cesse,  et  gagnait  même  les  mem- 
bres du  Parlement.  «  Quand  cela  ne  serviroit, 
Sire,  lui  disait  le  cardinal  de  Lorraine,  frère  du 
duc  de  Guise,  quand  cela  ne  serviroit  qu'à  faire 
paroître  au  roi  d'Hespaigne  -que  vous  estes 
ferme  en  la  foy  et  que  vous  ne  voulez  tollérer  en 
vostre  royaume  qui  puisse  apporter  aulcure 
tache  à  vostre  très  excellent  tiltre  de  roy  très- 
chrestien^  encore  y  devez-vous  aller  très  fran- 
chement et  de -grand  couraige  (i).  » 

Le  bon  cardinal  ajoutai  t^que  pour  bien  célé- 
brer le  mariage  de  la  fille  et  de  la  sœur  royales, 
il  serait  utile  de  brûler  en  «  place  publique, 
comme  hérétiques-luthériens,  une  demi-dou- 
zaine de  conseillers  qui  gâtent  ce  sacré  corps 
du  Parlement.  » 

Henri  II  s'empressa  de  suivre  ces  féroces 
conseils  et  se  rendit  en  personne  à  une  séance 
du  Parlement  où  les  magistrats  reçurent  Tordrje 


(1)  Mémoires  de  François  de  Sce^peaux,  sire  et  maEéclial 
de  Vieille  ville,  né  en  1509,  mort  empoisonné  en  157.1.  Ces 
mémoires,  fort  intéressants,  ont  été  rédigés  par  François 
Carloix,  secrétaire  de  Vieilleville,  et  publiés  pour  la  pre- 
mière fois  en  1757  avec  commentaires  du  jésuite  P.  Griffet 
(cinq  volumes  in-12).  Voir  cet  ouvrage  au  livre  Vil,  ji.  24, 
édition  de  L.  Guérin  et  F.  Delatour,  éditeurs  rues  Saint- 
Jacques  et  Saint-Thomas  d'Aquin. 


^'' 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


de  délibérer  à  haute  voix,  en  présence  du  roi, 
sur  les  punitions  encourues  par  les  protestants. 
Plusieurs  conseillers,  quand  vint  leur  tour  de 
prendre  la  parole,  n'hésitèrent  pas  à  exprimer 
hardiment  leur  pensée  qui  n'était  pourtant  pas 
celle  du  souverain. 

Le  conseiller-clerc,  Anne  du  Bourg,  fils  d'un 
ancien  chancelier  de  France,  fut  plus  particu- 
lièrement précis  dans  son  discours  de  protesta- 
tion loyale,  tandis  que  le  premier  président 
ie  Maître  trahissait  le  Parlement  en  dénonçant 
au  roi  le  secret  des  délibérations  antérieures. 
C'est  à  la  f5éaac«  mémorable  du  lo  juin  i559  que 
Anne  du  Bourg  déclara  devant  le  roi  «  qu'il  était 
étrange  de  voir  chaque  jour  à  la  caur  de  France 
des  crimesse  dérouler  sous  la  forme  des  supers- 
titionsles  plus  diverses,  astrologie,  sorcellerie, 
magie,  à  côté  des  blasphèmes,  adultères,  dé- 
bauches horribles  et  .parjures,  crimes  qui  se 
commettent  impunément  à  la  face  du  ciel,  pen- 
dant que  les  îblasphémateurss'iiigénientà  trouver 
les  plus  atroces  supplices  pour  détruire  des 
humains  dont  le  seul  crime  est  de  demander 
une  salutaire  iréfornite  (i).  » 

il)  Mémoires  de  François  de  Vieilleuille  :  Livré  W\,  passim. 


80  CATHERINE    DE   MÉDICIS 

Henri  II  ne  s'y  trompa  pas.  C'était  nettement 
une  attaque  contre  les  pratiques  occultes  de  sa 
femme,  et  contre  ses  ouvertes  débauches  avec 
Diane  de  Poitiers.  D'ailleurs,  si,  après  cette 
déclaration  de  du  Bourg,  le  roi  avait  encore 
conservé  quelque  doute  sur  l'aversion  que  lui 
manifestait  le  Parlement,  ce  doute  dut  tomber 
complètement  lorsque  le  conseiller  du  Faur 
décrivit  les  abus  de  l'Église  et  de  l'autorité 
royale,  ajoutant  «  qu'il  fallait  bien  entendre  quels 
étaient  ceux  qui  troublaient  vraiment  l'Eglise,  de 
peur  qu'il  n'y  eût  à  dire  ce  que  le  prophète  Elie 
dit  au  roi  Achab  :  C'est  toi,  prince,  qui  troubles 
Israël  ! 

Puis,  les  deux  présidents  delà  chambre  de  la 
Tournelle,  Séguier  et  Harlay,  estimèrent  que  le 
Parlement,  en  ne  condamnant  pas  à  mort  les 
hérétiques,  avait  fort  bien  jugé  et  qu'il  continue- 
rait à  juger  ainsi.  Mais  le  premier  président,  le 
Maître,  qui  avait  sourdement  dénoncé  ses  col- 
lègues, jetant  bas  le  masque,  répondit,  en  vocifé- 
rant, qu'il  fallait  renouveler  d'urgence  les  exter- 
minations jadis  entreprises  contre  les  anciens  Al- 
bigeois (i)  et  plus  récemment  contre  les  Vaudois. 

(1)  Outre  leur  hérésie,  plusieurs  Albigeois  ou  Cathares 
furent  poursuivis  et  condamnés  au  supplice  du  l'eu  pour 


CATHERINE    DE    MEDICIS  81 

La  délibération  achevée,  le  roi  ne  laissa  pas 
compter  les  voix.  Il  se  fit  remettre  le  procès- ver- 
bal des  séances  générales  et  les  arrêts  de  la 
chambre  de  la  Tournelle.  «  11  nous  déplaît  gran- 
dement, dit-il,  d'avoir  reconnu  qu'il  y  ait  en 
notre  cour  de  parlement  des  gens  dévoyés  de 
la  foi.  Nous  soutiendrons  les  bons  et  ferons  pu- 
nir sévèrement  les  autres  pour  servir  d'exemple.  » 
Puis  il  ordonna  d'arrêter  du  Bourg,  du  Faur, 
trois  autres  conseillers  et  un  président.  Des 
lettres  patentes  furent  ensuite  expédiées  à  tous 
les  juges  de  province  pour  la  répression  des 
hérétiques,  lettres  dans  lesquelles  le  roi  disait 
qu'il  regrettait  de  ne  pas  avoir  sévi  plus  tôt, 
qu'il  en  avait  été  empêché  par  la  guerre,  mais 
que  désormais  ce  serait  là  sa  grande  affaire; 
ces  ordres  se  terminaient  par  des  menaces  ter- 
ribles à  l'adresse  des  juges  qui  faibliraient. 
Enfin,  il  institua  pour  juger  les  magistrats  pri- 
sonniers une  commission  arbitrairement  choisie, 
à  la  tête  de  laquelle  étaient  l'évêque  et  Tinqui- 

crime  de  magie.  Il  est  certain  que  parmi  les  Albigeois  se  glis- 
sèrent quelques  nécromants  qui  joignirent  au  gnoslicisme 
catharique  et  aux  sacrifices  que  la  secte  pratiquait  dans  les 
ténèbres  des  rites  étranges  tiré&  des  magies  slave  et  chal- 
déenne.  Je  possède  sur  ce  cuiieux  sujet  des  documents  que 
je  me  propose  de  publier  en  une  étude  spéciale. 


;ic/  f3^ 


^2  CATHERINE    DE   MEDICIS 

siteur  de  Paris.  Pour  confirmer  sa  colère, 
Henri  II  déclara  à  cette  commission  «  qu'il  vou- 
lait voir,  de  ses  deux  yeux,  brûler  Anne  du 
Bourg  ». 

Or,  il  ne  devait  pas  avoir  cette  cruelle  satis- 
faction. L'entassement  des  fagots  du  bûcher  de 
Anne  du  Bourg  exigea  six  mois  de  préparatifs  (i), 
et  l'heure  était  proche  où  les  oracles  astrolo- 
giques allaient  être  sanctionnés  par  leur  accom- 
plissement fatal. 


En  même  temps  que  cette  violente  dis- 
cussion politico-religieuse,  s'achevaient  les 
apprêts  des  fêtes  royales.  Au  bout  de  la  rue 
Saint-Antoine,  devant  le  vaste  hôtel  des  Tour- 
nelles  devenu  la  résidence  ordinaire  du  roi, 
depuis  qu'au  siècle  précédent  la  cour  avait  aban- 
donné le  vieil  Hôtel  Saint-Pôl,  se  dressaient  les 

(1)  Anne  du  Bourg  n'était  âgé  que  de  trente-huit  ans,  lors- 
qu'il fut  étranglé  et  brûlé  en  place  de  Grève  le  23  décem. 
bre  1559.  Les  protestants  chantèrent  le  courage  de  ce  mar- 
tyr; voir  entre  autres  poèmes  huguenots  spéciaux  à  ce  sujet  : 
La  Chanson  spirituelle  d'Anne  du  Bourg,  conseiller  du  roy  en 
parlement,  estant  es  lieux  pour  soustenir  la  parole  de  Dieu  et 
pour  laquelle  il  souffrit  constamment  la  mort.  (Petit  in-8,  de 
quatre  feuillets,  publié  à  Paris  en  1560.) 


?>- 


CATHERINE    DE    MÉDICIS  83 

tribunes  et  la  lice  où  les  plus  brillants  cheva- 
liers allaient  procéder  aux  joutes  et  tournois, 
principales  attractions  que  comportait  le  pro- 
gramme des  réjouissances  organisées. 

Le  3o  juin  i559,  ^'^^'^  neuf  heures  du  matin, 
le  roi  fît  ajinoncer  à  son  de  trompe,  l'ouverture 
des  tournois.  Après  le  dîner  de  midi,  il  déclara 
qu'il  se  portait  comme  tenant  aux  combats  en 
champ  clos,  et  il  ordonna  à  M.  de  Boisy,  grand 
écuyer  de  France,  de  lui  apporter  ses  armes. 
Cet  ordre  ayant  été  exécuté,  Henri  II  descendit 
au  champ  où  seigneurs  et  nobles  dames  avaieiiit 
pris  place  dans  les  tribunes,  et  où  la  reine  pré- 
sidait entourée  de  ses  filles  d'honneur. 

«  M.  de  Vieilleville,  dit  le  roi  en  s'adressant 
<(  à  ce  gentilhomme,  armez'^moi  sur4e-<champ.  » 

C'était ;à  M.  de  Boisy  qu'appartenait  la  fonc- 
tion d'armer  le  roi.  Mais  ce  jour-là,  Henri  sem- 
blait absorbé  par  une  pensée  et  dans  sa  préoc- 
cupation, il  s'était,  par  erreur,  adressé  à  M.  de 
Vieilleville.  Ce  gentilhomme  obéit  et  plaça 
l'armet  sur  la  tête  royale.  Mais,  en  exécutant 
cet  ordre,  M.  de  Vieilleville  ne  put  s'empêcher 
de  dire  au  roi,  avec  un  soupir  d'inquiétude  : 
qu'il  ne  fist  de  sa  vie  chose  plus  à  conire'Cœuv 
que  celle-là.    Henri  ne  lui  en  demanda  pas  la 


81  CATHERINE    DE    MEDICIS 

cause,  parce  qu'au  même  instant,  M.  de  Savoie 
se  présenta  tout  armé  pour  lutter  contre  Sa  Ma- 
jesté qui  dit  en  riant  au  Savoyard  :  «  Monsieur 
mon  frère,  serrez  bien  les  genoux,  car  je  vais 
sûrement  bien  vous  esbranler  sans  respect  pour 
l'alliance  et  la  fraternité  qui  déjà  nous  unis- 
sent. » 

Les  deux  cavaliers  entrèrent  en  lice  et  exécu- 
tèrent une  course  remarquable,  où  leurs  lances 
se  rompirent  avec  bravoure.  M.  de  Guise  vint 
ensuite  et  lutta  également  avec  honneur  contre 
le  roi.  Enfin,  à  la  troisième  passe,  se  présenta 
le  jeune  comte  Gabriel  de  Montgommery,  sei- 
gneur de  Lorges,  rude  et  hardi  cavalier  avec 
lequel  le  roi  devait  courir  la  troisième  lance. 
Car,  telle  était  la  règle  des  joutes  :  le  tenant 
courait  trois  courses,  et  chaque  assaillant,  une 
seule.  Les  deux  champions  prirent  donc  du 
champ  et  se  choquèrent  avec  violence  en  rom- 
pant uniformément  leurs  lances,  aux  grands 
applaudissements  des  spectateurs. 

M.  de  Vieilleville  était  le  tenant  qui  succédait 
au  roi.  Il  entrait  en  lice  et  se  disposait  à  cou- 
rir ses  trois  courses,  lorsque  le  roi  le  pria  de 
le  laisser  rompre  une  lance  supplémentaire  avec 
le  comte  de  Montgommery,  duquel  il  voulait 


CATHERINE    DE    MEDICIS  85 

avoir  revanche^  disait-il,  parce  que  M.  de  Moni- 
gommery  lavoHfaii  fort  bransler  et  quasi  quitter 
tes  estrieux.  M.  de  Vieilleville  lui  répondit  que 
Sa  Majesté  avoii  assez  rompu  de  tances  et  avec 
grand  honneur,  qu'eite  ferait  beaucoup  mieux 
de  prendre  repos.  Mais  Henri  répliqua  qu'il 
tenait  à  cette  revanche  qui  serait  sa  dernière 
course. 

M.  de  Vieilleville  s'émut  de  cette  insistance  de 
la  part  du  roi,  et  ne  put  résister  à  l'envie  de  lui 
dévoiler  sa  crainte  :  «  Sire,  lui  dit-il,  je  jure  Dieu 
vivant  qu  il  y  a  plus  de  trois  nuits  que  je  ne 
fais  que  songer  qu'il  vous- doit  arriver  quelque 
malheur  aujourd'hui  et  que  ce  dernier  jour  vous 
est  fatal.  Sire,  vous  en  ferez  comme  il  vous 
plaira  (i).  » 

(1)  Le  capitaine  Biaise  de  Mon/luc,  tristement  célèbre  pour 
ses  cruautés  envers  les  calvinistes,  raconte  dans  ses  Com- 
mentaires qu'il  eut,  comme  Vieilleville,  au  cours  de  la  nuit 
qui  précéda  la  mort  de  Herri  II,  un  songe  prophétisant  la 
fin  tragique  du  roi  :  «  La  nuit  propre  venant  au  jour  du 
tournoy,  dit-il,  à  mon  premier  sommeil,  je  songeay  que  je 
voyais  le  roy  assis  sur  une  chaise,  ayant  le  visage  tout  cou- 
vert de  gouttes  de  sang;  et  il  me  sembloit  que  ce  fust 
ainsy  que  l'on  peint  Jésus-Christ  quand  les  Juifs  luy  mirent 
la  couronne...  Je  luy  regardois,  ce  me  sembloit,  sa  face  et 
ne  pouvois  découvrir  son  mal  ny  voir  autre  chose  que  sang 
au  visage.  J'oyais,  comme  il  sembloit,  les  uns  dire  :  Il  est 
mort,  ou  il  ne  l'est  pas  encore.  Je  voyais  les  médecins  et 


;86  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Le  roi  allait  répondre  quand  M.  de  Boisy 
s'avança  et  dit  à  Henri  que  la  reine  conjaraii 
JSa  Majesté  de  ne  plus  courir  pour  Vamour 
d'elle.  Répondez  à  la  Reine^  dit  le  roi,  que  cesl 
précisément  pour  Vamour  délie  que  je  veux 
courir  celte  lance.  Le  comte  de  Montgommery 
jugea  bon  de  joindre  ses  instances  à  celles  de 
Catherine  en  disant  «  qu'il  avait  couru  sa  course 
réglementaire  et  que  les  autres  assaillants  ne 
permettraient  certes  pas  qu'il  fît  sur  eux  cette  an- 
ticipation ».  Mais  le  roi  Lui  déclara  que  c'était  là 
une  passe  exceptionnelle  et  que  nul  ne  songeait 
-à  la  considérer  comme  une  anticipation  sur  les 
droits  des  autres  jouteurs.  Pourtant,  d'une  voix 
;grave  Montgommery  ajouta  :  Je  supplie  Votre 
Majesté  de  ne  pas  persister  dans  sa  volonté  ! 

—  Ty  persiste  cependant^  M.  de  Montgom- 
mery, répondit  le  roi.  Et  après  une  pause,  il 
conclut  sur  un  ton  qui  n'admettait  plus  de  ré- 
plique : 

—  «  Apprêtez-vous,  Monsieur,  à  courir  contre 
moi.  » 

chirurgiens  entrer  et  sortir  dedans  la  chambre...  Plusieurs 
qui  sont  vivans  sçavent  que  ce  ne  sont  pas  là  des  contes, 
car  je  le  dis  dès  que  je  fus  esveillé.  >>  [Commentaires  de 
Blaise  de  Montluc;  année  1559,  rédigés  en  1571  et  rapportés 
par  de  Ruble,  t.  III,  p.  325.) 


CATHERINE    DE    MEDICIS  ?:  7 

Gabriel  de  Montgommery  s'inclina  et  entra  en 
lice.  Mais  tout  le  monde  remarqua  que  le  roi  ne 
le  suivit  pas  immédiatement  et  qu'un  instant  il 
resta  pensif  h  l'entrée  opposée  de  la  lice.  Revit- 
il  nettement  en  cette  minute  le  texte  des  ho- 
roscopes? Se  souvint-il  alors  que  deux  jours 
auparavant  Catherine  de  Médicis  les  lui  avait 
rappelés,  ce  dont  il  s'était  moqué  comme  d'ha- 
liitude  (i)  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  eut  hésitation 
chez  Henri,  hésitation  marquée  et  que  seul  le 
signal  du  combat,  donné  par  M.  de  Vieilleville, 
fît  cesser.  Et  puis,  comment  reculer  maintenant 
devant  les  milliers  de  personnages  qui  attenti- 
vement suivaient  ses  mouvements  ?  Donc,  le  sort 
en  était  jeté,  et,  hardiment,  les  deux  cavaliers 
partirent  au  galop. 

Le  roi  et  Montgommery  se  rencontrèrent  à 
peu  près  au  milieu  du  trajet.  Les  lances  cho- 
quèrent les  deux  poitrines  et  se  brisèrent  ferme- 
ment, sans  qu'aucun  des  deux  combattants  per- 


(1)  Quelques  historiens  ont  aussi  déclaré  qu'au  cours  de 
la  nuit  qui  a  précédé  le  jour  de  l'accident,  Catherine  de  Mé- 
dicis avait  vu  en  songe  la  scène  de  la  mort  de  son  épou-x. 
Voir  sur  ce  sujet  onéirocritique  :  la  Physionomie  des  songes 
et  visions,  par  Jean  Tibault,  astrologue  lyonnais;  chez 
J.  Moderne,  in-8,  s.  d.  et  :  Des  Songes  dans  la  Galerie  mo- 
rale eî  politique  du  comte  de  Ségur,  t.  II,  p.  356  (Paris,  1819). 


88  CATHERINE    DE    MEDICIS 

dit  sa  stabilité.  La  crainte  qui  régnait  parmi  les 
assistants  sembla  se  dissiper.  Il  y  eut  comme 
un  grand  soupir  de  soulagement  poussé  par  la 
foule  des  tribunes,  et  la  reine  leva  les  yeux  au 
ciel  en  signe  de  reconnaissance.  Le  mal  était 
conjuré  ;  les  astrologues  s'étaient  trompés  dans 
leurs  sinistres  augures... 

Hélas,  la  joie  devait  être  de  courte  durée.  Le 
roi  et  Montgommery  étaient  encore  en  lice,  et 
après  avoir  atteint  chacun  l'extrémité  opposée  à 
leur  entrée  respective,  ils  devaient  revenir  au 
galop  au  point  de  départ,  ce  qui  les  obligeait  à 
se  rencontrer  une  fois  encore.  Mais  il  arriva  que, 
dans  ce  retour,  Gabriel  de  Montgommery  ne 
jeta  pas,  selon  la  coutume,  le  tronçon  de  sa 
lance  brisée,  tandis  que  le  roi  avait  jeté  le  sien. 
Montgommery  avançait  donc  rapide,  tenant  de- 
vant lui  ce  qui  lui  restait  de  lance,  lorsque  tout 
à  coup  la  visière  du  casque  royal  fut  levée  par 
la  violence  avec  laquelle  le  tronçon  de  l'arme 
avait  rencontré  la  tête  de  Henri  H.  Un  cri  s'éleva 
de  la  foule.  Le  tronçon  de  la  lance  du  jeune 
comte  était  entré  dans  Pœil  droit  du  roi,  et 
ressortait  maintement  par  l'oreille. 

Néanmoins,  le  roi  avait  eu  la  force  de  se  cram- 
ponner au   cou   de    son  cheval    et    d'atteindre 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


rextrémité  de  la  lice  où  le  reçurent  les  écuyers 
de  champ  et  MM.  de  Vieilleville  et  Boisy. 

—  Ah  !  je  suis  mort  !  dit-il  pendant  qu'on 
l'emportait  ainsi  que  la  reine  qui  s'était  éva- 
nouie. Gomme  on  se  dirigeait  vers  la  chambre 
à  coucher  royale,  Henri  dit  encore  que  la  reine, 
M.  de  Vieilleville  et  aulires  personnes  présentes 
avaient  raison  quand  ils  le  suppliaient  de  ne 
point  faire  cette  mauldicte  course,  mais  que  nul  ne 
pouvoit  fuir  ny  éviter  son  destin.  Après  un  peu 
de  repos  il  ajouta  :  Qu'on  n'inquiète  pas  M.  de 
Montgommery  I...  C'était  juste...  Je  lui  par- 
donne. Puis  il  s'évanouit. 

Aussitôt  que  le  roi  fut  installé  dans  sa 
chambre,  le  connétable  de  Montmorency,  se  sou- 
venant des  prophéties,  s'écria  devant  MM.  le 
Grand  et  Brantôme  :  Que  Von  prie  M.  de  VAu- 
bespine  de  nous  apporter  les  prophéties  que 
le  roi  lui  a  confiées  I  Les  deux  prophéties 
furent  apportées  et  lues  devant  tous  les  cour- 
tisans présents.  Quand  cette  lecture  fut  termi- 
née, comme  tout  le  monde  était  bien  d'accord 
sur  la  singularité  des  coïncidences  qu'offrait 
l'accident  avec  les  prédictions,  M.  le  connétable 
dit  en  sanglotant  :  Hélas  !  oui,  voylà  bien  le 
combat  et  duel  singulier   où  il   devoit  mourir. 


DO  CATHERIxNE    DE    MEDICIS 

Cela  est  faict,  il  va  mourir,  il  meurt.  Il  n''estoit 
pas  possible  aux  devins  de  mieux  et  plus  au  clair 
parler  que  cela,  d'autant  plus  que  de  leur  natu- 
rel ils  sont  toujours  ambigus  et  doubteux  clans 
leurs  discours.  Mais  là  ils  parlèrent  fort  ouver- 
tement. Ah!  que  maudits  soient  ces  devins  qui 
prophétizèrent  si  au  vray  et  si  mal  (i)  ! 

La  porte  de  la  chambre  du  roi  fut  interdite 
à  toute  la  cour.  Ambroise  Paré  était  à  Péronne 
et  personne  n'eut  Tidée  de  le  faire  venir.  Seul 
le  grand  Jean  Fernel  était  là  avec  six  chirur- 
giens qui,  pendant  quatre  jours,  multiplièrent 
leurs  expériences  pour  extraire  du  cerveau  royal 
les  esquilles  du  tronçon  de  lance.  Pour  cela  on 
avait  décapité  en  hâte  une  dizaine  de  criminels 
au  Ghâtelet  et  à  la  Conciergerie  du  Palais.  Sur 
les  têtes  des  suppliciés  on  enfonçait  des  lances 
de  tournois  en  s'efforçant  de  reproduire  exacte- 
ment la  blessure  qui  tuait  le  roi;  puis  on  pro- 
cédait à  l'extraction  des  fragments  de  bois  en- 
foncés dans  ces  crânes  morts.  De  ces  essais  théo- 
riques il  ne  résulta  rien  dans  la, pratique,  et,  au 

(1)  Pour  la  rédaction  de  ce  récit,  voir  :  Œuvres  de  Bran- 
îôme,  t.  III,  pp.  283  et  suivantes;.  Mémoires  de  Français  de  Viell- 
Jeville,  t.  IV,  pp.  170  et  suivantes;  Diclionnaire  historique  de 
Pierre  Bayle,  t.  III,  p.  52;  Abrégé  chronologique  de  Mézeray, 
t.  IV,  p.  721;  Diclionnaire  de  Moréry,  t.  II.I,  p.  181,  etc. 


CATHERINE   DE    MÉDICIS  c,l 

milieu  d'horribles  souffrances,  le  roi  reprit  con- 
naissance le  quatrième  jour.  Alors  il  fit  venir 
Catherine  de  Médicis,  la  pria  de  faire  célébrer 
de  suite  le  mariage  de  sa  sœur,  lui  recommanda 
ses  enfants  et  les  affaires  du  royaume,  et  enfin 
s'éteignit  le  lo  juillet  i559  après  onze  jours 
d'agonie  (i). 

Claude  Gouffier,  sire  de  Boisy,  chevalier  de 
l'ordre,  capitaine  des  cent  gentilshommes  de  la 
maison  royale,  ordonna  et  régla  les  funérailles 
de  Henri  II.  Ce  ne  fut  quele  16  août  qu'on  pro- 
céda officiellement  au  transport  du  roi  dans  la 
sépulture  royale  de  Saint-Denis.  Les  dépenses 
de  ces  obsèques  somptueuses  s'élevèrent  à  la 
somme  énorme  de  quarante-quatre  mille  trois 
cent  trente-quatre  livres  cent  quatre-vingt-dix- 
huit  sols  et  vingt-deux  deniers,  somme  sur  la- 
quelle deux  cent  quatre-vingt-huit  livres  treize 
sols  tournois  furent  alloués  au  célèbre  François 

(1)  L'accident  mortel  survenu  à  Henri  II  n'est  pas  un  fait 
isolé  dans  l'histoire.  Les  tournois  ont  souvent  été  des  jeux 
meurtriers.  Auguste  Demmin  rapporte  que  dans  une  seule 
passe  d'armes  allemande,  soixante  chevaliers  périrent  des 
suites  de  leurs  blessures.  Citons  encore  le  fameux  tournois 
de  Gerbie  en  Picardie,  où  Floris  IV,  comte  de  Hollande, 
trouva  la  mort  en  1234.  D'ailleurs,  dès  le  neuvième  siècle,  le 
pape  Eugène  avait  lancé  l'anathème  contre  ces  jeux  homi- 
cides. 


92  CATHERINE    DE   MEDICIS 

Clouet,  peintre  et  valet  de  chambre  du  roi,  qui 
fut  chargé  de  mouler  en  plâtre  et  en  cire  blanche 
la  physionomie  et  les  mains  du  défunt  (i). 


Selon  le  désir  du  roi,  Gabriel  de  Montgom- 
mery  ne  fut  pas  inquiété.  C'est  sans  incident 
qu'il  passa  en  Angleterre  où  il  embrassa  le  pro- 
testantisme et  devint  le  principal  agent  du 
parti  sur  la  terre  britannique.  Plus  tard,  rentré 
en  France,  il  fut  le  chef  des  huguenots  révoltés 
de  Normandie  et  eut  avec  le  prince  de  Gondé 
et  l'amiral  de  Goligny  des  relations  secrètes  po- 
litiques qui  furent  bientôt  révélées  à  Gatherine 
de  Médicis  comme  un  danger  réel  pour  son  au- 


(1)  Funérailles  du  roy  Henri  II,  Roole  des  parties  et  somme 
de  deniers  pour  le  faict  des  dits  obsèques  et  pompes  funèbres, 
sommes  paiées  et  baillées  par  M^  Alain  Veau,  receveur  et 
paieur  du  faict  et  despence  de  l'escurie  du  roy.  Ce  très 
curieux  document,  manuscrit  composé  de  vingt-cinq  feuillets 
parchemin,  relié  en  maroquin  noir  avec  petits  fers  argentés, 
fut  acheté  200  francs  à  la  vente  Alexis  Monteil  par  sir 
J.  Th.  Philipps,  riche  amateur  anglais.  Ce  manuscrit  avait 
été  catalogué  à  cette  vente  sous  le  n^  2.955.  Le  comte  L.  de 
Galembert  le  publia  pour  la  première  fois,  avec  une  intro- 
duction, en  1869,  chez  Fontaine  ;  brochure  grand  in-8  de 
77  p.  tirée  seulement  à  140  exemplaires. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  93 

torité  de  reine-mère  (i).  Cette  dénonciation  ne 
fît  qu'augmenter  la  haine  que  Catherine  avait 
vouée  à  l'auteur  involontaire  de  la  mort  de  son 
mari.  Aussi,  après  la  Saint-Barthélémy,  envoyâ- 
t-elle, contre  Montgommery,  le  maréchal  de 
Matignon  qui  assiégea  le  comte  dans  son  châ- 
teau de  Domfront.  Attaqué  par  des  forces  supé- 
rieures à  celles  dont  il  disposait,  Tassiégé  fut 
obligé  de  rendre  la  place.  Malgré  la  capitulation 
qui  lui  garantissait  la  vie  sauve,  Montgommery, 
sur  un  ordre  exprès  de  la  reine-mère,  fut  arrêté 
pendant  son  sommeil  au  château  de  Domfront, 
dans  la  nuit  du  27  au  28  mai  1674,  par  six 
gentilshommes  de  l'armée  royale,  au  nombre 
desquels  se  trouvaient  de  Matignon,  de   Fer- 

(1)  Voir,  Musée  des  Archives  nationales  :  V.  50,  pièce  n»  666  : 
Dépêche  secrète  écrite  sur  toile  par  Louis  de  Bourbon, 
prince  de  Condé,  et  datée  d'Orléans,  24  septembre  1562, 
Cette  dépêche,  adressée  aux  habitants  de  Rouen,  à  Mont- 
gommery et  à  Bricquenault,  contient  les  instructions  du 
prince  de  Condé  relatives  aux  mesures  à  prendre  en  vue  du 
siège  imminent  de  la  ville  de  Rouen  par  l'armée  catho- 
lique. 

Musée  des  Archives  nationales  :  V.  50,  pièce  no  667.  Dépêche 
secrète  écrite  sur  la  doublure  d'un  pourpoint  par  l'amiral 
Gaspard  de  Coligny  et  datée  d'Orléans,  25  septembre  15^2. 
Cette  dépêche,  adressée  à  Montgommery  et  à  Bricquenault, 
contient  également  des  instructions  relatives  au  même  siège 
en  formation.  {Archives  nationales  :  J.  969,  supplément  du 
Trésor  des  Chartes.) 


94  CATHERINE    DE   MEDICIS 

vaques  et  de  Vassé.  Du  château  de  Domfronty 
Montgommery  fut  bientôt  conduit  au  château  de 
Càen,  puis  à  la  Conciergerie  du  Palais  à  Paris, 
où  on  l'enferma  dans  la  grosse  tour  qui  porta 
jusqu'à  sa  démolition  le  nom  de  Monlgommery. 
Au  sujet  de  cette  arrestation,  il  est  curieux  de 
constater  une  fois  de  plus  la  clairvoyance  de 
Nostradamus  qui  avait  également  prédit  cette 
mise  en  captivité  de  l'assassin  de  Henri  II  : 

Celui  qui,  en  lutte  et  fer  au  faict  bellique 
Aura  porté  plus  grand  que  luy  le  prix, 
De  nuict,  au  lict,  six  luy  feront  la  pique. 
Et  nud,  sans  harnois,  subit  sera  surpris  (1). 

Le  samedi  25  juin  i574?  par  arrêt  du  parle- 
ment de  Paris,  le  comte  Gabriel  de  Montgom- 
mery, monté  sur  un  tombereau,  fut  conduit  en 
place  de  Grève  où  il  fut  décapité  et  son  corps 
mis  en  quatre  quartiers  (-2). 

(1)  Michel  Nostradamus  :  3^  Centurie,  §  30,  édition  de  1555. 
Voir  aussi  Guynaud,  p.  122,  Dans  6^  Centurie,  §  60,  impri- 
mée à  Lyon  chez  Pierre  Rigaud  en  1558,  Nostradamus  nous- 
indique  aussi  l'époque  à  laquelle  Catherine  quittera  le 
deuil  de  son  mari,  deuil  dont  il  avait  fixé  la  durée  à  sept 
années.  Or,  Catherine  quitta  effectivement  les  marques  exté- 
rieures de  sa  douleur,  le  1"  août  1566  à  son  retour  dun 
voyage  qu'elle  avait  entrepris  avec  son  fds  Chaiies  IX 
(1559  +  7  =  1566). 

(2)  Journal  des  choses  mémorables  advenues  durant  tout  le 


HÔTEL  de  la  Reine  ^  compofée  tant  de  l'Hôtel 
d*Albret ^  du  Terreîn  des  Filles  Pénitentes^ 
que  d'autres  Maifons  acquifes  par  la  Reine 
Catherine  de  Médias  en  1^7^' 

u4  Colonne  conftruîte  par  les  ordres  de 
Catherine  de  Médicis, 
J5  Saint  Euftache. 
C  Chapelle.de  la  Reine. 


Rue 


tfoirvt 


Honoré 


m  CATHERINE   DE    MEDICIS 


Quoiqu'il  en  soit  des  singulières  coïncidences 
que  présentent  les  prophéties  de  Nostradamus 
avec  quelques  faits  historiques,  il  est  certain 
que  la  prédiction  relative  à  la  mort  de  Henri  II 
éleva  à  son  summum  la  renommée  de  Tastro- 
logue,  et  qu'elle  assura  fermement  dans  la  pen- 
sée de  Catherine  de  Médicis  sa  croyance  aux 
sciences  occultes.  Elle  changea  la  composi- 
tion de  son  blason  ;  sur  fond  de  gueules,  ce 
fut  d'abord,  posée  en  pal  de  part  et  d'autre  d'un 
écu,  une  lance  brisée  avec  ces  mots  de  regret  : 
Lacrymae  hinc,  hinc  dolor  (i).  Puis,  elle  quit- 
tera les  Tournelles  qui  lui  rappellent  trop  le 
tournois  fatal,  et  s'installera  au  Louvre.  Mais 
un  jour  qu'à  la  suite  d'une  indisposition  elle 
consultera  celui  qui,  après  Nostradamus,  sera 
toute  sa  vie  son  principal  conseil,  c'est-à-dire 
le  Florentin   Gosme    Ruggieri,   et  que  celui-ci 

règne  de  Henri  III,  roy  de  France  et  de  Pologne  ;  année  1574, 
mois  de  juin.  A  Cologne  chez  Pierre  du  Marteau,  1673  (pp.  6 
et  suivantes). 

(1)  Feuillet  de  Conçues  :  Causeries  d'un  curieux,  t.  II, 
p.  381.  Une  gravure  de  l'époque,  conservée  au  cabinet  des 
E-ftampes  (n»  2,  album)  représente  (sous  forme  de  médaille) 
celte  lance  brisée  symbolique  (avec  ladite  devise). 


CATHERINE    DE    MEDICIS  97 

lui  recommandera  de  se  méfier  du  dangereux 
Saint-Germain  y  elle  quittera  hâtivement  le  Lou- 
vre placé  dans  la  paroisse  de  Saint-Germain- 
l'Auxerrois,  et  fera  construire  l'hôtel  de  Sois- 
sons  en  ayant  soin  d'y  ériger  un  observatoire 
astrologique  (i).  Enfin,  se  plaçant  définitivement 
sous  la  protection  des  astres  qui  ont  si  bien 
édicté  le  sort  malheureux  de  son  époux,  elle 
portera  des  talismans  protecteurs,  et  aura 
comme  armes  et  comme  devise,  sur  fond  d'azur, 
une  étoile  entourée  d'un  serpent  se  mordant  la 
queue,  avec  cette  phrase  précautionnée  :  Fato 
prudentia  major  (2)  :  signe  de  Saturne,  symbole 
cabalistique  de  Féternelle  perpétuation  des  êtres 
et  des  choses,  qu'elle  substituera  bientôt  à 
toutes  ses  autres  marques  personnelles. 

Désormais  nous  la  verrons  tout  entière  subor- 
donnée aux  décisions  des  Régnier,  Nostradamus, 
Cosme    Ruggieri    (3),    Oger    Ferrier,     Gabriel 

(1)  H.  Sauval  :  Histoire  des  anliquitez  de  Paris  ;  t.  II,  p.  213, 
el  Michel  Félibien  :  Histoire  de  la  ville  de  Paris,  t.  II,  p.  1113, 
édition  de  1715.  Voir  le  plan  reproduit  ci-contre,  p.  95. 

(2)  Feuillet  de  Conches,  Causeries  d'un  curieux  ;  t.  Il, 
p.  381. 

(3)  Honoré  de  Balzac,  Colin  de  Plancy,  Sirdes-Varez  et 
Jean  Barbot,  ont  prétendu  que  Ruggieri  le  vieux  et  son  fils 
(iOsme  avaient  joué  un  rôle  capital  dans  l'établissement  du 
t  ième  astrologique  de  Henri  II.  Cette  assertion  ne  repose 

6 


98  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Simeoni  et  autres  liseurs  de  grimoires,  conju- 
rateurs  des  forces  d'outre-tombe.  En  perdant 
l'époux  qu'elle  aimait,  Catherine  de  Médicis 
vient  de  recevoir  la  plus  éclatante  et  la  plus 
douloureuse  preuve  du  pouvoir  caché  des^  as- 
trologues et  magiciens.  Pour  elle,  cet  événement 
est, une  révélation  de  Tau-delà.  Elle  sait  main- 
tenant quel  est  le  véritable  directeur  des  con- 
sciences humaines.  Elle  est  convaincue  que 
Satan  est  bien  le  détenteur  des  mystérieuses 
puissances  qui  président  à  la  destinée  de  l'hu- 
manité et  èr  ses  multiples  inclinations  de  haine 
ou  d'amour.  Elle  ne  doute  plus  que  les  person- 
nages étranges  auxquels  elle  accorde  toute  sa 
conHance  sont  vraiment  des  privilégiés  de  la 
sombre  inspiration,  et  qu'ils  possèdent  sans  con- 
tredit la  solution  du  problème  de  la  vie  sur  la 
terre. 

Aussi  les  comblera-t-elle  de  faveurs^  ce  dont 
Oger  Ferrier  lui  marquera  sa  reconnaissance 
en  lui  dédiant  ses  Jugements  astronomiques  sur 
tes  nativités,  et  en  développant  dans  sa  dédicace 


s  jr  aucun  document  d'archives  et  pas  un  seul  chroniqueur 
contemporain  de  la  mort  de  ce  roi  ne  nous  a  signalé  cette 
collaboration  des  Ruggieri  dans  la  double  prédiction  de 
Luc  Gauric  et  Nostradamus. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  99 

le  plaisir  et  Tinlérêt  que  prend  la  reine  à  lire 
toutes  œuvres  philosophiques^  mesmement  celles 
qui  appartiennent  aux  haulles  cognoissances 
astrologiques,  et  ce  pour  cognoislre  les  biens  et 
maux  qui  des  astres,  comme  causes  naturelles, 
proviennent  aux  humains  (i). 

(1)  Jugements  d'astronomie  sur  les  nativités  ou  horoscopes, 
par  Oger  Ferrieb,  médecin  natif  de  Toulouze,  Dédiés  à  la 
1res  illustre  et  très  vertueuse  Princesse  ma  Dame  Catharine, 
Toyne  de  France  ;  Oger  Ferrier  son  médecin,  humble  salut. 
Un  vol.  in-16  imprimé  en  .1545,  à  Lyon,  chez  Jean  de 
Tournes.  Voir  l'épitre  aux  pp.  3,  4  et  5.  Pierre  Rigaud, 
de  Lyon,  réimprima  ce  curieux  ouvrage  en  1625.  {Biblio- 
thèque de  la  Faculté  de  Médecine,  n°  39729.) 


CHAPITRE  m 


LA    MORT  DE  FRANÇOIS  II,  LE    SACRE  DE    CHARLES    IX 
ET    l'astrologue    SIMEONEI 


Le  dimanche  17  novembre  i56o,  c'était/ à  Or- 
léans, grande  fête  en  l'honneur  de  Saint- Aignan, 
évêque  sauveur  de  cette  ville  au  temps  d'Attila, 
et  qui  y  mourut  en  l'an  453.  Après  avoir  touché 
les  ëcroûelles,  François  II  et  la  cour  se  rendirent 
à  la  chapelle  des  Jacobins  pour  y  entendre  les 
vêpres.  En  grande  pompe,  la  cérémonie  reli- 
gieuse se  déroulait,  quand  tout  à  coup,  le  roi, 
pâlissant,  fut  pris  de  frissons  nerveux  et  tomba 
en  syncope.  On  le  transporta  aussitôt  dans  ses 
appartements  et,  la  fièvre  l'ayant  empoigné,  les 
médecins  constatèreat  «  la  formation  d'une 
fistule  dans  l'oreille  gauche  ». 


c\thl:rini=;  de  mkdicis  lOl 

Or,  la  veille,  comme  le  roi  avait  apparemment 
chassé  en  bonne  santé,  des  bruits  circulèrent, 
déclarant  qu'une  action  criminelle  était  encore 
la  cause  de  cette  subite  maladie.  Un  valet  de 
chambre  huguenot,  disaient  les  uns,  avait  em- 
poisonné le  roi  en  mettant  dans  le  bonnet  de 
nuit  de  sa  majesté  une  poudre  morbide.  D'autres 
accusaient  ouvertement  le  barbier  royal,  maître 
Amboise,  d'avoir  versé  un  poison  violent  dans 
l'oreille  de  François  II,  pendant  qu'il  lui  faisait 
la  barbe  (i).  Mais  aucune  preuve  ne  venait  con- 
firmer ces  dires,  et  le  jeune  roi  souffrait  chaque 
jour  davantage,  ne  parlant  plus,  mangeant  à 
peine. 

Au  chevet  du  malade,  Catherine  de  Médiciset 
les  Guises  s^étaient  installés  à  demeure  pour 
s'épier  mutuellement.  L'émoi  était  général  et 
tout  espoir  semblait  déjà  perdu,  lorsque  le  20  no- 
vembre l'état  du  roi  devint  stalionnaire.  L'alarn  e 
n'en  fut  que  plus  vive  dans  les  esprits  politiques. 
François  II  vivrait-il  assez  pour  achever  l'exter- 
mination des  l^rétiques  et  pour  enfin  débarras- 
ser la  chrétienté  du  prince  de  Condé  qui  atten- 
dait   son   procès   en  prison?   Ou   bien    allait-il 

(1)  De  Tnou,  p.  835,  et  Symphorien  Guyon,  Histoire  d'Or- 
léans, t.  II,  p.  382. 

6. 


102  CATHERINE    DE    MEDICIS 

mourir  et  laisser  ainsi  le  triomphe  delà  lutte  au 
parti  des  parpaillots  ?  Graves  questions  que 
posait  notamment  le  duc  de  Guise. 

Alors,  on  se  souvint  qu'un  astrologue  avait 
jadis  annoncé  que  la  mort  atteindrait  François  II 
avant  sa  dix-huitième  année  ;  et  les  plus  intéres- 
sés s'empressèrent  de  vérifier  le  fait  en  consul- 
tant les  textes  de  Nostradamus  (i).  En  effet,  le  cé- 
lèbre devin  de  Salon,  avec  une  précision  au  moins 
égale  à  celle  apportée  dans  sa  prédiction  de  la 
mort  de  Henri  II,  avait  tracé  en  un  bref  quatrain 
le  programme  de  la  vie  et  de  la  mort  de  Fran- 
çois II  : 

Premier  fils  vesve,  malheureux  mariage 
Sans  nuls  enfans;  deux  isles  en  discord 
Avant  dix-huit  ans  incompetant  âge 
De  Tautre  près  plus  bas  sera  l'accord. 

Pour  les  inités,  cela  signifiait  clairement  que 
le  premier  fils  de  la  reine-veuve  ferait  un  mal- 
heureux mariage^  sans  enfants;  que  la  mort 
r atteindrait  avant  l'âge  de  dix-huit  ans  en  met- 
tant deux  lies  {r Ecosse  et  l' Angleterre)  en  désac- 

(1)  Dépêche  de  V ambassadeur  Suriano  au  doge  de  Venise, 
Orléans,  20  novembre,  1560.  Bibliothèque  nationale,  ma/zuscr// 
du  fonds  italien,  n»  1721,  filza  4,  fol.  193.  {Traduclion  inédite 
de  M.  Léon  Marlet.) 


CATHERINE    DE    MEDICIS  103 

cord^  et  qu'enfin^  bien  qu'ayant  été  fiancé  très 
jeune^  son  frère  et  successeur  (Chartes  IX)  le  se- 
rait encore  beaucoup  plus  tôt  que  lui  [i).  Chaque 
courtisan,  dit  l'ambassadeur  vénitien  Michieli, 
commente  à  voix  basse  et  selon  ses  passions  ce 
singulier  avertissement  (2). 

Indépendamment  de  la  courte  vie  prédite  à 
François  II,  on  commente  aussi  une  seconde 
prédiction  du  même  auteur  qui  se  rattache  à 
l'évocation  du  miroir  magique  de  Chaumont  et 
qui,  si  elle  venait  à  se  réaliser,  jetterait  le 
royaume  dans  une  série  de  perturbations  poli- 
tiques, dont  la  mort  du  fils  aîné  de  Catherine  ne 
serait  que  le  début  : 


(1)  Les  Oracles  de  Michel  de  Nostredame^  etc.,  par  Anatole 
Le  Pelletier;  t.  I,  pp.  84  et  85,  X^  Centurie,  quatrain  39.  Les 
Centuries  VIII,  IX  et  X  n'ont  été  imprimées  pour  la  pre- 
mière fois  qu'après  la  mort  de  Nostradamus,  peu  de  temps 
après  son  décès,  en  1566,  à  Lyon,  par  Pierre  Rigaud.  Mais 
il  est  certain  que  ces  quatrains  sont  bien  antérieurs  à  cette 
date  ainsi  que  le  prouve  VÉpître  dédicaîoire  à  Henry 
second  rédigée  par  Nostradamus  en  vue  de  l'impression  de 
son  œuvre  qu'il  n'avait  pu  faire  exécuter  en  raison  de  la 
maladie  qui  devait  l'emporter.  François  II  avait  été  fiancé 
à  l'âge  de  quinze  ans  avec  Marie  Stuart,  et  son  frère,  Char- 
les IXjji'en  avait  que  onze  quand  on  décida  qu'il  épouse- 
rait f^nne)  d'Autriche. 

(2)  Dépêche  de  l'ambassadeur  Michieli,  20  novembre  1560,  au 
doge  de  Venise.  (Bibliothèque  nationale,  fonds  italien  précité, 
Traduction  inédite  de  M.  Léon  Marleî). 


104  CATHKRINE    DE    MEDICIS 

«  Il  y  a  une  autre  prophétie  très  répandue  en 
France,  dit  encore  Micbieli,  prophétie  émanant 
de  ce  fameux  devin-astrologue  nommée  Nostra- 
damus,  et  qui  menace  les  trois  frères^  disant 
que  la  reine-mère  les  verra  tousTois  [i).  » 

Devant  le  déclin  rapide  de  la  vie  royale,  le 
duc  de  Guise  craint  de  plus  en  plus  que  le  prince 
de  Condé  n'échappe  au  bourreau.  Aussi  le  voit- 
on  accablant  d'injures  les  médecins  qui  soi- 
gnent le  roi,  s'indignant  «  contre  l'inutilité  de 
leur  rhubarbe  »,  disant  que  c'est  une  honte  de 
constater  «  comment  la  médecine  ne  peut  rien 
faire  de  plus  pour  un  roi  dans  la  fleur  de  l'âge 
que  pour  un  vieuy  manant  ».  Et  les  malheureux 
médecins  perdant  tout  sang-froid,  la  colère  du 
duc  de  Guise  s'accentue  à  mesure  que  se  mul- 
tiplient les  preuves  de  leur  incapacité.  Un  jour, 
où  la  fureur  du  duc  était  encore  plus  violente 
que  de  coutume,  il  accusa  les  médecins  et  les 
apothicaires  d'avoir  été  payés  par  le  parti  pro- 
testant pour  empoisonner  le  roi.  Puis,  il  les  me- 
naça de  la  torture  et  de  la  corde,  ajoutant  que 

(1)  Relazione  Glovano  Michieli,  mai  1561.  Pour  cette  prédic- 
tion de  Nostradamus  relative  aux  règnes  des  enfants  de 
Catherine,  voir  VÉpître  dédicaloire  de  Nostradamus  à  Henry 
second, PI).  149  et  150  du  livre  d' Anatole  Le  Pelletier  précité, 
t.  I,  et  de  Thou,  t.  X,  p.  105. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  105 

«  sa  patience  était  épuisée  et  qu'il  allait  définiti- 
vement recourir  aux  grandes  sciences,  Talchimie 
et  la  magie,  pour  connaître  enfin  la  vérité  sur 
la  santé  du  roi,  et  obtenir  des  devins  Tassu- 
rance  que  son  neveu  vivrait  au  moins  jusqu'à 
Pâques  (i)  ». 

Le  duc  de  Guise  pouvait,  il  est  vrai,  s'armer 
des  dires  de  l'évêque  de  Viterbo,  devin  que  le 
diplomate  anglais,  Somers,  nous  signale  comme 
auteur  de  nombreuses  prophéties,  et  qui  avait 
affirmé  «  que  non  seulement  François  II  vivrait, 
mais  encore  qu'il  devait  posséder  Venise  et 
Rome,  et,  en  un  règne  long  et  prospère,  assurer 
la  paix  de  la  chrétienté  (2)  ». 

Catherine,  elle,  n'espérait  plus  rien.  L'amélio- 
ration survenue  dans  les  souffrances  du  roi  le 
25  novembre,  et  qui  dura  jusqu'au  3o  du  même 
mois,  ne  lui  fit  pas  prendre  le  change  :  «  La  reine- 
mère,  dit  l'ambassadeur  de  Venise,  en  date  du 


(1)  Alphonse  de  Ruble,  Antoine  de  Bourbon  et  Jeanne  dWl- 
bret  ;  t.  II,  pp.  427  et  suiv. 

(2)  Calendars  (années  1560  et  1561  ;  n"'  767  et  928).  Lettre  de  la 
main  de  Somers,  mais  non  signée  et  non  datée.  Selon  les 
études  minutieuses  de  M.  Léon  Marlet,  auquel  je  dois  la  tra- 
duction analytique  de  ce  document,  cette  lettre  est  du  5  dé- 
cembre 1560,  note  d'ailleurs  portée  en  manchette  sur  la 
pièce  autographe. 


106  CATHERINE    DE    MEDICIS 

1*"  décembre^  ne  peut  s'empêcher  de  laisser  voir 
la  douleur  qu'elle  a  de  l'état  du  roi,  douleur 
d'autant  plus  grande  chez  elle  à  cause  du  souve- 
nir qu'elle  a  de  beaucoup  d'autres  pronostics 
faits  par  les  astrologues,  tous  unanimes  à  pro- 
phétiser à  S.  M.  une  vie  très  courte  (i).  « 

Les  présages  funestes  vont,  du  reste,  se  multi- 
pliant et  c'est  l'ambassadeur  de  Toscane  qui 
nous  l'apprend  par  une  dépêche  expédiée  deux 
jours  après  celle  de  Suriano  :  «  Le  salut  du  roi 
est  très  incertain,  et  Nostradamus,  dans  ses  pré- 
dictions de  ce  mois,  dit  que  la  maison  royale 
perdra  ses  deux  plus  jeunes  membres  de  mala- 
die inopinée  (2).  )> 

Dans  l'intervalle  des  deux  dépêches,  une  re- 
chute s'est  produite  et  de  plus  en  plus  les  pro- 
grès du  mal  donnent  raison  aux  ministres  oc- 
cultes de  la  reine  mère.  A  côté  de  Tignorance  des 
chirurgiens,  parmi  lesquels  Ambroise  Paré  seul 
avait  proposé  une  intelligente  opération,  dont 
l'exécution  lui  fut  systématiquement  refusée, 
on  pensa    ramener    plus  sûrement   le  roi  à  la 

(1)  Dépêche  de  Suriano,  1"  décembre  1560.  {Traduclion  iné- 
dile); manuscvii  italie-n  déjà  cité. 

(2)  Dépêche  de  Tornabuoni  au  duc  de  Florence,  Orléans, 
3  décembre  1560.  [Négociations  diplomatiques  entre  la  France 
et  la  Toscane,  t.  III,  pp.  457  et  428.) 


w 


CATHERINE    DE    MEDICIS  107 

santé  en  employant  les  empiriques  et  mysté- 
rieux moyens  de  la  thaumaturgie.  Processions 
ordonnées,  jeûnes  et  prières  publiques,  cérémo- 
nies expiatoires,  vœux  aux  saints  rédempteurs, 
communions  chaque  jour  répétées,  prédications 
et  suppliques  à  l'adresse  du  Ciel,  et  offrandes 
nombreuses  portées  en  pèlerinage  à  Notre- 
Dame-de-Cléry.  Mais  tout  cet  ensemble  de  pieux 
efforts  restait  stérile.  Rien  n'arrêtait  la  marche 
de  la  mort  vers  le  prince  souffrant  autour  duquel 
s'agitait  cyniquement  Tâpreté  politique  des 
Guises  et  des  Bourbons. 

Le  lundi  2  décembre,  seizième  jour  de  la  ma- 
ladie, François  II  passa  plusieurs  heures  de  la 
matinée  en  syncope.  Vers  le  milieu  de  la  mati- 
née il  recouvra  la  parole,  et  une  abondante  éva- 
cuation ((  d'humeurs  par  la  bouche  et  par  les 
narines  »  le  soulagea  sensiblement.  Mais  cette 
accalmie  signalait  bien  le  commencement  de 
1  agonie.  L'après-midi  fut  très  agitée  et  le  soir 
du  même  jour,  Suriano  écrivait  au  doge  de  Ve- 
nise :  Le  roi  esi  perdu  (1). 

Deux  jours  s'écoulèrent  encore,  dans  des  al- 

{\)  Dépêche  de  Suriano,  Orléans,  2  décembre  15(30  ;  Biblio- 
thèque nationale.  Manuscrit,  fonds  italien,  vol.  n"  1722,  filza  i,, 
fol.  202. 


168  CATHERINE    DE   MEDICIS 

ternatives  de  calme  et  de  crises  renouvelées. 
Le  4  au  soir,  avec  efforts,  il  prononça  quelques 
paroles,  prit  un  peu  d'aliments  et  s'endormil. 
Le  jeudi  5  décembre,  il  ne  s'éveilla  pas  et  mou- 
rut ainsi  sans  reprendre  connaissance  (i).  Trois 
jours  après,  le  8  décembre,  en  un  cortège  de 
grand  apparat,  aux  flambeaux,  sous  un  dais  de 
drap  d'or,  le  prince  de  la  Roche-sur-Yon  dépo- 
sait en  la  cathédrale  Sainte-Croix  d'Orléans,  le 
cœur  de  François  II  enseveli  dans  un  vase  de 
plomb  (2)  et,  le  28  décembre,  le  corps  était 
transporté  à  Saint-Denis. 

Un  mois  s'écoula  et  la  seconde  prophétie  de 
Nostradamus,  relative  à  la  «  disparition  des 
deux  plus  jeunes  membres  de  la  maison  royale  », 
vit  sa  réalisation  en  la  mort  du  marquis  de 
Beaupréau,  fils  du  prince  de  la  Roche-sur-Yon: 
«  On  a  remarqué,  écrit  Tambassadeur  Chanton- 
nay,  qu'en  un  mois  sont  morts  le  premier  et  le 


(1)  Dépêches  collectives  de  Giovanni  Michieli  el  de  Suriano 
des  3  e/  6  décembre  1560.  Bibliothèque  nationale,  fonds  manus- 
criis  italiens,  filza  4,  fol.  202  et  Alphonse  de  Ruble,  t.  Il, 
pp.  437  et  438. 

(2)  Dépêche  de  Chanlonnay,  ambassadeur  d'Espagne,  au  roi 
Philippe  IL  Orléans,  9  décembre  1560,  Archives  nationales, 
K-1493,  N°  116.  L'ambassadeur  d'Angleterre,  Throckmorton, 
confirme  Chanlonnay  :  Calendars  1560-438. 


m' 


CATHERINE    DE    MEDICIS  109 

dernier  des  membres  de  la  maison  royale...  Ces 
catastrophes  ont  frappé  la  cour  de  stupeur, 
jointes  aux  menaces  de  Nostradamus  qu'on 
ferait  mieux  de  châtier  que  de  laisser  ainsi  ven- 
dre ses  prophéties,  qui  induisent  à  de  vaines  et 
superstitieuses  croyances  (i).  » 


Aussitôt  François  II  décédé,  Catherine  s'était 
impérieusement  arrogé  le  commandement  de  la 
maison  royale.  Elle  fît  fermer  les  portes  du. pa- 
lais, appela  sous  les  armes  les  compagnies  de 
service,  convoqua  le  Conseil  privé  et  déclara 
«  que  son  second  fils,  Charles  de  France,  duc 
d'Orléans,  succédait  à  son  frère  sous  le  nom  de 
Charles  IX  ». 

Pourtant,  l'ancienne  constitution  du  royaume, 
qui  n'avait  pas  encore  été  discutée,  attribuait  la 
régence  au  roi  de  Navarre  comme  premier 
prince  du  sang,  la  reine-mère  n'ayant  droit  qu'à 
la  tutelle  de  son  fîls.  Mais  pour  Catherine  de 
Médicis,  les  traditions  comptaient  peu  ;  elle  vou- 
lait la  régence  et  saurait  bien  l'obtenir  de  par  sa 

(1)  Dépêche  de  Chanlonnay  au  roi  a'Espogne  ;  Orléans, 
12  janvier  1561.  Archives  nationales,  K.  149-I,  |)ièce  n"  27.  Le 
marquis  de  Beaupréau  était  dans  sa  quatorzième  année. 


]10  CATHERINE    DE    MEDICIS 

diplomatie  et  de  par  son  autorité.  Après  avoir 
liabilement  reculé  l'ouverture  des  Etats-Géné- 
riux,  elle  sut  s'attacher  Antoine  de  Bourbon  et 
lui  faire  abandonner  tout  projet  de  régence,  en  lui 
o  itroyant  la  Lieutenance-générale  du  royaume. 
Puis,  elle  pensa  du  même  coup  abattre  la  pré- 
somption et  l'orgueil  des  Guises,  en  rendant  la 
liberté  au  prince  de  Gondé.  Aussitôt  que  dans 
l'entourage  de  la  reine-mère  on  eut  connais- 
sance de  ce  projet  de  délivrance  du  prince, 
Mme  de  Saint- André  fit  parvenir  secrètement 
au  prisonnier  cette  curieuse  lettre  d'espoir  ré- 
digée en  un  systèine  de  langage  convenu  : 

«  Croyez-moi,  Prince,  préparez-vous  à 
la  mort.  Aussi  bien  vous  sied-il  mal  de 
«  vous  défendre.  Qui  veut  vous  perdre  est 
ami  de  l'État.  On  ne  peut  rien  voir  de 
«  plus  coupable  que  vous.  Ceux  qui 
par  un  véritable  zèle  pour  le  roi 
«  vous  ont  rendu  si  criminel  étaient 
honnêtes  gens  et  incapables  d'être 
«  subornés.  Je  prends  trop  d'intérêt  à 
tous  les  maux  que  vous  avez  faits  en 
«  votre  vie  pour  vouloir  vous  taire 
que  Tarrôt  de  votre  mort  n'est  plus 
«  un  si  grand  secret  (t).  » 

1    Mysièms  d.'s  Sciences  occultes  ;  pp.  231  et  212  (ann  'e  ^560. 


CATIlERINi:    Dli    MKDR.IS  lU 

Lorsqu'on  lit  cette  lettre  exactement  dans 
Tordre  des  lignes  où  elle  est  écrite,  il  semble 
qu'elle  ne  laisse  aucun  doute  sur  les  sentiments 
haineux  que  Mme  de  Saint- André  paraissait 
manifester  à  l'égard  du  prince  de  Condé.  xMais  il 
n'en  est  plus  de  même,  lorsqu'on  donne  à  ce 
document  son  véritable  sens,  en  ne  lisant  que 
les  lignes  impaires  de  cette  étrange  missive,  et 
qui  seules  sont  ici  guillemettées  pour  en  faciliter 
la  juste  lecture. 

Ainsi,  Catherine  semble  nettement  se  décla- 
rer pour  le  parti  huguenot.  De  plus,  elle  aban- 
donne les  cantiques  pour  chanter  le  Psaume  VI 
qui  est  celui  de  la  pénitence,  pendant  que  le 
peuple,  connaissant  les  opinions  nouvelles  de 
la  reine-mère,  clame  sans  crainte  la  chanson  hu- 
guenote d'Eustorgde  Beaulieu: 

C'est  la  Prestraille  et  Mryr.erie 
Laquelle  abuse  tant  de  gens 
Si  aux  Luthériens  on  crye 
Disant  :  «  Qu'on  les  cruciiie 
Ou  gelle  aux  charbons  ardenls  !» 
C'est  la  Prestraille  et  Moynerie 
Laquelle  abuse  tant  de  gens('l). 

(1)  Le  Chansonnier  huguenol  du  seiz'ème  siècle,  piibhé  avec 


112  CATHERINE    DE    MEDICIS 

L'appui  ouvertement  assuré  du  roi  de  Navarre, 
du  prince  de  Gondé  et  surtout  des  trois  Ghas- 
tillons,  jointe  l'assentiment  déguisé  de  plu- 
sieurs autres  provinciaux,  faisaient  de  la  Ré- 
forme un  parti  d'autant  plus  redoutable,  qu'à  la 
fin  de  i56o  il  personnifiait  déjà  la  résistance  aux 
excès  du  pouvoir  des  Guises.  Gatherine  Tavait 
bien  compris.  Très  imbue  du  scepticisme  italien 
dont  son  parent  Strozzi  avait  été  le  novateur, 
elle  évitait  de  se  prononcer  franchement  entre 
les  deux  religions.  Pour  l'instant,  la  Réforme 
étant  triomphante,  Catherine  était  donc  en  appa- 
rence pour  la  Réforme.  Gela  ne  l'empêchait  pas 
de  recevoir  les  conseils  du  GardinaldeTournon, 
avec  la  mcme  complaisance  et  la  même  atten- 
tion qu'elle  accordait  aux  paroles  de  l'Amiral 
de  Goligny. 

Mais  cette  situation  imprécise  n'était  pas  sans 
danger  pour  la  sécurité  royale.  Dans  les  pro- 

prélace  par  HENRY-LÉONAno  Bohdier  ;  Paris,  Tross,  1870, 
2  vol.  in-16.  Voir  à  la  p.  169  du  t.  I,  celle  chanson  composée 
par  EusTORG  de  Beaulieu,  poêle  et  musicien  huguenot. 
Celait  un  ancien  prêtre,  de  mœurs  assez  légères,  paraît-il. 
Il  fut  ensuite  organiste  dans  son  pays  natal  en  Limousin; 
puis,  embrassant  avec  ardeur  la  Réforme,  il  se  réfugia  à 
Genève  en  1537.  Tout  en  étant  souvent  assez  triviales,  ses 
poésies  et  chansons  contiennent  quelques  traits  acérés  qi  i 
ne  sont  certes  pas  sans  valeur. 


^ J/C^^^ 


fLJyt^  éy/tf;?w^^/t^>  cr~UK«^-^^^  dMjffi^^£>fxih  ^^c-tfK 


Horoscope  de  Gaston  d'Orléans 
dr:2SSÉ  par  Cosme  Ruggieri. 

[Man.  B.  N.) 


114  CATHERINE    DE    MEDICIS 

viaces  les  seigneurs,  voyant  le  double  jeu  de  la 
reine-mère,  avaient  pris  parti  selon  leurs  ten- 
dances religieuseset  se  divisaient  en  deux  armées 
toujours  prêtes  à  se  combattre.  Nombreux  furent 
les  mouvements  tumultueux  que  causa  cette  po- 
litique «  des  parties  égales  »  entreprise  par 
Catherine.  On  en  vit  un  terrible  exemple  à 
Paris,  dans  le  combat  de  la  maison  du  Pavaniei% 
puis  à  Beauvais  où  la  ridicule  comédie  du  car- 
dinal Odet  de  Chastillon  donna  naissance  à  une 
atroce  sédition. 

Dans  ces  troubles,  Catherine  avait  remarqué 
que  c'était  toujours  le  parti  catholique  qui  joiiait 
le  rôle  d'agresseur,  et  que  toujours  aussi,  les 
séditieux  avaient  trouvé  un  appui  parmi  les 
hautes  personnalités  des  corps  anciennement 
constitués.  Elle  en  conclut  bientôt  que  l'ancien 
clan  n'était  ni  moins  puissant,  ni  moins  prompt 
à  l'attaque  ou  à  la  défense,  que  l'était  le  clan 
nouveau  des  calvinistes.  En  outre,  si  par  la  sa- 
tyre et  les  psaumes,  les  huguenots  ne  ménageaient 
ni  leurs  sentiments  de  haine  pour  les  papistes 
ni  leur  admiration  pour  l'inclination  de  Cathe- 
rine et  de  son  fils  vers  la  Réforme,  les  prédica- 
teurs catholiques  proclamaient  véhémentement 
que  le  changement  de  religion  du  roi  et  de  la 


CATUEIUNE    D1-:    MI::i)ICIS 


reine-mère  déliait  tous  les  sujets  du  serment  de 
fidélité  (i).  Le  danger  était  donc  imminent  pour 
la  monarchie  et  pour  la  paix  du  royaume. 

Après  mûres  réllexions,  Catherine  ne  vit  qu'un 
remède  à  cette  situation  :  faire  sacrer  son  fils 
au  plus  tôt  et  avec  éclat,  espérant  qu'une  céré- 
monie brillante  raviverait  les  traditions  reli- 
gieuses du  royaume,  et  resserrerait  les  liens  entre 
le  jeune  roi  et  son  peuple.  Ce  sacre,  depuis  long- 
temps annoncé,  avait  été  ajourné  pour  raisons 
d'économies.  Catherine  décida  qu'étant  donnée 
,  l'urgence,  on  s'arrangerait  aisément  des  finances 
en  réalisant  sur  d'autres  points  les  économies 
désirées,  et  aussitôt  elle  consulta  son  astrologue 
Gabriel  Simeoni  pour  savoir  quel  jour  serait  le 
plus  favorable  à  la  célébration  de  cet  important 
événement.  Mais  Gabriel  Simeoni  était  en  Italie, 
à  Chiaramonte,  et  Catherine  ne  recevant  pas  la 
réponse  aussi  promptement  qu'elle  le  désirait, 
convoqua  les  principaux  seigneurs  du  royaume 
pour  le  sacre  qu'elle  fixa  au  ii  mai  de  l'année 
i56i.  «  Nous  irons  à  Reims,  écrit-elle  à  l'évêque 
d^  Limoges,  faire  sacrer  le  roi  mon  tils  le  ii® 

(1)  Dépiche  de  Suriano  au  doge  de  Venise,  16  mai  1561. 
Bibliothèque  nationale,  manuscrit  fonds  italien,  filza  4  bis, 
fol.  26. 


116  CATHERINE    UE    MEDICIS 

du  may  et,  au  partir  de  là,  luy  ferons  faire  son 
entrée  à  Paris  les  premiers  jours  de  juin  (i).  » 

Dans  l'entourage  de  la  reine  on  commentait 
cette  résolution  dont  on  devinait  aisément  le 
but  :  «  On  dit  ici  secrètement,  écrit  Trockmorton, 
que  la  reine-mère,  sentant  qu'elle  n'est  plus  en 
faveur,  a  formé  le  projet  de  faire  sacrer  le  roi 
aussitôt  que  cela  se  pourra.  Elle  pense  ainsi 
pouvoir  combattre  les  difficultés  qu'on  tire  de 
la  minorité  du  roi  et  donner  à  ce  dernier  une 
autorité  suffisante  pour  choisir  les  gouverneurs 
qui  lui  conviendront,  ainsi  qu'il  a  été  fait  pour 
son  frère  décédé.  Dans  ce  dessin,  on  commence 
à  lui  attribuer  l'idée  de  transporter  la  cour  à 
Reims,  le  lundi  quinze  jours  après  Pâques  (2).  «. 


(1)  Lettres  de  Catherine  de  Médicis  à  Vévêque  de  Limoges  et 
à  l'ambassadeur  de  France  en  Espagne  :  27  mars  1561  (t.  I, 
pp.  176-178). 

(2)  Dépêche  de  l'ambassadeur  anglais  Trockmorton  à  la  reine 
d'Angleterre,  Paris,  31  mars  1562.  Document  analysé  dans 
Calendars  of  state  papers,  15Q1-1ÔQ2,  n°  77.  Ainsi  que  me  l'a 
fait  très  justement  observer  M.  Marlet,  cette  dernière  phrase 
de  Trockmorton  :  le  lundi  quinze  jours  après  Pâques,  ne 
peut  signifier  :  «  le  lundi  quinzième  jour  du  mois  après 
Pâques  »  qui  fut  le  6  avril  de  l'année  1561,  car  le  15  avril 
fut  un  mardi.  Cela  veut  donc  dire  le  lundi  qui  suit  Pâques 
de  quinze  jours,  c'est-à-dire  le  21  avril;  ce  en  quoi  Trock- 
morton fait  erreur,  puisque  nous  avons  la  preuve  que  Ca- 
therine avait  fixé,  dans  le  même  temps,  le  sacre  au  11  mai. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  117 

Mais  soudain,  au  moment  des  dernières  dis- 
positions, Catherine  fut  assaillie  par  de  nouvelles 
alarmes.  Les  résultats  des  observations  astro- 
logiques de  Gabriel  Simeoni  n'arrivaient  toujours 
pas,  et  l'on  parlait  d'une  conspiration  ourdie  par 
les  Guises  qui  devait  éclater  à  Reims  pendant 
la  cérémonie  (i).  L'astrologue  avait  peut-être 
prévu  ce  complot?...  Fallait-il  reculer  la  céré- 
monie ?. . .  Questions  auxquelles  semble  répondre 
Tornabuoni  qui,  le  3i  mars,  informait  le  duc 
de  Florence  «  que  le  sacre  se  fera  à  Reims, 
puis  l'entrée  du  roi  au  mois  de  juillet  »,  seule- 
ment (2). 

Peu  àpeu  ces  bruits  de  conspiration  s'éteignent; 
Catherine  reprend  confiance,  lorsque  subite- 
ment elle  tombe  malade  et  se  croit  empoison- 
née (3).  Enfin,  le  mieux  se  faisant  sentir  et  toute 
crainte  de  mort  étant  écartée,  la  reine-mère 
reprend  son  projet.  Ne  recevant  toujours  rien  de 
Gabriel  Simeoni,  le  2  avril  elle  se  décide  à  don- 


(1)  Lettre  de  Chanlonnay  au  roi  Philippe  II  cFEspagne,  9  avril 
1561.  Archives  nationales,  K.  1494,  pièce  n*'  75. 

(2)  Dépêche  de  Tornabuoni  au  duc  de  Florence,  Paris, 
31  mars  1561.  Négociations  entre  la  France  et  la  Toscane, 
i.  III,  pp.  448  et  449. 

(3)  Lettre  de  Sechelles,  1"  mai  1561,  Calendras,  1561-63,  et 
Alph.  de  Ruble,  t.  III. 


118  CATHERINE    DE    MÉDICIS 

n3r  des  ordres,  en  vue  des  préparatifs  du  sacre^ 
au  grand  écuyer,  M.  de  Boisy  : 

«  Le  sacre  du  roy  aura  lieu  le  mois  prochain , 
où  il  est  bien  raisonnable  que  vous  vous  trou- 
viez avec  une  partie  des  gentilshommes  de  sa 
maison.  Toutefois,  il  ne  nous  a  semblé,  attendu 
la  dépense  et  le  long  séjour  qu'ils  ont  fait  à 
Orléans,  qu'il  fût  à  propos  de  les  faire  tous 
venir,  mais  seulement  25  de  chaque  compagnie... 
puis  ils  retourneront  chez  eux...  Les  autres  figu- 
reront à  l'entrée  du  roy  à  Paris  (i).  » 

Après  de  nouvelles  hésitations  basées  sur  de 
nouveaux  troubles  religieux,  tels  que  les  prêches 
huguenots  pratiqués  publiquement  dans  les 
appartements  de  l'Amiral,  le  renouvellement  de 
la  défense  déjà  faite  aux  protestants  de  se  réunir 
secrètement,  l'arrestation  de  plusieurs  ministres 
du  culte  calviniste,  dont  un  chez  Mme  de  Hoye, 
la  cour  arriva  enfin  à  Reims  le  i3  mai.  Une 
entrée  solennelle  du  roi  fut  suivie  des  réceptions 
d'usage,  et  le  i5,  jour  de  l'Ascension,  le  sacre 
fut  célébré  en  une  magnificence  extraordinaire> 
où  le  prince  de   Condé  et  l'amiral  de   Coligny 

(1)  LeUre  de  Catherine  de  Médicis  :  A  M.  de  Boisy,  grand 
écuyer  el  capitaine  des  Cent  Gentilshommes  du  roy  mon  fils. 
Fontainebleau,  2  avril  1561. 


CATI.IERINE    DE    RIEDICIS  \]*f 

s'étaient  fait  excuser- (i).  Pendant  la  durée  de  la 
messe  qui  fut  célébrée  par  le  cardinal  de  Lor- 
raine, et  des  offices  divers  qui  durèrent  depuis 
huit  heures  du  matin  jusqu'à  une  heure  de 
l'après-midi,  Charles  IX  ne  cessa  de  pleurer, 
«  et  ses  larmes,  dit  Pierre  Mathieu,  furent  prises 
pour  présages  des  calamités  effroyables  dont 
son  règne  fut  comblé  (2)  ». 


La  réponse  de  Gabriel  Simeoni  n'arriva  à 
Paris  que  dans  les  premiers  jours  de  juin,  alors 
que  tout  était  terminé.  Cependant,  par  le  début 
de  cette  réponse,  il  semble  que  l'astrologue 
avait  averti  Catherine  d'un  retard  probable  dans 
renvoi  de  sa  prédiction.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici 
ce  très  curieux  document  traduit  in  extenso  pour 
la  première  fois  : 

(1)  Le  président  Jacques  de  Montagne,  dans  l'un  des  deux 
fragments  qui  nous  restent  de  sa  grande  Histoire  de  l'Eu- 
rope (1559  à  1587),  a  raconté  avec  beaucoup  de  détails  le 
sacre  de  Charles  IX'.  Ce  récit,  qui  contient  l'exposé  de  faits 
introuvables  dans  d'autres  documents,  a  été  publié  pour  la 
première  fois  par  le  baron  Alphonse  de  Ruble,  en  appendice 
du  t.  III  de  son  important  ouvrage  sur  Antoine  de  Bourbon 
et  Jeanne  dAlbrel,  p.  354. 

(2)  Pierre  Mathieu,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  243,  et 
Alph.  de  Huble,  t.  III,  p.  98. 


120  CATHERINE   DE    MEDICIS 


«  Madame 

«  J'ai  écrit  il  y  a  deux  jours  longuement  à 
V.  M.  dans  l'attente  (comme  celui  qui  n'a  pas 
beaucoup  à*  dépenser  pour  les  hostelleries)  de 
quelque  bonne  et  prompte  résolution d'Elle.  Par 
ce  moyen  m'est  venu  le  désir  (pendant  lequel 
j'ai  toujours  étudié  pour  vous  être  agréable)  de 
savoir  quel  serait  le  jour  le  plus  opportun  pour 
le  couronnement  du  roi,  et  pour  vous  fortifier. 
Il  ne  se  peut  trouver  un  jour  plus  heureux  que 
le  16  juin  pour  la  raison  qu'un  astrologue  con- 
naîtra sur  la  jointe  figure  que  je  vous  envoie 
en  même  temps  que  l'heure  qui  sera  à  peu  près 
midi,  quand  il  lui  sera  posé  la  couronne  sur  la 
tête.  D'autre  part,  ayant  donné  un  coup  d'œil  à 
la  révolution  de  cette  année,  je  trouve  que  la 
Lune  est  arrivée  à  l'emplacement  de  Saturne^ 
Saturne  occupant  celui  du  Soleil^  du  Lion  et  de 
Mercure.  Mars,  uni  à  la  Lune,  a  changé  du  Dra- 
gon el  du  Lion  l'aspect  quadrilataire  de  la  Lune] 
de  sorte  que  cette  année  il  résulte  de  grands 
ennuis  pour  la  cause  de  la  religion,  qui  auront 
un  grand  développement,  d'autant  plus  que  aSo- 
turne  sortira  vers  les  premiers  jours  de  juillet 
vainqueur  du  Cancer. 


Michel  Nostradamus. 
{Gravure  du  temps.) 


122  ,     CATHERINE    DE    MEDICIS 

«  Et  si  certains  hommes  terrestres  se  mo- 
quent des  choses  du  ciel,  les  accidents  néan- 
moins réalisés  éclairciront  entre  aujourd'hui 
et  deux  ans  leur  incrédulité. 

«  Madame,  je  prie  Dieu  qu'il  accorde  bonheur 
et  longue  vie  à  V.  M.  et  à  tous  ses  royaux  en- 
fants, et  pendant  qu'Elle  peut,  par  le  bien,  pro- 
pager la  bonté  et  la  vertu  de  ses  serviteurs,  ne 
naissant  pas  tous  les  jours,  ni  ne  vivant  éternel- 
lement, ainsi  faits  beau  contraste.  (Quelle  heure 
a  V.  M.?) 

«  De  Chiaramonte  le  dernier  jour  de  mai  i56i. 

((  De  V.  M.  très  chrétienne, 

«  Votre  humble  serviteur, 

u  Gabriel  Simeoni  (i).  » 

Une  figure  horoscopique  accompagne  ce  texte 
astrologique,  ainsi  qu'une  légende  latine  où  Si- 
meoni répète  ce  qu'il  a  précédemment  exposé  en 
langue  italienne.  Chacun,  à  la  cour  de  France, 
interpréta  selon  ses  sentiments  le  retard  apporté 
dans  l'envoi  de  l'astrologue  et  l'impatience  de 
Catherine  à  célébrer  le  sacre  de  son  fils.  Peut- 

(1)  Bibliothèque  nationale,  Manuscrii  italien,  fonds  Dupiiy, 
vol.  n°  588,  fol.  174  et  176.  (Traduction  inédite.)  Voir  fac- 
similé  de  Toriginal  italien,  p.  165  du  présent  ouvrage. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  12;^ 

être  que  Gabriel  Simeoni,  doutant  de  la  valeur  de 
ses  pronostics,  avait-il  trouvé  ce  subterfuge  pour 
s'éviter  une  critique  qui,  plus  tard,  aurait  pu  être 
soulevée  par  Timprécision  de  sa  prédiction?... 

Quant  à  Catherine,  elle  attachait  certaine- 
ment une  grande  importance  aux  conseils  de  ses 
magiciens.  Mais  dans  son  esprit  et  dans  sa  mé- 
thode gouvernementale,  les  prévisions  diploma- 
tiques passaient  bien  avant  les  prévisions  astro- 
logiques. Et  si  elle  se  décida  à  ne  pas  attendre 
davantage  la  consultation  de  Simeoni,  c'est  uni- 
quement pour  les  raisons  politiques  que  Suria- 
no  nous  expose  très  clairement,  c'est-à-dire  Fim- 
portante  question  des  Etats-Généraux  dont  Ca- 
therine redoutait  l'assemblée  pour  sa  régence. 

«  Cette  question  des  États,  dit  l'ambassadeur 
du  doge,  actuellement  donne  à  penser  à  la  séré- 
nissime  reine  qui,  pour  les  déranger  dans  leurs 
projets  et  ne  pas  les  laisser  se  réunir  à  l'époque 
fixée  en  mai,  a  imaginé  cet  expédient  (le  sacre), 
grâce  auquel  les  États  sont  ajournés  en  août,  et 
à  cette  époque  se  fera  une  autre  prorogation 
sous  un  autre  prétexte  (i).  » 

(1)  Dépêche  de  Suriano  au  doge  de  Venise,  Paris,  29^  mars 
l')61.  Bibliothèque  nationale,  fonds  italien,  manuscrit  n°  1721, 
filza  4,  fol.  270.  Traduction  inédite. 


124  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Ainsi,  Catherine  de  Médicis  sut-elle,  toute  sa 
vie,  subordonner  adroitement  les  questions  de 
conscience  aux  questions  de  gouvernement.  Et 
lorsque  les  sciences  occultes  ne  lui  donnaient 
pas  satisfaction,  les  machinations  politiques, 
plus  rapides  et  plus  sûres,  mais  aussi  plus  per- 
ceptibles à  l'attention  de  ses  adversaires,  lui 
fournissaient  des  moyens  avec  lesquels  toujours 
elle  triomphait.  L'un  des  chapitres  suivants  va 
nous  fournir  une  nouvelle  preuve  de  cette  tac- 
tique étrange  et  parfois  criminelle. 


CHAPITRE  IV 


LE    MIROIR    MAGIQUE 


En  complément  des  études  du  ciel,  des  cal^ 
culs  génésiaques  et  généthliaques,  le  devin,  tout 
comme  le  déiste  prêtre,  possède  son  temple, 
son  sanctuaire  pour  la  célé'bration  des  grands 
mystères  ésotériques.  Quittant  les  clartés  as- 
trales, il  pénètre  dans  l'ombre  du  laboratoire. 
Et  là,  en  même  temps  qu'il  change  de  méthode, 
l'astrologue  change  de  nom.  Il  devient  le  sorcier, 
le  magicien  noir  qui,  après  avoir  fixé  le  cours 
et  le  rôle  des  constellations  infinies,  va  com- 
mander aux  monstres  impudiques  et  sterco- 
raires qui  peuplent  les  ténèbres. 

Le  magicien  Henry  Khunrath,  qui  vivait  à 
Tépoque  de  Catherine  de  Médicis,  nous  a  laissé 
la  description  du  cabinet  d'un  initié  à  la  haute 


126  CATHERINE    DE   MEDICIS 

science  (i),  installation  faite  selon  les  règles 
prescrites  par  les  rituels  hermétiques.  Par  ce 
document,  nous  savons  donc  dans  quel  entou- 
rage matériel  les  magiciens  de  Catherine  opé- 
raient les  prodiges  qui  subjuguaient  cette  reine 
au  château  de  Ghaumont-sur-Loire  (2). 

(1)  Henry  Khunrath,  Amphilhealram  sapientiae  aeternae 
solius  veraechristiano.  Kabalesîicum  diuinomagicum,  physico- 
chlmicum,  tealrinum  cathoUcum.  Un  vol.  petit  in-foL 
publié  à  Hanovre  en  1609,  avec  portrait  de  l'auteur.  Stanis- 
las de  Guaita,  qui  possédait  un  exemplaire  de  ce  très  rare 
ouvrage,  avait  acheté  en  1893  à  mon  ami  regretté  Anatole 
Claudin  un  curieux  manuscrit  relatif  aux  travaux  de  Khun- 
rath et  intitulé  :  Henry  Khunrath,  Opuscules  hermétiques  et 
théosophiques  avec  des  commentaires  de  Jean  Arnaut  et  plu- 
sieurs autres  traités  dalcfiymie.  Le  tout  collafionné  et  recueilly 
par  le  S"  Louis  Charpentier,  berger  à  Montevrin,  s.  d.  En 
1907,  ce  manuscrit,  in-t  de  300  pages  relié  parchemm,  passa 
dans  la  Bibliothèque  Chacornac  et  catalogué  50  francs.  En 
1906,  Lucien  Bodin  possédait  également  un  manuscrit  de 
lun  des  livres  de  Khunrath,  traduit  par  Charles  Gueydon  : 
La  Moelle  de  la  Philosophie  hermétique. 

(2)  Ce  château  historique  appartient  aujourd'hui  au  prince 
Amédée  de  Broglie. 

Cette  scène  de  magie  est  la  seule  qui,  à  notre  connais- 
sance, ait  en  lieu  au  château  de  Chaumont-sur-Loire.  Mris 
en  ce  qui  touche  les  actes  mystérieux  de  la  reine-mère,  au 
Château  de  Blois,  nous  avons  plus  de  détails.  La  Saussaye, 
notamment,  nous  dit  qu'en  cette  demeure  historique,  sur  la 
vieille  tour  dite  du  Poix,  Catherine  avait  fait  élever  un  petit 
édifice  avec  ces  deux  mots  latins  gravés  au-dessus  de  la 
porte  d'entrée  :  Uraniœ  sacrum.  (Camille  Piton,  le  Quartier 
dei  Halles,  p.  387.)  Cette  tour,  dans  les  caves  de  laquelle  fut 
tué  le  cardinal  de  Guise,  existe  encore,  et  sa  dédicace  à  la 


CATHERINE    DE   MEDICIS  ]27 

En  une  chambre,  sans  ornement,  et  mollement 
éclairée  d'un  jour  imprécis  que  laissent  passer 
comme  à  regret  des  vitrages  verdatres,  c'est 
l'alignement  attendu  des  bocaux  et  flacons  con- 
tenant les  produits  nécessaires  aux  combinai- 
sons et  mélanges  du  grand-œuvre.  Adroite,  sous 
la  hotte  de  la  cheminée,  sont  placés  l'athanor 
alchimique,  l'œuf  philosophique,  les  creusets  et 
l'alambic  de  Porta.  Une  fontaine,  pour  la  purifi- 
cation quotidienne  de  l'opérateur,  est  à  côté  de 
l'autel  aux  pantacles  et  aux  exorcismes  é loca- 
teurs. Sur  la  table  de  travail,  au  milieu  des 
livres,  de* l'encrier,  de  la  plume,  du  couteau  et 
des  parchemins  vierges  destinés  aux  pactes, 
une  tête  de  mort  rappelle  au  magicien  l'ultime 
but  de  toute  chose.  Et  dans  une  cassolette, 
brûle  sans  cesse  le  parfum  qui  chasse  les  mau- 
vais esprits  et  les  fantômes  nuisibles  :  intime 
mélange  de  menthe  et  de  palma-christi.  Au  mur 
de  gauche,  voisinant  avec  des  devises  hébraï- 
ques, et  en  face  des  cercles  goétiques  tracés  sur 

déesse  de  Fastronomie  indique  suffisamment  à  quel  usage 
cette  construction  était  destinée.  De  plus,  au  mois  d'août 
de  l'année  1555,  Nostradamus  s'était  rendu  au  château  de 
Blois,  sur  l'ordre  de  Henri  II,  pour  y  dresser  Ihoroscope 
«  des  enfants  de  France  >».  [Histoire  et  chronique  de  Pro- 
vence de  César  de  Nos!^radamus',  Lyon,  1614,  in-fol.,  p.  776.) 


128  CATHERLNE    DE    MEDICIS 

le  sol,  le  miroir  magique  offre  son  regard  d'acier 
clair  aux  yeux  du  consultant.  Enfin,  Tastrolabe, 
la  baguette  divinatoire  et  ordonnatrice,  le 
sablier,  la  balance,  le  pentacorde,  la  sphère  ar- 
millaire  et  un  fauteuil  de  repos,  complètent  cet 
ameublement  austère  et  mystique. 

Telle  était  l'installation  qui  caractérisait  l'ap- 
partement que  Catherine  consacrait  aux  travaux 
de  ses  magiciens  dans  le  château  de  Chaumont- 
sur-Loire,  local  situé  dans  le  corps  de  bâtiments 
compris  entre  la  chapelle  et  l'aile  gauche  de 
cette  royale  demeure,  et  que  visita  André  Féli- 
bien  vers  1680  : 

«  Il  y  a  plusieurs  appartemens  dans  tous  ces 
bastimens,  dit  cet  auteur.  Dans  les  plus  anciens 
e^t  une  grande  salle,  fort  spacieuse,  qui  a  vue 
du  costé  de  l'eau.  La  tradition  veut  que  la  reyne 
Catherine  ait  demeuré  dans  ce  chasteau  et  que 
c'estoit  dans  cette  mesme  salle,  qu'elle  tenoit 
ses  assemblées  quand  elle  conféroit  avec  les 
astrologues  et  les  devineurs  ausquels  elle  avoit 
beaucoup  de  foy.  Il  y  a,  comme  j'ay  dit,  encore 
quelques  meubles  qui  luy  ont  appartenu...  (i)  » 

(1)  André  Félibien  :  Maisons  royalles  des  bords  de  la 
Loire.  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  maisons  royalles 
et  bastimens  de  France  par  André  Félibien,  sieur  des  Avaux. 


CATHERINE    DE    MÉDICIS  129 


Des  expériences  d'occultisme  auxquelles  Ca- 
therine a  pu  se  livrer  dans  cette  salle  en  compa- 
gnie de  ses  familiers  nécromants,  les  chroni- 
queurs nous  ont  principalement  conservé  le 
détail  d'une  évocation  pratiquée  à  l'aide  du  mi- 
roir magique,  divination  que  les  occultistes 
intitulent  Catpplromantie  ou  encore  Cristalo- 
mande  (i). 

Bien  que  rédigés  en  1681,  ces  mémoires  ne  furent  édités 
qu'en  1878  par  J.  Baur.  Les  manuscrits  d'André  Félibien 
sont  conservés  à  la  Bibliothèque  nationale. 

(1)  La  divination  par  le  miroir  magique  se  pratiquait,  et 
se  pratique  encore  de  diverses  manières.  Ordinairement  les 
personnages  évoqués  apparaissaient  à  un  enfant  auquel  on 
avait  bandé  les  yeux,  et  qui  tournait  le  dos  au  miroir.  A  la 
page  252  de  son  Incrédulité  et  mescréance  du  sortilège  plai- 
nemenl  convaincue,  Paris,  1622,  P.  de  l'Ancre  nous  dit  ; 
'<  P\  thagore  avoit  un  miroir  d'acier  bien  net,  dans  lequel  il 
escrivoit  tout  ce  que  bon  luy  sembloit,  et  le  monstroit  par 
après  à  la  lune  estant  dans  son  plein.  Et  fichant  la  pointe 
de  sa  vue  sur  icelle,  il  pouvoit  lire  tout  ce  qui  estoit  con- 
tenu dans  le  miroir,  de  même  que  s'il  eust  esté  escrit  dans 
la  lune  mesme.  »  Le  même  auteur  nous  assure  que,  lors 
de  la  guerre  du  Milanais  entre  François  le--  et  Charles- 
Quint,  un  magicien  apprenait,  par  ce  système,  aux  astro- 
logues parisiens  les  événements  qui  se  déroulaient  en  la 
ville  de  Milan.  P.  de  l'Ancre  nous  décrit  encore  un  mode 
d'évocation  qui  se  rattache  au  miroir  magique,  et  que 
Cagliostro  devait  utiliser  plus  tard  avec  tant  de  succès  pour 
Marie-Antoinette  :  «  On  prend,  dit  cet  auteur,  une  fiole  de 
verre  ventrue  remplie  d'eau,  dans  laquelle  une  femme  grosse 
ou  un  enfant  pur  peuvent  voir  certains  nuages  et  figures 
au    lieu    de  responces.  >»  On  dispesait  des  flambeaux  allu- 


13}  CATHERINE    DE    MEDICIS 

«  On  a  ouï-dire  à  la  mareschàlle  de  Raiz, 
rapporte  Simon  Goulart,  que  la  royne  Catherine 
de    Médicis,  désireuse   de   sçavoir  que  devien- 

més  autour  de  cette  bouteille,  et  Ton  invoquait  les  esprits 
des  personnages  à  voix  basse  ;  le  magicien  interprétait  et 
traduisait  les  figures  et  les  nuages  divers  cfui  apparais- 
saient dans  la  bouteille  aux  yeux  du  voyant.  (P.  153  de 
l'ouvrage  précité.)  Aujourd'hui,  en  Chine  et  dans  certaines 
autres  contrées  orientales,  on  trouve  encore  des  miroirs 
magiques  extrêmement  curieux.  Ils  sont  ordinairement  cons- 
truits de  matières  mauvaises  conductrices  de  l'électricité, 
et  ornés  de  prières  magiques  et  sentances  kabbalistiques. 
Aux  Indes,  les  fakirs  s'en  servent  pour  fixer  la  volonté  de 
leurs  consultants  dans  les  évocations  des  morts,  et  au 
seizième  siècle,  Thomassi  Boroneilo  nous  explique  comment 
les  magiciens  italiens  opéraient  ce  genre  de  divination  en 
sinspirant  des  sorcières  thessaliennes  qui  écrivaient,  sur 
leurs  miroirs  magiques,  des  oracles  avec  du  sang  humain  et 
en  lisaient  les  réponses  sur  le  disque  pâli  de  la  lune.  Notons 
aussi  que  l'historien  grec  Pausanias  nous  parle  d'un 
miroir  magique  qui  était  conservé  au  temple  de  Cérès  et 
que  les  malades  venaient  consulter  en  foule  pour  obtenir, 
de  la  déesse,  leur  guérison.  De  nos  jours,  des  occultistes 
comme  S.  Bell,  J.  Baissac,  Badaud,  Papus,  Sédir,  et  autres, 
ont  repris  ce  genre  d'évocation  et  en  ont  développé  la  théorie 
magique  dans  quelques  ouvrages  peu  répandus.  Mais  le 
savant  docteur  Charcot  a  su  nous  démontrer  comment  les 
sensitifs,  sous  l'influence  de  la  suggestion,  voient,  en  elTet, 
très  nettement,  des  images  suggérées,  non  seulement  dans 
les  miroirs  magiques,  mais  sur  de  simples  feuilles  de  papier 
blanc  qui  en  tiennent  facilement  lieu.  Darwan  a  décrit  et 
commenté  savamment  ces  troublantes  expériences  du  doc- 
teur Charcot,  qui  nous  permettent  de  supposer  qu'au 
seizième  siècle  la  suggestion  était  parfaitement  connue 
des  magiciens  de  Catherine  de  Médicis,  et  que  cette  reir.c 


CATIIEULNE    DE    MliDICIS  13| 

droyent  ses  enfants,  et  qui  leur  succéderoit, 
celui  qui  entreprenoit  de  l'en  asseurer,  les  luy 
(it  voir  en  un  miroir  représentant  une  salle  en 
laquelle  chascun  fit  autant  de  tours  qu'il  devoit 
régner  d'années.  Et  que  le  roy  Henri  III  ayant 
fait  les  siens,  le  duc  de  Guise  le  traversa  (le  mi- 
roir), comme  un  éclair.  Puis  le  prince  de  Na- 
varre se  présenta  qui  en  fit  vingl-deux  tou  s  et 
incontinent  après  disparut  (i).  » 

Outre  Simon  Goulart,  plusieurs  autres  chro- 
niqueurs du  temps,  tel  que  Nicolas  Pasquier  (2), 
nous  confirmèrent  cette  cirleu.se  scène  de  sor- 
cellerie. Mais  si,  à  part  quelques  variantes  dans 


a  fort  bien  pu,  de  bonne  foi,  assister  à  des  apparitions  de 
figures  royales  en  un  miroir  magique,  figures  à  elle  suggé- 
rées par  Nostradamus. 

(1)  Simon  Goulart,  Trésor  d'histoires  admirables,  t,  IV, 
p.  438. 

(2)  Voir  :  Œuvres  u'Estienne  Pasquier,  conseiller  et  avo- 
cat général  du  roy  en  la  Chambre  des  comptes  de  Paris.  Ses 
lettres,  ses  œuvres  meslées  et  les  lettres  de  Nicolas  Pasquier, 
/ils  d'Estienne;  t.  II,  lib.  I,  p.  1057.  Publié  en  2  voluiTies 
in-4,  à  Amsterdam,  en  1723,  Parmi  les  ouvrages  modernes 
qui  ont  rapporté  très  succinctement  cette  expérience  du 
miroir  magique  de  Catherine,  voir  Colin  de  Plancy  et 
P.-L.  Jacob  :  Curiosités  des  Sciences  occultes,  p.  2H0.  Paris 
Garnier  frères,  1885.  Notons  encore  un  ouvrage  peu  commun  : 
VEspion  Turc,  Paris,  1710,  p.  3.53  du  t.  IV,  ouvrage  qui 
contient  la  curieuse  gravure  représentant  celle  scène 
d'évocation,  et  reproduite  ici,  p.  159. 


132  CATHERINE    DE    MEDICIS 

les  détails,  tous  sont  d'accord  sur  le  fond  du 
prodige  réalisé  au  château  de  Chaumont-sur- 
Loire,  les  uns  l'attribuèrent  à  Nostradamus, 
tandis  que  les  autres  nous  présentèrent  le  Flo- 
rentin Gosme  Ruggieri  comme  en  étant  Fauteur. 
Selon  les  recherches  du  célèbre  occultiste  mo- 
derne, Sédir,  ce  serait  bien  Nostradamus  qui 
fut  l'opérateur  dans  cette  expérience  restée  célè- 
bre ;  et,  en  sa  qualité  d'initié  à  la  haute  science, 
Sédir  nous  expose  la  formule  magique  étable 
par  le  devin  de  Salon,  pour  la  réussite  de  ces 
pratiques  mystérieuses  qui  appartiennent  aux 
rites  les  plus  élevés  et  les  plus  purs  du  genre, 
qu'enseignent  les  Clavicules  de  Salomon  (i). 

(1)  Les  Kabalistes  et  magiciens  considèrent  Salomon 
comme  leur  maître.  Ils  déclarent  que  Dieu  lui  ayant  donné 
la  sagesse,  il  lui  avait,  en  même  temps,  communiqué  toutes 
les  connaissances  du  monde  visible  et  invisible.  Entre 
toutes  ces  sciences,  Salomon  possédait  la  plus  sublime, 
c'est-à-dire  l'art  d'évoquer  les  esprits  et  de  leur  com- 
mander. En  outre,  les  occultistes  prétendent  que  Salomon 
possédait  un  anneau  talismanique  qui  lui  donnait  plein  pou- 
voir sur  tous  les  êtres  intermédiaires  entre  Dieu  et  les 
hommes.  Cet  anneau  existe  encore,  enfermé  dans  le  tom- 
beau de  Salomon,  et  quiconque  le  posséderait  deviendrait  le 
maître  incontesté  du  monde.  Seulement  on  ignore  l'empla- 
cement de  ce  fameux  tombeau.  Il  ne  reste  du  grand  maître 
de  la  magie,  que  des  formules,  des  règlements  rituels  et  des 
figures  magiques,  contenus  dans  divers  ouvrages  attribués 
à  Salomon  et  notamment  dans  les  Véritables  Clavicules  de 


CATMKHLNE    DK    MUDICIS  18S 


xKprès  avoir  préparé  une  plaque  rectangulaire 
d'acier  luisante,  bien  polie,  et  légèrement  con- 
cave, Nostraclamus  écrivit  aux  quatre  coins  de 
ce  miroir,  avec  du  sang  de  pigeon  mâle,  les 
noms  suivants  (i)  : 


Jéhovah  I  --'       Elouim 

MlTTATRON  I  Ad  ON  A  Y 


Puis  il  mit  le  miroir  dans  un  linge  neuf,  très 
blanc.  Et  un  soir  du  commencement  de  l'année 


Salomon,  in-18  imprimé  à  Memphis,  chez  Alibeck  VÉgyptien. 
Voir  le  manuscrit  de  la  Clavicule  de  Salomon  ;  Bibliothèque 
de  TArsenal,  n°  76,  p.  28. 

(1)  Jéhovah  :  nom  de  Dieu  chez  les  Hébreux.  —  Mit- 
tatron  ou  Mithras  :  dieu  des  anciens  Perses  sous  le  nom 
duquel  on  adorait  le  feu.  —  Elohim  :  génie  infernal  deja 
vingt-sixième  légion  de  Furfur,  comte  des  enfers.  —  Adonay 
ou  Adonis,  monstre  qui,  selon  Wierus,  remplit  certaines 
fonctions  dans  les  incendies  terrestres.  Wierus  ou  Jean 
Wier,  était  un  célèbre  démonographe  brabançon,  élève 
d'Agrippa.  On  lui  doit  les  cinq  livres  Dex  prestiges  des  Démons, 
traduits  en  français  par  Jacques  Grevin  de  Clermont, 
Paris,  1509,  un  volume  in-8. 


134:  CATHERINE    DE    MEDICTS 


i56oj  alors  qu'au-dessus  des  bois  de  Cliaumont 
s^élevait  lentement  la  lune  nouvelle,  à  la  pre- 
mière heure  qui  suivit  le  coucher  du  soleil, 
Nostradamus  s'approcha  de  Tune  des  fenêtres  du 
laboratoire,  l'ouvrit  et,  regardant  le  ciel  avec 
dévotion,  il  dit  : 

«  0  Éternel  î  0  Roi  éternel  !  DieuinefTable  qui 
4^vez  créé  toutes  choses  pour  l'amour  de  moi,  et 
par  un  jugement  occulte  pour  la  santé  de 
l'homme,  regardez-moi,  Nostradamus,  votre 
serviteur  très  indigne,  et  considérez  mon  in- 
tention pure.  Daignez  m'envoyer  votre  ange 
Anael  sur  ce  miroir,  qui  mande,  commande  et 
ordonne  à  ses  compagnons  et  à  vos  sujets  que 
vous  avez  faits,  ô  Tout-Puissant,  qui  avez  été, 
<[ui  êtes  et  qui  serez  éternellement.  Qu'en  voire 
nom  ils  prient  et  agissent  dans  la  droiture  pour 
m'instruire  et  me  montrer  ce  que  je  leur  deman- 
derai. » 

Dans  un  réchaud  de  fer  neuf^  sur  des  char- 
bons ardents,  Nostradamus  jeta  ensuite  dj 
safran  oriental  qui  est  le  parfum  convenable  à 
Anael,  et  toujours  priant,  il  njouta  : 

«  Et  ce,  pour  ce,  et  avec  ce  que  je  verse  devant- 
vôtre  face,  ô  mon  Dieu,  qui  êtes  tri-un,  bon   et 
dans  la    plus  sublime  élévaticn,  qi;i   voyez  au- 


CATHERINE    DE    MEDICIS  13.> 

dessus  des  chérubins  et  des  séraphins,  et  qui 
devez  juger  les  sièL-les  par  le  feu,  exaucez-moi  !  » 
En  prononçant  ces  paroles  sacramentelles,. 
NostraJamus  parfumait  le  miroir,  le  balançant 
de  la  main  droite  au-dessus  du  réchaud  d'où 
s'élevait  en  colonne  vaporeuse  la  fumée  odo- 
rante du  safran,  et  répétait  par  trois  fois  Forai- 
son  précédente  à  l'Eternel.  La  prière  terminée,. 
le  magicien  souffla  trois  fois  sur  le  miroir  et  dit 
encore  :  «  V^enez,  Anael  (i),  venez,  et  que  ce  soit 
votre  bon  plaisir  d'être  en  moi  par  votre  volonté 
au  nom  du  Père  Tout-Puissant  +,  au  nom  du 
Fils  Très-Sage  +?  ^u  nom  du  Saint-Esprit  très 
aimable  +•  Venez,  Anael,  au  nom  du  terrible 
Jéhovah  !  Venez,  Anael,  par  la  vertu  de  l'immorr 
tel  Elohlm  !  Venez,  Anael,  par  le  bras  du  tout- 
puissant  MiTTATRON  !  Venez  à  moi-,  Nostradamus, 
et  commandez  à  vos  sujets  qu'avec  amour,  joie 
et  paix,  ils  fassent  voir  à  mes  yeux  les  choses 
qui  me  sont  cachées.  Amen.  »  Puis  il  revint  vers 
la  fenêtre,  éleva  à  nouveau  les  yeux  vers  le  ciel 
étoile  et  prononça  cette  conjuration  suprême. 
«    Seigneur  Tout-Puissant,  qui  faites  mouvoir 

(1)  A  remarquer  que  ce  mot  Anael  est  gravé  sur  la  mé- 
daille talismanique  de  Catherine  de  Médicis  reproduite  ici 

p.  187. 


13;  CATIIEUINE    DE    MEUICIS 

tout  ce  qui  vous  plaît,  exaucez  ma  prière,  et  que 
mon  désir  vous  soit  agréable.  Regardez,  s'il 
vous  plaît,  Seigneur,  ce  miroir  et  bénissez-le, 
afin  qu'ANAEL,  Tun  de  vos  sujets,  s'arrête  sur  lui, 
avec  ses  compagnons  pour  satisfaire  Nostrada- 
mus,  votre  pauvre  et  misérable  serviteur,  0 
Dieu  béni  et  très  exalté  de  tous  les  esprits  cé- 
lestes, qui  vivez  et  régnez  dans  l'éternité  des 
bons.  Ainsi  soit-il.  » 

Lentement,  Nostradamus  fit  le  signe  de  la 
croix  sur  sa  poitrine  et  sur  le  miroir,  signe  qu'il 
répéta  durant  quarante-cinq  jours,  chaque  soir  à 
la  même  heure  crépusculaire.  Enfin,  le  quarante- 
cinquième  jour,  à  la  nuit  tombante,  Tange  Anael 
apparut  au  magicien  sous  la  forme  d\in  bel 
enfant  blond  qui  le  salua  et  lui  annonça  que 
ses  compagnons  et  lui  étaient  prêts  à  obéir  aux 
ordres  de  Nostradamus.  Celui-ci  remercia  la 
vision, et  la  pria  d'apparaître  dans  le  miroir  ou 
d'y  faire  apparaître,  chaque  fois  qu'il  en  mani- 
festerait le  désir,  les  personnages  dont  il  évo- 
querait l'esprit  et  les  formes. 

Le  lendemain,  vers  minuit,  Catherine  de  Médi- 
cis  fut  enfin  admise  dans  le  laboratoire.  A  l'aide 
d'une  croix  de  bois  bénite  et  carbonisée  à  sa  plus 
grande  extrémité,  Nostradamus  avait  tracé  sur 


CATHERINE    DE    MEDICIS  137 

le  sol  le  double  cercle  ma^iqae^  selon  les  données 
contenues  dans  le  grimoire  du  pape  Honorius,  el 
disposé  sur  cette  figure  géométrique:  un  crâne 
humain^  un  libia^  une  lampe  à  la/lamme  pâle  et 
un  chat  endormi  du  sommeil  magnétique.  Le 
miroir  avait  été  placé  sur  le  manteau  d  une  che- 
minée dans  laquelle  brûlaient  des  bûches  sau- 
poudrées de  safran  oriental.  Accroupi  au  milieu 
du  double  cercle,  la  baguette  magique  en  main 
droite,  Nostradamus  fit  la  conjuration  d'appel  : 

«  Au  nom  de  Dieu  Tout-Puissant  en  qui  nous 
vivons,  nous  nous  mouvons  et  avons  notre  être, 
je  supplie  humblement  l'Ange,  gardien  de  ce 
miroir,  d'apparaître!  » 

Ces  paroles  prononcées  avec  énergie,  l'ange 
Anael  parut.  Catherine  de  Médicis  lui  dit  tout 
ce  qu'elle  attendait  de  lui,  et  Nostradamus 
ajouta  : 

«  Je  supplie  humblement  l'esprit  de  ce  miroir 
de  me  favoriser  d'une  vision  qui  m'intéresse 
et  qui  m'instruise  (i).  » 

(1)  SÉDiB,  les  Miroirs  magiques;  divination,  clairvoyance, 
etc.  Paris,  Ghamuel,  1895,  une  brochure  in-S  ;  et  Papus, 
Traité  de  magie  pratique,  pp.  308  et  suiv.  Voir  aussi:  J.  Baib- 
SAC,  Histoire  de  la  Diablerie  chrétienne,  s.  d.,  in-8,  chap.  IV; 
l'es  Miroirs  magiques,  et  l'ouvrage  de  L.  Bell:  le  Miroir  de 
Cagliosiro,  Paris,  1860,  in-12. 

8. 


CosJfÉ 
D'après  une  estampe  de  la  coll 


llUGGIERI. 

f  tion  William  Reygser  (xvii*  s. 


140  CATHERINE    DE    WEDICIS 

Attentive,  Catherine  regardait  le  miroir.  Tout 
d'abord,  la  plaque  d'acier  poli  ne  lui  révéla  qu'un 
intérieur  mystérieux,  aux  angles  sombres  et  im- 
précis. Puis,  trois  fantômes,  vagues  dans  leurs 
contours  se  dessinèrent  en  un  épais  brouillard. 
Du  geste  et  de  la  parole,  Nostradamus,  touchant 
de  sa  baguette  le  miroir,  reprit  la  conjuration, 
et  jeta  de  nouveau  du  safran  oriental  dans  le 
foyer.  Alors  il  s'opéra  soudain  un  changement 
sur  la  plaque  métallique.  Les  lignes  des  per- 
sonnages s'accentuèrent,  les  épaisses  vapeurs 
se  déchirèrent  et  Catherine  de  Médicis  reconnut 
ses  trois  fils.  Se  mouvant  sur  le  miroir,  chacune 
des  ombres  esquissées  accomplit  un  nombre  res- 
pectif de  tours  le  long  des  murs  de  la  salle  figu- 
rée. François  II  tourna  une  fois  seulement, 
Charles  IX  quatorze  -et  Henri  III  quinze  fois. 
Mais  brusquement  Catherine  tressaillit  :  elle 
venait  de  reconnaître  Henri  de  Bourbon  qui, 
vingt  et  une  fois,  fit  le  tour  de  la  salle.  Nostra- 
damus dit  à  la  reine  effrayée  que  son  troisième 
fils  mourrait  assassiné  et  que  Henri  de  Bourbon 
succéderait,  en  effet,  pour  une  durée  de  vingt 
et  une  années,  au  dernier  des  Valois. 

Une  à  une  les  ombres  disparurent  et,  dit 
Nicolas  Pasquier,  a  après  cela  tout-es  choses  se 


CVTIIEHINE    DE    MEDICIS  141 

rendirent  invisibles,  pour  ce  que  la  reyne-mère 
n'en  voulut  voir  davantage  (i)  ». 

Le  miroir  étant  redevenu  vide  et  net,  Nostrada- 
mus  prononça  par  trois  fois  la  formule  de  renvoi  : 

«  Au  nom  du  Dieu  Tout-Puissant,  je  congédie 
de  ce  miroir  tous  les  esprits  qui  y  sont  descen- 
dus; et  que  la  paix  de  Dieu  soit  pour  toujours 
entre  eux  et  moi  (2).  » 


Catherine    était    satisfaite.    Elle    était    enfin 
fixée  sur  le  sort  réservé  à  la  couronne  de  France. 

(1)  Lettres  de  Nicolas  Pasquier,  t.  II,  p.  1057  et  Biblio- 
thèque nationale,  L.  B.  34-827!  Voir  aussi  :  les  Châteaux  de 
Blois  restauré,  Chambord,  Chauniont,  Amboise  et  Chenon- 
ceaux,  par  Alphonse  Baillargé.  (Un  volume  in-8,  publié  à 
Blois  en  1852,  p.  79.) 

(2)  SÉDiR,  les  Miroirs  magiques  ;  adaptation  :  Formule  de 
Nostradamus,  p.  56.  Selon  Sédir,  Nostradamus  n'était  pas 
astrologue,  mais  bien  voyant,  et  toutes  ses  prophéties  lui 
furent  présentées  par  le  miroir  magique  (p.  44  de  la  bro- 
chure précitée).  C'était  bien  aussi  l'opinion  de  Théodore 
Bonys  qui,  dans  son  étude  publiée  en  1806,  essaie  de  prouver 
que  Nostradamus  n'était  qu'un  voyant  extralucide.  Les  bâti- 
ments du  château  de  Chaumont-sur-Loire  dans  lesquels 
était  compris  le  laboratoire  des  magiciens  de  Catherine, 
et  où  se  déroula  la  scène  sus-décrite,  ont  été  démolis  au 
dix-huitième  siècle  par  Berlin  de  Vaugien.  (Voir  :  Catherine 
de  Médicis  et  le  château  de  Chaumont,  par  Joseph  de  Croy, 
1897,  p.  28.) 


U2  CATHERINE    DE    ^lEDICIS 

Pour  elle,  pour  son  autoritaire  orgueil,  il  y  avait 
encore  bon  nombre  d'années  de  royauté  assu- 
rée. C'est  tout  ce  qu'elle  demandait  au  destin. 

Cette  scène  d'évocation,  connue  du  cardinal 
de  Lorraine,  peu  à  peu  vit  sa  réalisation.  Fran- 
çois II,  en  i56o,  vivait  son  unique  tour  de  salle ^  et 
Charles  IX  accomplira  les  sept  prévus.  Quant 
au  troisième  fils  de  Catherine,  le  duc  d'Anjou, 
qui  devait  régner  sous  le  nom  de  Henri  III,  il 
était  ouvertement  le  favori  de  sa  mère.  Profitant 
de  la  mort  du  connétable  de  Montmorency,  elle 
lui  fit  décerner  en  1067,  avec  le  titre  de  lieute- 
nant-général du  royaume,  le  commandement 
des  armées  françaises.  Deux  ans  après  éclataient 
les  batailles  de  Jarnac  et  de  Moncontour,  qui 
donnèrent  un  certain  lustre  au  nouveau  lieute- 
nant-général^  lustre  évidemment  dû  aux  réels  ta- 
lents de  son  coadjuteur,  le  maréchal  deTavannes. 

Or,  Nostradamus  étant  mort  à  Salon  peu  de 
temps  après  la  fameuse  évocation  de  Chaumont, 
Cosme  Ruggieri  succéda  en  titre  à  l'auteur  des 
Centuries,  dans  la  confiance  mystique  de  Ca- 
therine. Lorsque  le  courrier,  qui  vint  annoncer 
la  victoire  de  Moncontour,  arriva  la  nuit  au 
Louvre,  après  être  venu  si  rapidement  qu'il  avait 
crevé  trois  chevaux,    on  éveilla  la  reine-mère 


CATHERINE    DE    MEDICIS  143 

pour  lui  faire  part  de  l'heureux  message.  Sans 
aucune  manifestation  de  surprise,  elle  dit:  Cesi 
bien  \  je  le  savais.  En  effet,  dit  Brantôme,  la 
veille  au  soir  elle  avait  raconté  à  son  entourage 
le  triomphe  de  son  fils  et  quelques  circonstances 
de  la  bataille  gagnée,  détails  que  venait  de  lui  ré- 
véler son  astrologue-magicien  Cosme  Ruggieri. 

Cette  victoire,  plutôt  que  la  valeur  personnelle 
du  duc  d'Anjou,  valut  à  ce  prince  d'être  choisi, 
au  cours  de  l'année  iDyS,  par  les  Polonais  pour 
succéder  à  leur  roi^  Sigismond-Auguste,  mort 
sans  héritier  mâle.  Lors  du  départ  du  duc,  Ca- 
therine, se  rappelant  l'oracle  du  miroir  magique^ 
dit  à  son  fils  :  Allez  ;  vous  reviendrez  bientôt  (i). 
Effectivement,  il  revint  Tannée  suivante,  appelé 
au  trône  par  la  mort  prématurée  de  son  frère, 
événement  dans  lequel  la  magie  devait  encore 
jouer  un  rôle  prépondérant  et  cyniquement  tra- 
gique. 

Au  commencement  de  l'année  157:?,  Catherine 
apprit  qu'un  astrol-ogue  du  Béarn  ave  it  égale- 
ment prédit  à  Henri  de  Navarre  qu'il  seroit  un 
jour  roy  de  France  (2).  Elle  entra  aussitôt  dans 

(1)  Colin  de  PLANCY,art.  Universités  occultes,  pp.  673  et  suiv  . 

(2)  Mémoires  de  Maximilien  de  Béthiine,  duc  de   Sully,  t.  I, 
p.  14r%  ÉdiLioii  de  Londres,  lUr  ;  8  vol.  in- 12. 


144  CATHERINE    DE    MEDICIS 

une  grande  fureur,  et  dès  cet  instant,  elle  voua 
une  baine  mortelle  au  futur  Henri  IV.  Au  mas- 
sacre de  la  Saint-Barth(Memy,  Charles  IX  ayrnt 
sauvé  Henri  de  Navarre  en  l'obligeant  à  se  rendie 
à  la  messe,  Catherine,  quelques  jours  après  la 
trop  mémorable  hécatombe,  consulta  Cosme 
Ruggieri  sur  ce  qu'elleclevait  faire  du  Béarnais 
et  du.prince  de  Condé.  Cosme  répondit  qu'ayant 
dresse  les  horoscopes  de  ces  deux  personnages, 
il  pouvait  assurer  Sa  Majesté  qu'ils  ne  cause- 
roient  aucun  trouble  dans  le  roijaume  (i). 

Vingt-six  ans  plus  tard,  cette  réponse  habile, 
dont  a  pu  témoigner  La  Noue,  devait  heureuse- 
ment servir  l'astrologue  florentin.  Et  nous  ver- 
ronsplus  loin  comment,  grâce  à  cette  affirmation, 
Cosme  Ruggieri  échappa  à  la  hache  du  boir- 
rcau. 

(1)  Pierre  Bayle,  t.  II,  p.  983,  note  C.  En  ce  qui  concerne 
rétude  de  divers  phénomènes  psychiques  et  psychologiques 
se  rattachant  à  ceux  des  miroirs  magiques,  voir  les  docu- 
mentés travaux  de  Courtier,  Youriévitch,  Bergson,  Brissaud 
et  d'Arsonval,  sur  les  Visions  de  lueurs  dans  J'obscurilé  par 
les  sensitifs^  et  publiés  par  l'Institut  général  psycholot^içue  de 
Paris. 


CHAPITRE  V 


DES    CHEFS    PROTESTANTS 


La  seconde  paix  conclue  entre  catholiques  et 
protestants  fut  signée  le  28  mars  i568.  Par  allu- 
sion aux  deux  plénipotentiaires  de  cour  chargés 
d'en  établir  les  conclusions,  le  seigneur  de  Ma- 
lassis et  Biron  qui  était  boiteux,  cet  accord 
fut  surnommé  la  Paix  boiteuse  et  mal  assise. 
Ceux  qui  ne  s'y  fièrent  pas,  dit  le  Laboureur, 
furent  les  plus  habiles.  Défait,  celte  paix  ne  fut 
qu'une  fiction.  Pas  de  marque  de  réconcilia- 
tion, pas  de  calme  dans  les  esprits;  les  deux 
partis  s'étaient  séparés  en  un  sombre  silence 
dans  lequel  chacun  concentrait  ses  rancunes, 
n'osant  ouvertement  démontrer  la  colère   res- 

9 


]4o  CATHERINE    DE    RIEDICIS 

sentie  par  rimposition  de  cette  entente  factice. 

Le  prince  de  Gondé,  l'amiral  de  Goligny, 
d'Andelot  et  les  autres  chefs  calvinistes,  s'étaient 
respectivement  retirés  dans  leur  résidence  par- 
ticulière, sentant  bien  qu'en  ces  temps  de  trahi- 
son et  de  surprise,  la  dispersion  constituait  une 
importante  chance  de  salut.  Ceci  n'empêchait 
pas  le  parti  huguenot  de  rester  solidement  ho- 
mogène, decontinuerle  groupement  de  ses  forces 
matérielles  et  morales,  de  poursuivre  son  prosé- 
lytisme et  de  réunir  des  fonds  pour  parer  aux 
éventualités  prochaines. 

De  son  côté,  le  parti  papiste  n'était  pas  dans 
l'inaction.  Les  chaires  retentissaient  plus  que 
jamais  d'invectives  contre  les  sectaires  de  Cal- 
vin, de  réflexions  séditieuses  contre  la  paix,  d'ex- 
hortations violentes  à  la  rompre  au  plus  tôt. 
Hautement,  les  prédicateurs  déclaraient  que  gar- 
der la  foi  aux  hérétiques  était  une  faute  par 
devant  Dieu,  et  qu'au  contraire  c'était  une  action 
pieuse,  juste  et  utile  pour  le  salut  du  monde^ 
que  de  les  massacrer  sans  merci.  De  tels  dis- 
cours firent  promptement  naître  de  nouveaux 
désordres  publics  et  des  assassinats  dont  les  vic- 
times ne  purent  jamais  obtenir  une  équitable 
justice.  Le  poignard,  le  feu,  le  poison,  la  magie 


CATHERINE    DE   MEDICIS  HT 


noire,  les  supplices  lents  en  des  cachots  secrets, 
les  attaques  sournoises  et  les  pillages  dans  les. 
campagnes  affolées,  recommencèrent  leur  œuvre 
exterminatrice.  De  ces  odieux  moyens,  les  au- 
teurs calvinistes  prétendent  qu'en  trois  mois 
plus  de  dix  mille  personnes  moururent.  Sans- 
doute,  leur  calcul  n'est  pas  exempt  d'exagéra- 
tion, et  les  protestants  ne  sauraient  nier  qu'il 
y  eut  tout  autant  d'excès  fanatiques  et  cruels  de 
leur  côté,  que  dans  le  camp  catholique. 

Ce  qui  notamment  gênait  le  parti  huguenot^ 
c'est  qu'à  la  cour,  il  n'avait  plus  aucune  person- 
nalité capable  de  le  tenir  au  courant  des  combi- 
naisons  d'attaque  ou  de  défense  que  préparait 
le  gouvernement  de  Catherine.  La  reine-mère, 
ayant  reconnu  le  résultat  négatif  de  quelques- 
uns  de  ses  projets  exécutés,  conclut  qu'il  y  avait 
des  indiscrétions  commises  au  sein  même  du 
Conseil  d'Etat.  C'est  alors  qu'elle  institua  un 
conseil  particulier  duquel,  selon  Davila,  sortit, 
peu  de  temps  après,  le  Conseil  privé.  De  cette 
intime  assemblée,  fut  exclu  le  chancelier  de 
l'Hospital,  disgracié  soudain  comme  étant  le 
plus  suspect  de  tous  les  conseillers  royaux. 
Ceux  qui  suivirent  le  chancelier,  désirant  ardem- 
menfle  maintien  de  la  paix  et  l'exhortation  à  la  to- 


Ii8  CATHERINE    DE   MEDICIS 

lérance,  furent,  bien  que  catholiques,  considérés 
comme  un  groupe  depolitiques  dangereux  pour  la 
couronne,  et  dont  le  sacrifice  de  conscience  n'ap- 
parut, aux  yeux  de  Catherine  et  des  doctrinaires 
de  cour,  que  sous  la  forme  d'une  monstrueuse 
trahison  à  l'égard  de  Dieu  et  à  l'égard  du  roi. 
L'intransigeance  du  cardinal  de  Lorraine  di- 
rigea l'action  principale  de  la  reine-mère  contre 
les  chefs  protestants.  En  revanche,  c'est  sur  ce 
prélat  que  les  réformés  firent  tomber  la  majeure 
partie  de  leurs  chansons  satiriques  et  pamphlets, 
la  morgue  de  leurs  apologies  et  complaintes, 
et  tous  les  éclats  de  leurs  protestations  contre 
la  paix  violée  et  contre  la  gente  catholique. 
Dans  ces  haineux  couplets,  les  plus  doux  qua- 
lificatifs donnés  au  pape,  sont  ordinairement  ceux 
de  Bélitre,  Ante- Christ  et  la  Troisième  corne 
décrite  par  Saint-Jean.  Un  sonnet  du  temps, 
reprochant  au  clergé  l'entassement  de  ses  ri- 
chesses, critique  en  ces  termes  les  pèlerinages, 
les  reliques  et  le  purgatoire  : 

Aux  mailles  de  tels  rets  et  à  telles  pentières  (l), 
Vous  prîtes  des  Comtés  et  des  Duchés  entières, 
Vous  approchant  des  Rois  beaucoup  plus  que  des  cieux! 

(1)  Pentières,  sorte  de  filets. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  141) 

Dans  ces  insolentes  manifestations,  ni  le  roi, 
ni  la  reine-mère  n'étaient  oubliés.  Au  contraire, 
Catherine  et  Charles  IX  constatèrent  bientôt 
que  la  part  d'injures,  à  eux  destinée,  n'était  certes 
pas  la  moindre.  Catherine  en  fut  tout  particu- 
lièrement indignée;  et  c'est  alors  qu'elle  décida 
de  ne  plus  rien  ménager  pour  l'anéantissement 
des  chefs  parpaillots. 

Déjà,  au  commencement  de  décembre  i563, 
elle  avait  tenté  de  se  débarrasser  du  prince  de 
Condé,  en  lui  faisant  adresser,  par  l'intermédiaire 
du  fameux  parfumeur  René  Bianchi,  une  pomme 
de  senteur  empoisonnée.  Mais  Le  Cros,  chirur- 
gien du  prince,  qui  était  présent  lors  de  la  ré- 
ception du  cadeau  royal,  se  doutant  du  danger 
que  cette  pomme  contenait  en  raison  de  sa  pro- 
venance, l'enleva  des  mains  de  Condé  et  la  porta 
à  ses  narines.  Subitement  le  visage  du  chirur- 
gien enfla  d'une  inquiétante  façon.  On  renouvela 
l'expérience  sur  un  chien  auquel  on  fit  manger 
des  raclures  de  cette  pomme,  mélangées  avec 
du  pain.  A  peine  l'animal  avait-il  goûté  à  cette 
préparation,  qu'il  tombait  raide  mort  (i).  Devant 

(1)  Discours  merveilleux  de  la  vie,  actions  et  déportements 
de  la  reyne  Catherine  de  Médicis,  etc.  (p.  29,  édition  de  1836.) 
Bibliothèque  du  Sénat. 


150  CATHERINE    DE    MEDICIS 

cet  insuccès,  Catherine  avait,  sans  doute,  jugé 
prudent  de  laisser  passer  quelque  temps  avant 
de  renouveler  sa  tentative.  Mais  cinq  années 
s'étant  écoulées,  et  les  événements  politiques 
-exigeant  une  reprise  de  défense  sérieuse,  elle 
pensa  qu'elle  ne  devait  plus  avoir  d'hésitation 
pour  la  suppression  des  dirigeants  huguenots. 
Le  prince  de  Gondé  s'était  retiré  dans  son 
château  de  Noyers,  en  Bourgogne.  L'amiral  de 
Coligny  vint  l'y  rejoindre  aussitôt  qu'il  eut  con- 
naissance des  plans  de  la  reine-mère.  Pendant 
que  les  deux  chefs  délibéraient  surPétatde  leurs 
affaires,  Tavannes  recevait  l'ordre  d'arrêter  en 
premier  le  prince  de  Gondé.  Mais  Tavannes  s'ar- 
rangea de  telle  manière  que  leprince  fut  averti  des 
mesures  qui  se  tramaient  autour  de  sa  personne. 
Aussi,  sans  encombre,  à  la  fm  du  mois  d'août 
i568,  Gondé,  sa  famille,  l'Amiral  et  la  femme  de 
d'Andelot,  sortaient-ils  de  Noyers,  se  dirigeant 
vers  la  Rochelle  qu'ils  atteignirent  sains  et  saufs 
le  18  septembre.  A  la  complaisance  de  Tavannes 
s'était  jointe,  en  cours  de  route,  celle  du  maréchal 
de  Vieilleville,  chargé  de  poursuivre  les  fugitifs. 
Quand  ils  furent  à  la  Rochelle,  Gondé  écrivit  à 
Vieilleville  une  plaisante  lettre  par  laquelle  il  lui 
fit  part  de  la  sécurité  de  sa  personne  et  des  siens. 


CATHERINE    DE    MÉDICIS  ]5l 

«J'ai  tant  fui  que  j'ai  pu,  dit-il,  et  que  terre 
m'a  duré  :  mais  étant  à  la  Rochelle,  j'ai  trouvé 
la  mer;  et  d'autant  que  je  ne  sais  nager,  j'ai  été 
contraint  de  tourner  la  tête  et  de  regagner  la 
terre  non  avec  les  pieds,  mais  avec  les  mains, 
et  me  défendre  de  mes  ennemis  (i).  » 

Les  plans  dressés  par  Catherine,  pour  l'arres- 
tation des  autres  chefs  de  la  Réforme,  ne  furent 
pas  mieux  couronnés  de  succès.  Le  cardinal  Odet 
de  ChastiJlon,  bien  que  porteur  de  larobe  rouge, 
était  un  militant'protestant  dont  l'ardeur  égalait 
cellede  son  frère TAmiraL  II  vivait  alors  avec  Isa- 
belle de  Hauteville,  damedeLoré.  Rencontrée  à  la 
courdeMargueritedeFrance,duchesse  de  Savoie, 
le  cardinal  vécut  d'abord  maritalement  avec  elle. 
Mais  ce  concubinage,  joint  à  d'autres  désordres 
de  sa  vie,  lui  ayant  valu  d'être  cité  à  la  barre  du 
Saint-Office  en  i56o,  par  une  bulle  que  la  reine 
Catherine  refusa  de  reconnaître,  ce  prélat  s'était 
décidé  à  épouser  Isabelle  le  i'^'  décembre  1064. 

Malgré  son  apostasie,  Odet  de  Ghastillon  avait 
conservé  la  robe  et  le  titre  de  cardinal.  Il  goû- 

(1)  Mémoires  de  Condé,  ou  recueil  pour  servir  à  VHistoire 
de  France,  contenant  ce  qui  s'est  passé  de  plus  mémorable 
dans  ce  royaume  sous  les  règnes  de  François  II  et  de 
Charles  IX  ;  nouvelle  édition,  Paris,  1741,  six  vol.  in-4.  Voir 
passini  ce  recueil  de  pièces  curieuses. 


152  CATHERINE    DE   MEDICIS 

tait  une  existence  luxueuse  en  son  domaine 
épiscopalbeauvaisien,  lorsqu'au  commencement 
de  septembre  i568,  étant  à  Sénarpont,  dans  la 
Somme,  il  eut  connaissance'de  Tarrestalion  ou  de 
l'assassinat  qui  se  préparait  contre  lui.  Ceux  qui 
l'en  avertirent  étaient  précisément  les  affidés  de 
cour  auxquels  Catherine  avait  confié  la  mission 
de  supprimer  le  cardinal.  Sans  hésitation,  le 
5  septembre  i568,  Odet  de  Chastillon  écrivait  la 
lettre  ci-après   au  roi  : 

«  Ayant  eu  plusieurs  avertissements,  coup  sur 
coup,  des  entreprises  qui  étaient  dressées  contre 
moi  et  aguets  qui  se  faisaient  pour  me  surprendre 
au  premier  jour  en  ma  maison  par  ceux-mêmes 
qu'on  avait  employés  pour  être  de  la  partie,  et 
connaissant  que  ceux  qui  se  sont  de  longue  main 
déclarés  mes  ennemis  et  ceux  de  tous  les  miens, 
avaient  aujourd'hui  le  glaive  de  la  puissance  en 
la  main,  j'ai  été  contraint,  à  mon  grand  regret,  de 
quitter  ma  maison  et  ce  royaume.  Pas  de  dé- 
fiance du  roi.  Ne  pas  le  prendre  à  mal  ;  il  est  natu- 
rel à  l'homme  de  chercher  à  préserver  sa  vie  (i) .  » 

A  la  même  date,  le  cardinal  écrivait  une  lettre 


(1)  Correspondance  du  cardinal  de  Châîillon,  publiée  par 
M.  LÉON  Marlet.  Paris,  Picard,  1885,  un  vol.  in-8,  IP  par- 
tie, pp.  89  et  90. 


CATHEaiNE   DE    MEDICIS  153 

semblable  à  la  reine-mère,  lettre  clans  laquelle 
le  prélat-apostat,  tenant  peut-être  à  se  ménager 
les  bonnes  grâces  de  Catherine,  déclare  «  con- 
naître son  naturel  enclin  de  soi-même  à  toute 
bonté  et  droiture,  et  éloigné  d'injustice  et  de 
cruauté  (i)  ».  Mais  Thistoire  ne  nous  dit  pas  si 
Catherine  prit  cette  phrase  comme  étant  l'expres- 
sion d'un  réel  sentiment,  ou  comme  une  mor- 
dante ironie  ? 


«  Donc,  dit  Henri  Estienne,  se  voyant  frustrée 
de  ce  côté,  suivant  son  axiome  : 

Il  faut  tout  tenter  et  faire 
Pour  son  ennemy  desfaire, 

la  reine-mère  continue  la  guerre.  Et  considé- 
rant que  son  appétit  de  dominer  ne  pouvait 
prendre  racine  qu'en  arrachant  du  monde  ceux 
qui  la  costoyaient  de  trop  près  à  son  gré  (2), 
lâcha  les  procédés  purement  humains  de  sup- 
pression, pour  recourir  aux  moyens  magiques. 
Le  8  juin  1569,  don  Frances  de  Alava,  ambas- 
sadeur d'Espagne  à  Paris,  écrivait  au  roi,  son 

(1)  LÉON  Marlet,  ouvrage  précité^  IP  partie,  pp.  90  et  91. 

(2)  Discours  merveilleux  de  la  vie,  actions  et  déporîements  de 
la  reyne  Catherine,  p.  29. 


154  CATHERINE   DE   MEDICIS 

maître,  les  très  curieux  détails  que  voici,  sur  un 
mode  d'envoûtement  peu  commun  : 

«  J'ai  tiré  au  clair  une  chose  extrêmement 
plaisante  et  par  laquelle,  alors  même  qu'on  n'en 
aurait  pas  d'autre  témoignage,  on  pourrait  juger 
ce  que  valent  ceux  d'ici.  C'est  assavoir  qu'un 
Italien  a  offert  à  la  reine  de  France  de  tuer  le 
prince  de  Gondé,  l'Amiral  et  d'Andelot,  dès  le 
temps  où  elle  était  encore  à  Paris.  Enfin,  on  a 
accordé  un  tel  crédit  audit  Italien,  qu'il  y  a  six 
mois  (décembre  i568),  il  a  été  enfermé  en  une 
chambre  avec  un  ouvrier  allemand  que  ledit  Ita- 
lien a  amené  de  Strasbourg.  Cet  Allemand  a  fait 
faire  trois  figures  d'hommes  de  bronze,  de 
la  taille  du  prince  de  Condé,  de  PAmiral  et  d'An- 
delot, pleines  de  vis  aux  jointures  et  à  la  poi- 
trine, pour  les  ouvrir  et  fermer,  et  pour  tenir  les 
deux  bras  fortement  adhérents,  ainsi  que  les 
cuisses,  le  visage  regardant  en  haut,  les  cheveux 
très  longs  et  les  pointes  des  cheveux  dressées. 
Tous  les  jours,  ledit  Italien  ne  fait  que  regarder 
ia  nativité  des  trois  personnages  susdits  et  son 
astrolabe,  et  serrer  et  desserrer  les  vis  (i).  » 

(1)  Dépêche  de  Don  Frances  de  Alaua,  ambassadeur  d'Espagne 
à  Paris,  au  roi  d'Espagne  ;  Paris, 8  juin  1569.  (Archives  natio- 
nales, K.  1514,  n°  119.)  Traduction  inédite  de  M.  LéonMarlet. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  155 

Mais  cet  envoûlemeni  d'airain  n'avait  sans 
doute  que  de  très  lents  effets,  contre  lesquels 
s'impatientait  la  reine-mère.  Trois  mois  aupara- 
vant, à  Jarnac,  le  i3  mars  1669,  Catherine  avait 
eu  soin  de  devancer  le  résultat  demandé  à  l'art 
magique.  La  jambe  cassée  d'un  coup  de  pied  de 
cheval,  Condé  combattit  longtemps  entouré  par 
les  gardes  du  duc  d'Anjou,  frère  du  roi.  Ren- 
versé de  son  cheval,  il  se  battit  encore  ayant 
un  genou  à  terre,  et  ne  se  rendit  que  lorsque  ses 
forces  épuisées  ne  lui  permirent  plus  de  défense. 
En  se  rendant,  on  lui  avait  promis  la  vie  sauve. 
Mais,  Montesquiou,  capitaine  des  gardes  du  duc 
d'Anjou,  survint  et,  sachant  qui  était  ce  prison- 
nier, lui  fît  lâchement  sauter  la  cervelle,  d'un 
coup  de  pistolet.  «  Condé,  dit  Brantôme,  avoit 
été  secrètement  recommandé  à  plusieurs  favoris 
de  Monseigneur  et  quelques  autres  (1).  » 

Des  ordres  avaient,  en  effet,  été  donnés  pour 
n'épargner  aucun  des  calvinistes  distingués. 
C'est  ainsi  que  le  fameux  Stuartj  meurtrier  du 
connétable  Montmorency,  à  Saint-Denis,  égale- 
ment prisonnier  à  Jarnac,  fut,  après  la  bataille, 
tué  à  coups  de  poignard.  D'autres  périrent  de  la 

(1)  Œuvres  de  Brantôme  ;  édition  Lalaunne,  t.  IV,  p.  347. 


15G  CATHERINE    DE    MEDICIS 

même  façon,  froidement  assassinés.  El  La  Noue, 
qui  devait  être  du  nombre  de  ces  victimes,  ne 
dut  la  vie  qu'à  son  ancien  camarade,  le  capi- 
taine Martigues. 

Catherine  de  Médicis  était  alors  malade  à 
Metz  ;  et  c'est  là  qu'au  cours  d'une  nuit  de  fièvre, 
selon  Marguerite  de  Navarre,  elle  avait,  dans 
un  songe,  vu  par  avance  la  réalisation  de  ses 
vœux  touchant  la  mort  de  Gondé  : 

i(  Dieu  protège  particulièrement  les  grands... 
dit  Marguerite  de  Navarre,  il  leur  donne  par  de 
bons  génies  quelques  avertissements  secrets  des 
accidents  qui  leur  sont  préparés  soit  en  bien, 
soit  en  mal. 

«  La  reine  Catherine,  ma  mère,  étant  dange- 
reusement malade  à  Metz,  et  ayant  autour  de 
son  lit  le  roi  Charles,  ma  sœur  et  mon  frère  de 
Lorraine  et  force  dames  et  princesses,  elle  s'écria 
comme  si  elle  eût  vu  donner  la  bataille  de  Jar- 
nac  :  Voyez  comme  ils  fuient  I  Mon  fils  a  la 
victoire!...  Voyez-vous  dans  cette  haie  le  prince 
de  Condé  mort?..,  » 

«  Tous  ceux  qui  étaient  là,  la  croyaient  dans 
le  délire;  mais  la  nuit  d'après,  M.  de  Losses 
lui  en  apportant  la  nouvelle  :  Je  le  savais  bien, 
dit-elle,  ne  Vavais-je pas  vu  devant-hier?...  » 


CATHERINE    DE    MEDICIS  157 

Alors  on  reconnut  bien  que  ce  n'était  pas  rêverie 
de  la  fièvre,  mais  un  avertissement  particulier 
que  Dieu  donne  aux  personnes  illustres  et  rares, 

«  Pour  moi,  conclut  cette  reine  galante, 
j'avouerai  n'avoir  jamais  été  proche  de  quelques 
signalés  accidents,  ou  sinistres,  ou  heureux, 
sans  que  je  n'en  aie  eu  quelque  avertissement  ou 
en.  songe,  ou  autrement  (i).  » 

Revenant  à  l'envoûtement  d'airain.  Don  Fran. 
ces  de  Alava  écrivait  au  roi  d'Espagne,  qu'indé- 
pendamment des  blessures  que  Condé  avait 
reçues  au  combat  de  Jarnac,  l'action  magique 
des  vis  manipulées  par  l'envoûteur  italien  et  son 
acolyte  allemand  sur  la  statue  de  bronze  figu- 
rant ce  prince  s'était  manifestée  par  une  série 
de  marques  singulières,  visibles  sur  le  corps  du 
défunt:  «  Quand  est  mort  Condé,  ajoute  cet  am- 
bassadeur dans  sa  dépêche  précitée,  on  dit 
qu'on  a  vu  des  marques  nettes  à  sa  cuisse,  dès 
qu'il  était  mort.  » 


Débarrassée   du  prince,  Catherine  n'attendit 
pas  plus  pour  d'Andelot  les  eîTets  de  l'envoûte- 

(1)  Cit.  du  comte  de  Ségur  dans  sa  Galerie  morale  et  poli- 
îiqiie,  t.  II,  p.  356,  Des  Songes,  Paris,  1819. 


158  CATHERINE    DE   MEDICIS 

ment,  qu'elle  ne  les  avait  attendus  pour  Condé. 
D'Andelot  était  un  très  sincère  huguenot,  au  ca- 
ractère loyal  et  généreux,  qui  avait  su  s'attacher 
fermement  Tamitié  et  la  confiance  de  tous  les 
religionnaires.  C'était  donc  une  importante  per- 
sonnalité dans  le  parti  calviniste,  que  Catherine 
avait  intérêt  à  anéantir  au  plus  tôt.  L'envoûtement 
d^airain  n'agissant  pas,  la  reine-mère  eut  cette 
fois  recours  au  poison:  «  M.d'Andelotestmortà 
Saintes,  dit  un  avis  anonyme  adressé  le  lo  mai 
1569  à  l'ambassadeur  d'Angleterre.  D'après  les 
apparences,  on  croit  qu'il  a  été  empoisonné  (1).  » 

Neuf  jours  plus  tard,  Catherine  et  Charles  IX 
ne  se  contiennent  plus  de  joie.  Ils  ont  eu  officiel- 
lement connaissance  de  la  mort  de  d'Andelot, 
exactement  survenue  à  Saintes  le  7  mai;  à  la 
date  du  19,  Catherine  écrivait  ce  qui  suit  à  Four- 
quevaux,  ambassadeur  de  France  en  Espagne  : 

«  La  nouvelle  de  la  mort  de  d'Andelot  nous  a 
fort  réjouis.  J'espère  que  Dieu  fera  aux  autres,  à 
la  fin,  recevoir  le  même  traitement  qu'ils  méri- 
tent ('2)  .  » 


(1)  Calendars,  1659-70,  n«  25:t.  Voir  aussi  Bouchet  :  Preuves 
de  Vhisloire  de  la  Maison  Coligny,  pp.  118  et  suivantes. 

(2)  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  III,  p.  211,  Monceaux, 
19  mai  1569. 


160  CATHERINE    DE    MEDICIS 

A  la  même  date  et  au  même  ambassadeur, 
Charles  IX  écrivait  de  son  côté  tout  l'enthou- 
siasme qu'il  éprouvait  devant  cette  dispari- 
tion : 

«  Mon  frère,  le  duc  d'Anjou,  m'a  averti  que 
d'Andelot  était  mort,  qui  m'a  été  confirmé  de 
plusieurs  endroits.  J'espère  que  Notre-Seigneur, 
pour  la  querelle  duquel  nous  combattons,  nous 
assistera  pour  nous  donner  moyen  de  venir  à 
bout  du  reste  qui  est  cause  de  tant  de  maux  de 
la  chrétienté  (i).  » 

Norris,  ambassadeur  d'Angleterre  à  la  cour 
de  France,  n'omet  pas  de  signaler,  dans  une  dé- 
pêche du  27  mai  1569,  «  la  grande  rumeur  qui 
règne  à  Paris,  à  cause  d'un  Italien-Florentin  qui 
s'est  vanté  d'avoir  empoisonné  M.  d'Andelot  et 
fait  également  boire  un  breuvage  toxique  à 
l'Amiral  (2).  » 

La  Mothe-Fénelon,  ambassadeur  de  France  à 
Londres,  eut  beau  protester  contre  cette  dépê- 
che de  Norris,  et  déclarer  à  la  reine  d'Angleterre 

(1)  Lettres  de  Charles  IX,  à  Fourqaeuaux,  ambassadeur  de 
France  en  Espagne,  publiées  par  C.  Donais;  Paris,  Picard, 
éditeur,  1897,  1  vol.  in-8.  Voir  cette  dépêche,  pp.  209  et  210. 
Monceaux,  le  19  mai  1569. 

(2)  Calendars,  dépèche  de  Norris  datée  de  Paris,  27  mai 
1569. 


CATHERINE   DE   MEDICIS  101 

que  l'annonce  de  ces  empoisonnements  n'était 
qu'une  calomnie  lancée  contre  Catherine  de  Mé- 
dicis,  personne  «  n'abandonna  la  certitude  de  ce 
qui  était  advenu  audit  sieur  d'Andelot,  lequel 
ayant  été  ouvert  s.'est  trouvé  empoisonné  et  qu'il 
s'en  suivra  bientôt  la  semblable  épreuve  des  aul- 
tres  ».  En  outre,  La  Mothe-Fénelon  écrit  à  Cathe- 
rine qu'à  la  cour  d'Angleterre  l'émoi  est  tel  «  que 
depuis  cela,  l'on  a  ordonné  je  ne  sais  quoi  de 
plus  exprès  en  l'essai  accoutumé  du  boire  et  du 
manger  de  la  reine,  et  on  a  ôté  aucuns  Italiens 
de  son  service  (i)  ».  Quant  à  lord  Hansdon,  il  a 
confiance  qu'on  vengera  la  «  déplorable  mort  du 
prince  de  Condé  et  le  cruel  assassinat  de  d'An- 
delot,  mort  empoisonné  par  un  Italien  chargé 
de  cela  par  la  reine-mère  (2)  ».  Cependant  que 
don  Frances  de  Alava  maintient  toujours  son  opi- 
nion sur  Y  envoûtement  cf  airain^  et  qu'il  affirme 
pourd'Andelotce  qu'il  affirmait  pour  Condé,  c'est- 
à-dire  «  la  présence  des  marques  du  sortilège, 
également  visibles  sur  le  corps  de  d'Andelot  ». 
Qui  était-il  donc  ce  sorcier  italien- florentin 

(1)  Correspondance  diplomatiqae  de  La  Molhe-Fénelon,  t.  II, 
pp.  16  et  Ï7.  Cette  dépêche,  adressée  à  la  reine-mère,  est 
datée  de  Londres,  10  juin  1569. 

(2)  Dépêche  de  Lord  Hansdon,  datée  de  Paris,  14  juin  1569 
[Calendars,  n»  300,  années  156i>-70). 


162  CATHERINE    DE    MEDICIS 

que  l'unanimité  désignait  comme  agent  secret 
de  la  reine-mère  ?  Les  documents  n'indiquent 
rien  de  précis  à  cet  égard  ;  mais  il  est  permis 
d'avancer  que  c'est  sans  doute  le  fameux  Cosme 
Ruggieri,  que  nous  retrouverons  d'ailleurs  plus 
tard  dans  semblables  besognes.  Le  4  juin  1569, 
l'ambassadeur  anglais  Norris  signale  la  pré- 
sence du  sorcier  italien  à  Lyon,  et  le  12  du 
même  mois,  cet  agent  diplomatique  nous  dit 
«  que  M.  d'Alençon,  deuxième  frère  du  roi,  a 
reçu  des  lettres  du  roi  portant  que  l'Amiral  a 
fait  tirer  à  quatre  chevaux,  à  Saintes,  un  person- 
nage de  la  suite  du  duc  d'Alençon,  qui,  ayant 
été  reçu  par  d'Andelot  sous  prétexte  de  service, 
l'a  empoisonné,  suborné  à  cet  efîet  par  M.  de 
Martigues.  Le  duc  de  Deux-Ponts,  ayant  aussi 
découvert  une  trahison  secrète  dans  son  camp, 
a  de  même  fait  exécuter  quatre  Français  (1)  ». 


Wolfgang  de  Bavière,  duc  de  Deux-Ponts  et 
fils  de  Louis  II,  venait  de  pénétrer  en  France  pour 
joindre  ses  forces  à  celles  de  l'amiral  de  Coligny . 

(1)  Dépêches  de  Norris,  Paris,  14  juin  1569  et  de  La  Mothe- 
Fénelon,  Londres,  28  juin  1569. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  ir,3 

Il  s'était  emparé  de  la  Charité;  et  après  avoir 
passé  la  Loire  le  20  mai,  se  disposait  à  réunir 
son  armée  à  celle  des  protestants  du  Poitou. 
C'est  dans  les  premiersjoursde  juin  que  le  duc 
de  Deux-Ponts  déjoua  le  complot  tramé  contre 
lui,  et  dont  Norris  nous  parle  dans  sa  dépêche 
précitée.  Mais  les  hommes  de  confiance  de  la 
reine-mère  tenaient  sans  doute  à  honneur  de 
réparer  au  plus  vite  cet  échec  ;  aussi  allaient-ils 
bientôt  réussir. 

Le  10  juin,  le.  duc  de  Deux-Ponts  était  à  Es- 
cars,  près  Limoges,  où  résidait  momentanément 
Catherine.  Celle-ci,  apprenant  Tinsuccès  de  cette 
nouvelle  entreprise  occulte,  écrivit  le  12  du 
même  mois  la  lettre  suivante  à  son  fils  Charles  : 

«  Monsieur  mon  fils,  le  Coc  s'an  retourne  qui 
ha  présenté  vostre  présent  à  vostre  frère,  qui  l'a 
trouvé  si  beau  et  plus  aystimé  la  fason  de  quoy 
Valon  lui  ha  conté  que  lui  avés  envoyé,  et  dist 
qui  ne  vous  peult  fayre  aultre  remersiement  de 
tant  d'aseuranse  que  lui  donne  de  vostre  bonne 
grase  que  de  anployer  sa  vie  et  la  luy  esposer 
pour  vostre  service...  é  est  byen  mary  de  celles 
qui  se  sont  perdeues,  mais  cet  né  pas  sa  faulte, 
ni  la  myenne,  car  depuis  que  je  y  suis,  je  fayt 
marcher  vostre  armaye  en  tele  diligense,  que  si 


161  CATHERINE   DE   MEDICIS 

les  reystres  (i)  eussent  voleu  marcher  jeudi  le 
jour  de  fa  feste  Dieu  (2),  je  me  pouvais  dyre  la 
plus  heureuse  femme  du  monde  et  vostre  frère 
le  plus  glorieulx  ;  car  vous  eusiés  eu  la  fin  de 
cette  guerre,  aystant  réduis  le  duc  de  Dus  Pons 
en  lieu  qui  l'estoyt  à  nous  ;  mes  Dieu  ne  l'a  pas 
voleu  ;  car  j'euse  esté  trop  ayse  d'avoyr  esté  auca- 
sion  de  vous  mestre  en  repos  par  le  moyen  de 
vostre  frère  et  de  tant  de  jeans  de  bien  qui  sont 
ici,  et  qui  en  sont  enragés:  mes  puiz  qui  n'est 
avenu,  il  n'ont  perdu  le  cœur,  ayspérant  encore 
que  yl  soit  joins  aveques  l'Amiral,  qui  ne  ne 
Tauron  pour  sela  de  chercher  l'aucasion  et  Taven- 
tage  de  vous  fayre  le  service  qu'ils  désirent  tous. . . 
«  De  Limoges  cet  XIP  de  jouin  1569 
«  Vostre  bonne  et  afectionnée  mère 


«  Gaterine 


).  » 


Or,  le  jour  même  de  son  arrivée  à  Escars,  10 
juin,  le  duc  de  Deux-Ponts,  après  avoir  dîné  en 
compagnie  de    la  reine  de  Navarre,    se    sentit 

(1)  Ces  reîtres  étaient  ceux  que  Bassompierre  et  le  comte 
Rhingrave  avaient  amenés  au  duc  d'Anjou.  (Mémoires  de 
Caslelnau,  p.  534.) 

(2)  La  Fête-Dieu  tombait,  cette  année-là,  le  jeudi  9  juin. 

(3)  Revue  Historique,  1876,  t.  IV,  p.  54.  [Collection  Benjamin 
Fillon.) 


Mal 


ama. 


JJlu  .v^^ni  jûnojmjJi'  dlati^û  alfa  n-^ ajvcnanlofcomt 
\y  auclTo  elle  non  bc  troPfO  da  jf'^rJe/r  ju  j>cr  if^oj?cru/)quaJa(^ 
huon{K  C  VrtJtCL  YiJoTwùon/  Ja  Jet  -Jti  aiwcc  >^^{{f  vueTy^tomi 
àcJilcVLO  [il c^ualc  Jemprç jtuii^t^ ncï4MrhL.dcmùcàl      _  _ 
CQQnoJctir  cjual  ejgorno  joJIc  mtoliotr  Pp'  la.  corp'nâitzoru  de!  l[e, 
tt-Dcr  4:rhft(ait  ULraJut  dcîfa.  Jua  hadui&i,  miic  cne  dd^ 
^^''  di  ûijnqnâ  nonJenzDotna  trduarr  wn  vmfciiQJ/tmc  tc,r 
le  rnowni^Uf  un  va)  rcKc  ajhmùao  co^nôJci/im  Tieila  prf^rAÂiflTf., 
(n  ic  lem^idâ  rtuicncc  ton  rhom,  c};t  Jam  circa.  ûA  n\c\xp(ju>mû 
ûua.nivjli  Mm  ^ofh.  U  (cmia.  inta^  ■  Tn  dtrtr  la^midù  lifs 
Un'^ccchia/n  aÏÏa  ruxûluticju:  Ji  awiftoAn/io,  tniw  chéUiluni 
licniihx  a.1  luûpo  diSatrifito^  Jctàirnc  o ce nftin do  quelle  J^i  - 
Jols,  d(  Clouj.  su  ai  Mcfcuriû^  Hcvrt^  Cûnalunro  con  U  Jtt9ta.c( 
coifo  di  Vrû.cjo)i£,  €(  (^lowL.  nclra^r>€tfo  auadrafc  clclLx  lic/iûC,    : 
ÀinoroiiO  auc/h  an  no  qrandiJSnni  mjtidii  porcc^irv  del'oL 


\Ttranrw  tm. 


Ctdo,  ql'acctd^nh  ncn  iinuno  ab^ar^chuih:  ct)Uf. 

-fuan  la  Um  ctu.rtu  l  Uuoi  Jc.'uitvry:o.  najcnio  ojm 

LranL  JcmPrr  col,  Âttc  (auA'hom  (ja.  U  M-Vj 

i^\rLnyamc-nlk  W  A,  ultime  /,  ^ajjfu 


oiono,  ne 


Q^l)rLcTSynUon 


1  ;(;  CATHERINE    DE    MEDICIS 

subitement  indisposé,  et  une  forte  fièvre  cjuarle 
l'empoigna  dans  la  nuit.  L'Amiral  et  la  Roche- 
foucauld, apprenant  que  le  duc  n'était  éloigné  de 
leur  camp  que  de  deux  lieues  environ,  vinrent  le 
voir  et  «  le  trouvèrent  sans  voix,  à  toute  extré- 
mité ».  En  quelques  heures,  dit  Norris  (i),  il 
mourut  le  i3  juin,  après  avoir  chargé  Coligny 
de  prendre  le  commandement  de  son  armée. 
Catherine  n'avait  donc  pas  attendu  longtemps 
la  satisfaction  de  son  désir. 


Cependant,  l'amiral  de  Coligny,  principale  tête 
parmi  les  têtes  dirigeantes  du  parti  calviniste, 
survivait  toujours  et  multipliait  ses  efforts  contre 
les  adversaires  des  théories  luthériennes.  Uen- 
voâîemeni  d'airain  ne  réussissdLiii  pas  mieux  pour 
lui  qu'il  n'avait  réussi  pour  Gondé  et  d'Andelot, 
Catherine  continua  l'application  de  son  système. 

Le  18  juillet  1069,  l'ambassadeur  Norris  nous 
dit  «  qu'il  est  informé  que  le  capitaine  allemand 
Hayz,  est  dépêché  par  la  reine-mère  pour  aller 
chercher  à  détruire  par  poison  l'Amiral,  et   que 

(1)  Dépêche  de  Norris   à    la  reine  d'Angleterre,    Orléans. 
20  juin  1569  (Calendars,  1569-71,  n°  303). 


CA.THERINE    DE    MEDICIS  1<)7 

cet  Allemand  a  reçu  la  même  récompense  que 
d'autres  ont  déjà  reçue  pour  la  même  cause  (i)  ». 
Environ  trois  semaines  plus  tard,  don  Frances 
de  Alava  écrivait  ce  qui  suit  au  roi  d'Espagne  : 

«  Dans  la  dernière  audience  que  j'ai  eue  du  roi 
et  de  la  reine  de  France,  jeteur  ai  dit  que  j'avais 
en  mon  logis  un  Allemand  qui  venait  d'arriver  du 
camp  de  l'Amiral,  et  qui  rendait  bon  compte  de 
ce  qui  s'y  passait  et  que  le  dit  Allemand  savait 
que  la  mort  de  l'Amiral  était  combinée.  La  mère 
et  le  fils  se  rapprochant  de  moi,  me  firent  passer 
dans  un  cabinet  où  il  n'y  avait  personne  et  me 
dirent  que,  au  nom  de  Dieu,  je  n'en  parlasse  à 
personne  parce  qu'ils  attendaient  à  chaque  instant 
une  bonne  nouvelle  à  ce  sujet;  cela  dit  avec  une 
joie  d'où  il. résulte  clairement  qu'ils  ont  combiné 
cette  mort.  Ils  considéraient  si  bien  cette  mort 
comme  faite,  que  je  leur  demandai  si  c'étaient 
des  Allemands  qui  devaient  tuer  l'Amiral  (2).   » 

Le  3o  août  1569,  Dominique  d'Alba,  valet  de 
chambre  de  l'Amiral,   était  arrêté  porteur  d'un 


(1)  Dépêche  de  Norris,  Orléans,  18  juillet  1569  {Calendars, 
1569-70,  n«  327). 

(2)  Dépêche  de  don  Frances  de  Alava  au  roi  d'Espagne, 
8  août  1569.  [Archives  nationales,  K.  1512,  n°  2.)  Traduction 
inédite  de  M.  Léon  Marlet. 


Î68  CATHERINE    DE    MEDICIS 

passeport  signé  de  Monsieur,  frère  du  roi,  qui 
était  alors  à  Plessis-les-Tours.  Traduit  devant 
un  tribunal  protestant  à  Faye-la-Vineuse,  Do- 
minique d'Alba  subit  huit  interrogatoires,  dont 
le  premier  eut  lieu  le  i3  septembre.  Ces  interro- 
gatoires furent  tous  conclus  par  les  aveux  com- 
plets de  Dominique.  Il  déclara  «  qu'il  avait  été 
instamment  sollicité,  pressé  et  pratiqué  par  La 
Rivière,  capitaine  des  gardes,  et  Deslauriers, 
clerc  de  Ruzé,  secrétaire  de  Monsieur,  frère  du 
roy,  de  faire  mourir  de  glaive  ou  par  poison, 
Monsieur  l'Admirai,  son  maître;  et  qu'après  avoir 
promis  audit  sieur  La  Rivière  d'empoisonner 
ledit  sieur  Admirai,  il  avait  reçu  d'icelui  La  Ri- 
vière aux  dites  fins,  argent  et  poison  en  forme 
de  poudre  blanche  (i)  ». 

Ce  poison  fut  dûment  examiné  par  un  conseil 
composé  de  médecins  et  d'apothicaires,  assemblé 
à  la  Haye-en-Touraine  (aujourd'hui  La  Haye- 
Descartes),  et  le  20  septembre,  Dominique  d'Alba 
était  condamné  à  la  potence. 

En  dépit  de  toutes  les  précautions  et  surveil- 
lance exercées  autour  de  sa  personne,  Coligny 

(1)  Jean  de  Serres,  Mémoires  de  la  troisième  guerre 
civile.  Sentence  reproduite  par  Delaborde  dans  son  ouvrage 
intitulé  :  V Amiral  de  Coligny,  t.  III,  pp.  565  à  567. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  169 

avait-il  quand  même  absorbé  précédemment  une 
quantité  de  poison  qui  avait  déterminé  la  mala- 
die dont  il  souffrit  assez  longtemps  ?  Nul  ne  le 
sait  ;  mais  il  est  certain  que  sa  vie  fut  en  dan- 
ger, indépendamment  de  sa  blessure  du  3  oc- 
tobre 1569,  reçue  au  combat  de  Moncontour. 

Ni  le  fer,  ni  le  poison  ne  réussissant  contre 
cette  énergie  valeureuse,  Catherine  n'abandon- 
nait pas  la  sournoise  combinaison  de  Venvoûte- 
ment  d'airain  : 

«  On  dit,  ajoute  don  Frances  de  Alava  dans 
sa  dépêche  sus-mentionnée,  on  dit  qu'on  a  vu 
il  y  a  quinze  jours,  à  la  statue  de  l'Amiral,  les 
mêmes  marques  (que  celles  constatées  pour  le 
prince  de  Condé  et  d'Andelot).  De  là  peut  être 
venu  le  bruit  qui  s'est  répandu  ces  jours-ci 
qu'il  était  mort,  et  maintenant  qu'on  voit  que 
c'est  une  farce,  attendu  qu'on  sait  qu'il  est  vi- 
vant et  en  bonne  santé,  les  auteurs  de  cette 
bonne  œuvre  donnent  à  entendre  que  ladite 
statue  ou  figure  n'a  pas  montré  les  marques  de 
mort  comme  firent  celles  de  Condé  et  d'Ande- 
lot; elle  n'a  fait  qu'indiquer  la  maladie  dange- 
reuse qu'a  subie  l'Amiral  et  signifier  la  mort  de 
son  fils  aîné...  Et  le  sortilège  recommence  en 
grand  secret,   et  l'espérance  renaît  à  ce  qu'on 

]0 


170  CATHERINE   DE   MÉDICIS 

m'affirme,  subventionnant  de  nouveau  les  opé- 
rateurs. Quand  la  reine  est  partie  de  cette  ville 
(Paris)  pour  le  camp  (de  Limoges),  elle  a  écrit 
au  cardinal  de  Lorraine  et  à  l'évêque  de  Sens^ 
que  dans  très  peu  de  temps  ils  apprendraient 
une  nouvelle  qui  causerait  au  pape  et  à  la  chré- 
tienté, la  plus  grande  joie  qu'ils  aient  éprouvée 
depuis  vingt  ans.  Ce  doit  être  le  bon  espoir 
quon  a  des  effets  dudit  sortilège  (i).  » 

Or,  ce  bon  espoir  de  la  reine-mère  fut  tout 
autant  déçu  que  les  précédents.  Trois  années 
allaient  encore  s'écouler  dans  des  alternatives 
de  luttes  et  de  paix  éphémère,  entre  le  noble  ca- 
ractère de  Goligny  et  Phabile  duplicité  de  Cathe- 
rine. Mais  après  la  maladresse  de  Maurevert^ 
quand  arrivera  la  nuit  rouge  de  la  Saint- Barthé- 
lémy, l'épieu  du  Lorrain  Besme  débarrassera 
enfin  le  trône,  les  Guises  et  tous  les  papistes,  de 
cette  grande  figure  huguenote  que  fut  Gaspard  de 
Goligny,  et  dont  le  spectre  ensanglanté  nous 
apparaît  encore  à  travers  quatre  siècles,  comme 
la  principale  des  convictions  intrépides,  loyales 
et  braves,  lâchement  anéanties  au  sein  de  la  plus 
effroyable  des  collisions  religieuses. 

(1)  Dépêche  de  don  Frances  de  Alava,  déjà  citée. 


CHAPITRE  VI 


L  ENVOUTEMENT  DE   CHARLES  IX  ET  COSME  RUGGIERI. 


Durant  trois  jours  et  trois  nuits  la  Saint-Bar- 
théiemy  a  rougi  le  pavé  parisien.  Catherine  de 
Médicis  et  ses  dames  d'honneur  se  sont  offert 
la  lubrique  satisfaction  d'examiner  sur  des 
cadavres  nus  certaines  virilités  masculines  (i), 
alors  que  la  Seine  charriait  force  corps  de  hugue- 
nots maigres  :  ceux  des  victimes  obèses  et  grasses 
ayant  été  réservés  aux  apothicaires  qui  en  tirè- 
rent la  graisse  nécessaire  à  leurs  préparations 
pharmaceutiques  (2).  Et  au  gibet  de  Montfau- 
con,  sous  le  vol  funèbre  des  corbeaux,  se  balance 


(1)  Mémoires  de  Salhj,  t.  I,  pp.  59  et  60,  note  60. 

(2)  Histoire  universelle  de  J.-A  de  Thou,  t.  VI,  p.   427  ;  édi- 
tion de  Londres,  1734. 


172  CATHERINE    DE    MEDICIS 

le  corps  de  l'infortuné  Gaspard  de  Goligny, 
dans  la  bouche  duquel  un  sinistre  plaisant  à 
fixé  le  cure-dents  que  l'amiral  ne  quittait 
jamais...  (i). 

Pendant  que  le  pape  Grégoire  XTII  rendait 
publiquement  à  Rome  des  actions  de  grâce  pour 
ce  haut-fait  d'armes  exécuté  en  faveur  du  triom- 
phe de  la  chrétienté,  pendant  que  le  légat  de  ce 
pontife  venait  féliciter  Gharles  IX  et  l'exhorter  à 
continuer  la  guerre  sainte  contre  les  calvinistes, 
Elisabeth  d'Autriche,  femme  de  Charles,  appre- 
nant que  cet  ensemble  de  crimes  était  le  résul- 
tat d'un  ordre  de  son  époux,  se  tordait  de  dou- 
leur au  pied  de  son  crucifix  (2).  Et  Catherine,  fière 
de  l'exploit,  qu'en  compagnie  des  Guises,  elle 
avait  su  faire  accomplir  à  son  fils,  écrit  à  Phi- 
lippe II  d'Espagne  une  longue  lettre  dans  la- 
quelle s'exhale  sa  reconnaissance  vers  Dieu,  qui 
a  donné  à  Charles  «  l'énergique  moyen  de  se 
défayre  de  ses  sugès  rebelles  à  la  Providence  et 


(1)  Feuillet  de  Conches,  Causeries  d'an  curieux,  t.  II, 
p.  315, 

(2)  Fragmens  d'histoire  et  de  littéralure,  La  Haye,  1706,  chez 
Adrien  Moetiens.  1  vol.  in-12,  p.  2.  Anatole  Claudin  a  démon- 
tré comment  Larroque  de  Rouen  était  l'auteur  de  cet  ouvrage 
anonyme,  et  comment  il  n'a  jamais  été  édité  à  La  Haye, 
mais  à  Rouen. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  173 


à  leur  maître  souverain  (i)».  Cependant  qu'une 
médaille  commémorative  du  massacre  était  frap- 
pée et  que  Jacques  Moysson  faisait  vibrer  sa 
lyre  : 

Chante  ton  Roy  et  chante  sa  couronne  ! 
Chante  qu'il  est  de  la  Foy  chevalier? 
Chante  qu'il  est  de  l'Église  pilier  ! 
Chante  de  luy  l'une  et  l'autre  colonne  ! 
Chante  qu'il  a  une  devise  bonne  ! 

Pour  Piété  et  justice  lier, 
Rechante  encor'  de  l'Ordre  le  colier, 
Et  le  beau  lys  qui  en  France  fleuronne. 
Chante  du  Roy  le  tiltre  Très-Chrestien, 
Ses  jeunes  ans  et  son  sceptre  ancien. 

Et  chante  encor  sa  Majesté  sacrée, 
Chante  qu'il  doit  en  ses  mains  empoigner 
La  pomme  ronde  et  Monarque  régner, 
La  terre  étant  aux  Valoys  consacrée  (2). 

Mais  toutes  ces  louanges,  toutes  ces  félicita- 
tions n'enlèvent  pas  dans  l'âme  de  Charles  IX 
Tangoisse  profonde  que  le  remords  y  a  creusée. 

(1)  Musée  des  Archives  nationales,  K.  1530  —  B.  34,  n"  24. 
Négociations  France-Espagne,  et  cat.  n°  702. 

(2)  Discours  des  présages  et  miracles  advenus  en  la  personne 
du  Roy  et  parmy  la  France  dès  le  commencement  de  son  règne, 
Par  F.  DE  Belleforest-Comingeois.  Lyon,  MichelJove,  1568, 
p.  2. 

10. 


174  CATHERINE   DE    MEDICIS 

Il  est  inquiet,  taciturne,  cherche  en  vain  une 
réaction  contre  l'ennui  dans  des  exercices  vio- 
lents qui  ne  lui  donnent  qu'épuisement  et  fati- 
gue, et  qu'aucun  calme  sommeil  ne  vient  réparer. 
Durant  des  mois,  il  mène  une  vie  des  plus  agi- 
tées, sans  trouver  un  palliatif  aux  douleurs 
morales  que  son  crime  inutile  a  fait  naître  en 
lui. 

Lorsque  son  frère,  le  duc  d'Anjou,  partit  pour 
la  Pologne,  il  Taccompagna  jusqu'à  Vitry,  non 
pas  pour  lui  faire  honneur,  mais  pour  mieux 
goûter  le  plaisir  qu'il  éprouvait  en  voyant  un 
rival  quitter  définitivement  son  royaume.  De 
retour  à  Paris,  se  sentant  débarrassé  d'une  in- 
fluence qu'il  jugeait  aussi  néfaste  à  ses  décisions 
que  l'était  celle  de  sa  mère,  Charles  pensa  goû- 
ter enfin  quelque  repos.  Son    espoir  fut  déçu... 

Lamentablement  il  traîne  son  existence.  Sa 
taille  haute  s'affaisse^  et  en  dépit  de  ses  vingt- 
quatre  ans,  il  a  toute  Tapparence  d'un  vieillard. 
Ses  épaules  sont  courbées,  et  son  visage  pâle  a 
des  rictus  que  la  souffrance  d'une  phtisie  fait 
naître  par  intervalles  sur  ses  joues  décharnées. 
Sa  physionomie  prend  de  temps  en  temps  de 
farouches  expressions  qui  inquiètent  et  effrayent 
même  la  reine-mère.  La  nuit,  il  croit  voir  appa- 


CATHERINE    DE  MÉDICIS 


175 


raître  des  spectres.  En  des  cauchemars  effrayants 
il  s'éveille  brusquement,  baigné  de  sueur,  Tima- 
gination  frappée  par  des  visions  de  sang,  enten- 


Gabriel  Simeoni. 
{Gravure  du  temps.) 

danfc  des  cris  et  des  malédictions  (i).  Et,  ainsi 
que  le  dit  Voltaire  : 

Dieu  déployant  sur  lui  sa  vengeance  sévère, 
Marqua  ce  roi  mourant  du  sceau  de  sa  colère. 

Mais  nul  ne  veut  croire  à  l'action  pure  et  simple 
du  remords,  jointe  à  l'excès  des  sports  auxquels 


(1)  UEspriî  de  la  Ligue  ou  histoire  des  troubles  de  France 
pendant  les  seize  et  dix-septième  siècles,  t.  II,  p.  81.  Cet  ou- 
vrage anonyme  est  dû  à  Pierre  Anquetil,  historien  né  à  Paris 
en  1733,  mort  en  1808.  (3  vol.  in-12,  publiés  à  Paris  en  1767.) 


176  CATHERINE   DE    MEDIGIS 

se  livre  le  jeune  prince.  Nul  ne  veut  croire  à  la 
maladie  qui  rapidement  stérilise  cet  organisme 
affaibli.  En  dehors  de  ces  causes,  les  médecins 
s'obstinent  à  chercher  l'origine  du  mal.  Et  comme 
ils  ne  trouvent  rien,  on  conclut  bientôt  dans  l'en- 
tourage royal  que  Charles  IX  est  victime  de 
sombres  machinations.  On  parle  de  poison,  de 
force  occulte,  de  maléfices,  dans  lesquels  les 
magiciens  de  la  reine-mère  pourraient  bien  jouer 
le  rôle  principal.  Et,  en  peu  de  jours,  la  majeure 
partie  de  la  cour  et  de  la  ville  est  convaincue 
que  le  roi  succombe  à  un  sortilège. 


Cependant,  depuis  le  terrible  massacre,  on 
goûtait  une  paix  qui,  mieux  qu'une  franche  agi- 
tation, laissait  pressentir  les  troubles  qui  se  pré- 
paraient dans  l'ombre,  et  qu'un  ensemble  d'indi- 
ces annonçaient  comme  étant  proches  de  leur 
réalisation.  Désunion  entre  la  reine-mère  et  ses 
enfants,  esprit  de  faction  permanent  chez  les  sei- 
gneurs de  province,  mécontentement  sourd  du 
peuple,  brigandage  ouvertement  pratiqué  sur  les 
routes  de  France,  transactions  commerciales  en- 
travées, franchise,  loyauté,  foi  jurée  disparues 


CATHERINE    DE    MEDICIS  177 


des  consciences,  et  division  des  familles  de  par 
les  luttes  dogmatiques  dont  retentissaient  les 
voùtesdes  temples  et  des  églises.  Partout  la  tra- 
hison, la  perfidie,  les  désordres  anarchistes,  se 
manifestaient  sous  l'indifférence  politique  d'un 
prince  en  lutte  avec  lui-même  et  les  siens,  souf- 
frant de  ses  peines,  ennuyé  de  vivre,  et  ne  soup- 
çonnant même  plus  l'importance  de  son  rôle 
social  Son  frère,  leduc  d'Alençon,  esprit  ardent, 
mais  léger  dans  ses  actions  et  avide  de  gloire, 
était  surtout  soucieux  de  satisfaire  sa  présomp- 
tion et  la  jalousie  qu'il  ressentait  contre  Charles 
et  contj'e  le  roi  de  Pologne.  Il  enviait  le  géné- 
ralisme  des  armées  qu'avait  possédé  le  duc  d'An- 
jou. 11  enviait  aussi  le  titre  de  lieutenant-géné- 
ral du  royaume.  Et,  escomptant  déjà  la  mort 
de  Charles,  il  pensait,  avec  ces  deux  puissants 
emplois,  empêcher  le  retour  du  roi  de  Pologne 
pour  succéder  à  son  frère  sur  le  trône  de  France. 
Ces  idées,  ces  projets,  lui  étaient  suggérés  par 
des  gens  intéressés  à  troubler  l'ordre  monarchi- 
que, et  dont  l'intelligence  était  bien  supérieure 
à  celle  d'un  duc  d'Alençon.  C'était  d'une  part, 
tous  les  calvinistes  survivant  à  Thécatombe  ;  et 
de  l'autre,  le  roi  de  Navarre,  le  prince  de  Condé, 
les  Montmorency,  leurs  partisans,  et  quelques 


178  CATHERINE    DE    MEDICIS 

penseurs  écrivains  et  gens  de  robe  :  groupe  for- 
midable des  Malconlenls  qui  se  dressaient  en 
vengeurs-justiciers  des  égorgements  pratiqués. 
Heureux  de  pouvoir  profiter  de  l'inaptitude 
royale  et  de  remuer  les  haines  sous  l'égide  d'un 
frère  de  roi,  ce  parti  des  Malcoûlenls  usa  de  l'in- 
fluence qu'avaient  sur  le  duc  d'Alençon  Joseph 
de  Boniface,  sieur  de  La  Môle,  et  son  ami  le 
comte  Annibal  de  Coconas^  deux  intrigants 
audacieux,  galants  baladins  de  cour,  dont  les 
maîtresses  étaient  pour  le  premier  la  reine  Mar- 
got et  pour  le  second  la  duchesse  de  Nemours, 
mère  du  duc  de  Guise.  Ces  premiers  jalons  posés, 
les  Malconlenls  commencèrent  leur  sape  esour- 
noise  et  recrutèrent  promptement  de  nouveaux 
adhérents  :  bourgeois  aisés,  mercenaires  sans 
enrôlement,  et  d'autres  individualités  de  tous 
états,  tel  que  ralchimisteGrandry(i),  prometteur 
magnifique  qui  devait  changer  en  or  pur  tout  le 
plomb  destiné  aux  arquebusades,  et  fournir  au 

(1)  Pierre  de  Grandry  dit  Granchamps,  maître  d'hôtel  ordi- 
naire du  roi,  était  un  gentilhomme  calviniste  c|ui  avait  réussi 
à  s'enfuir  de  la  cour  lors  du  massacre  de  la  Saint-Barthé- 
lémy. Voir  sur  ce  personnage  les  Mémoires  de  Sully,  t.  I, 
p.  55  et  note  56.  M.  William  Reysser  possédait  daas  sa 
remarquable  collection,  un  manuscrit  d'alchimie  attribué  à 
Grandry,  et  duquel  j'ai  extrait  le  très  curieux  dessin  sym- 
bolique reproduit  à  la  page  203  du  présent  volume. 


Catherine  de  medicis  179 

parti  des  sommes  bien  supérieures  à  la  dépense 
que  nécessitaient  les  entreprises  projetées. 

C'est  au  sein  de  cette  association  que  naquit 
le  fameux  complot  dit  des  jours  gras.  Il  s'agis- 
sait de  tirer  de  la  cour,  qui  depuis  peu  s'était 
installée  à  Saint-Germain-en-Laye,  les  princes 
de  Navarre  et  de  Condé  qui  y  vivaient  en  un  vé- 
ritable esclavage  sous  l'étroite  surveillance  de 
la  reine-mère,  et  de  leur  confier  le  commande- 
ment de  certaines  places  fortes  déjà  garnies  de 
troupes  religionnaires.  Mais  les  conjurés  se  hâ- 
tèrent trop  et  furent  malhabiles  dans  l'exécution 
de  leur  plan.  Catherine  veillait.  Elle  sut  tout  ce 
qu'elle  voulait  savoir  par  l'aveu  de  La  Môle  qui 
pensait,  en  avouant,  échapper  aux  poursuites 
ro^^ales.  Il  fut  pourtant  arrêté  ainsi  que  son  ami 
Coconas  et  gardé  à  vue  au  donjon  de  Vincennes 
pendant  que  les  maréchaux  deCossé  et  de  Mont- 
morency étaient  envoyés  à  la  Bastille.  Quant  au 
prince  de  Condé,  il  s'échappa  en  compagnie  de 
Thoré,  se  réfugia  en  son  gouvernement  de  Picar- 
die, et  quelque  temps  après  passa  en  Allemagne. 

En  hâte  la  cour  était  partie  de  Saint-Germain 
pour  venir  à  Paris,  puis  au  château  de  Vin- 
cennes, Dans  une  litière,  par  une  nuit  froide 
d'avril,  à  deux  heures  du  matin,  Charles  IX  fut 


180  CATHERINE    DE    MEDICIS 


contraint  de  fuir  en  gémissant  sous  l'aiguillon 
delà  maladie:  Du  moins,  disait-il,  s'ils  avaient 
attendu  ma  mort! 

Du  château  de  Vincennes,  Charles  écrivit  la 
lettre  suivante  à  M.  delà  Valette,  son  lieutenant- 
général  en  Guyenne,  lettre  jusqu'alors  inédite  et 
qui  résume  parfaitement  Thistorique  du  complot: 

«  Monsieur  de  la  Valette,  on  vous  a  cy-devant 
peu  faire  entendre  ce  qui  sestoit  passé  contre  moy 
et  mon  estât,  a  Sainct-Germain-en-Laye,  depuis 
ces  jours  passez  ;  il  sest  descouvert  encores  icy 
une  méchante  et  malheureuse  affaire  laquelle 
maiantesté  confirmée  par  plusieurs  divers  advis, 
je  faictz  ranforcer  mes  gardes  et  aitres  dedans 
lanclos  de  ce  chasteau,  ung  corps  de  gardes  de 
Suisses.  Jl  avoit  dès  lors  esté  pris  quelques  per- 
sonnes coulpables  de  ladicte  entreprise,  et  depuis 
il  n'en  a  esté  prins  encores  d'autres,  entre 
lesquelz  sont  la  Molle  et  le  conte  de  Coconnas, 
qui  sont  entre  les  mains  des  gens  de  ma  court 
de  parlement,  pour  leur  estre  faict  leur  procès, 
sestant  ja  par  les  interrogatoires  que  Ion  leur  a 
peu  faire  et  leurs  confessions  volontaires  vérif- 
fîées,  comme  ilz  ont  voulu  suborner  mes  frères, 
le  duc  d'Allançon  et  le  roy  de  Navarre,  hors 
d'auprès  de  moy,  pour  leur  faire  entreprendre 


CATHERINE    DE    MEDICIS  181 

quelque  chose  au  préiudice  démon  aucloritéet 
du  repos  de  mon  estât.  Pour  lequel  effect,  ilz 
avoient  desposé  des  chevaux  en  certains  en- 
droicts  et  prins  ung  lieu  ou  ilz  se  debvoient 
rendre  ;  ayant  bien  à  louer  Dieu,  de  ce  que  par 
sa  grâce,  leur  mauvais  desseing  n'a  esté  exécuté 
et  mesdicts  frères,  aiant  congneula  malice  et  in- 
tention de  ceux  qui  les  ont  ainsi  malheureusement 
voullu  déduire,  mont  déclaré  tout  ce  quilz  en 
estoient  sceu,  conforme  a  ce  que  dessus,  espé- 
rans  bien  que  par  la  confection  du  procès  qui 
faire  seroict  faictz  a  ceux  qui  se  trouvent  au  jour- 
dhui  prisonniers,  il  se  poura  descouvrir  quel- 
que chose  davantage,  de  ce  quoy  tendoit  le  but 
de  celte  malheureuse  entreprise  ;  cependant,  je 
ne  veux  oublier  à  vous  dire,  que  mon  cousin  le 
prince  de  Condé,  aiant  eu  quelque  fraieur,  pour 
lui  avoir  esté  donné  à  entendre  que  je  fairois 
prisonniers  mesdicts  frères,  est  sorti  d'Amiens, 
et  cest  retiré  du  costé  des  Ardennes  ainsi  que  je 
iay  entendu.  Mais  jespère  que  comme  son  parle- 
ment a  esté  fondé  sur  ung  faulx  donné  a  enten- 
dre, quant  il  aura  la  vérité  des  choses  connue, 
j'ai  donné  ordre  le  luy  faire  savoir,  il  s'en  retour- 
nera audict  Amiens,  pour  continuer  a  pourvoir 
aux  affaires  de  son  gouvernement,  selon  la  charge 

11 


1S2  CATHERINE    DE   MEDICIS 

que  je  lui  en  ay  donné,  et  que  je  luy  avois  envoie 
expressément.  Je  vous  ay  bien  voullu  adverlir 
de  ce  que  dessuz  aussi  particullièrement  affin 
que  vous  n'en  davairez  en  peine  sur  les  bruicts 
qui  en  pourroient  courir.  Et  aussi  affin,  que  vous 
ayez  l'oeuil  sur  ce  qui  est  de  vostre  charge,  ne 
voullant  néantmoins  que  pour  cela,  ceux  de  la 
nouvelle  opinion  ni  autres,  qui  se  contiendront 
paisiblement  en  icelle  soient  aucunement  mo- 
lestez, ains  contenus  et  conservés  ainsi  que  je 
vous  ay  tousiours  mandé  estre  mon  intention. 
Priant  le  créateur,  M.  delà  Vallette,  vous  avoir 
en  sa  saincte  digne  garde  ;  escript  au  bois  de 
Vincennes,  le  i5  avril  i574- 

«  Charles  (i).  » 

En  même  temps  qu'il  donnait  ces  ordres  par- 
ticuliers, Charles  IX  constituait  une  Commis- 
sion spéciale  pour  instruire  d'urgence  le  procès  cri- 
minel de  La  Môle^  Coconas  el  leurs  complices, 

(1)  Lectre  du  Roy  à  Monsieur  de  la  Vallette,  sur  la  conspira- 
tion de  la  Molle  et  Coconas.  Au-dessous  de  la  signature  de 
Charles  IX,  on  lit  :  Fizes.  Et  sur  le  repli  de  la  lettre  :  Mon- 
sieur la  Valette,  Chevalier  de  mon  ordre,  Conseiller  en  mon  privé 
Conseil,  Cappilaine  de  cinquante  hommes  et  mon  Lieutenant- 
Général  en  Guienne.  Archives  nationales  ;  Registre  des  Arretz 
donnez  contre  aulcuns  Princes,  Seigneurs  et  aultres  accusés 
de  crime  de  lèze-Maiesté.  (U-785  —  R»  fol.  118,  119  et  120.) 


CATHERINE    DE    MEDICIS  183 

«  Charles,  par  la  grâce  de  Dieu,  Roy  de  France, 
à  nos  amis  et  féaux  Conseillers  en  notre  Con- 
seil privé,  le  Premier  Président  en  dite  Cour 
du  Parlement  et  plus  ancien  Président  séant  en 
la  Chambre  de  la  Tournelle  de  notre  Court,  salut. 

«  Désirant  qu'il  soit  procédé  en  haulte  dili- 
gence et  par  personnages  recommandés  de 
grande  intégrité  et  prudhemmie,  à  la  confection 
des  procès  criminels  et  extraordinaires  contre 
tous  ceux  qui  se  trouveront  chargés  et  coupa- 
bles de  la  damnable,  méprisante  et  malheureuse 
conspiration  qui  a  été  faiàte  à  Tencontre  de 
nostre  personne  et  celle  de  la  Reyne  nostre  très 
bonne  Dame  et  Mère,  contre  les  principaux  Offi- 
ciers de  nostre  couronne  et  générallement  con- 
tre tout  nostre  estât  et  à  l'entière  ruine  et  sub- 
version d'iceluy. 

«  Nous  vous  avons  commis,  ordonné  et  dé- 
puté, commissons,  ordonnons  et  députons  par 
ces  présentes  pour  avec  deux  plus  anciens  Con- 
seillers, tous  de  nostre  dite  Cour,  l'un  de  la 
grande  Chambre,  l'autre  de  ladite  Tournelles,  va- 
queren  toute  diligenceet  tous  aultresaffairespost- 
posées  et  cessans,  et  sans  aucune  intermission 
ni  discontinuation  tant  aux  jours  fériés  que  non 
fériés,  et  à  toutes  heures,  à  Tlnstruction  entière 


184  CATHERINE    DE    MEDICIS 

desdits  procès,  nonobstant  oppositions  et  appel- 
lations quelconques  et  sans  préjudice  d'icelles. 

«  Pour  lesdits  procès  par  vous  instruits,  et 
deux  de  vous  en  l'absence  ou  légitime  empesche- 
ment  de  maladie  des  aultres,  pourvu  quePun  de 
vous  Présidens  susdit  y  assiste  toujours,  estre 
procédé  aux  jugements  définitifs  d'iceux  par  les 
deux  Chambres  assemblées. 

«  De  ce  faire  nous  avons  donné  et  donnons 
plein  pouvoir,  puissante  autorité,  Commission 
et  mandement  extraordinaire  par  ces  dites  pré- 
sentes mesures  de  faire  saisir  et  arrêter  toutes 
personnes  de  quelque  qualité  qu'elles  soient, 
si  de  ce  faict  se  trouveront  chargées  et  soup- 
çonnées, mandons  et  commandons  à  tous  nos 
justiciers.  Officiers  et  subjects  que  nous  avons, 
en  ce  faisant,  obéissent  et  entendent  diligem^- 
ment  prestent  et  donnent  confort,  ayde  et  pro- 
viseurs à  tous  sergens  et  Commissaires,  d'exé- 
cuter vos  mandemens  tous  ainsi  que  s'ils  étoient 
émanés  de  nous.  Si  donnons  en  mandemens  à 
nos  amez  et  féaux  Conseillers  les  gens  tenans 
nostre  dite  Cour  du  Parlement,  que  nos  pré- 
sentes lettres  de  commission  ils  facent  enregis- 
trer au  greffe  d'icelle  nostre  Cour  et  audicts 
conseillers  par  nous  commis  et    députez  pour 


CATHERINE   DE   MEDICIS  185 

ladite  instruction  et  jugement  obéir  et  entendre 
par  tous  nos  efforts  en  ce  qui  concernera  lefaict 
de  ladite  commission. 

«  Car  tel  est  nostre  plaisir.  » 

((  Charles  (i).  » 

L'instruction  préliminaire  du  procès  ne  fut 
pas  compliquée.  Le  duc  d'Alençon,  pressé  par 
sa  mère,  avoua  également  tous  les  détails  de  la 
conspiration,  et  cela  sans  même  solliciter  la 
grâce  de  ceux  qui  s'étaient  aveuglément  dévoués 
pour  lui.  Le  roi  de  Navarre,  qui  connaissait  bien 
ce  faible  caractère,  ne  s'y  trompa  pas.  Le 
voyant  un  jour  enfermé  avec  Catherine,  il  dit 
au  duc  de  Bouillon  :  C'est  fait,  noire  homme 
dit  tout  (2). 

Henri  de  Navarre  eut  la  fermeté  de  ne  pas 
imiter  le  duc  d'Alençon.  Aux  questions  qui  lui 
furent  posées,  il  répondit  en  se  défendant 
comme  d'un  déshonneur  des  aveux  humiliants 
que  l'on  voulait  tirer  de  lui,  se^  rejetant  fière- 
ment sur  les  mauvais  procédés  pratiqués  à  son 

(1)  Bibliothèque  nationale.  Manuscrit  fonds  français  ;  collec- 
tion Dupuy,  vol.  590,  fol.  21  et  recto.  Document  inédit. 

(2)  L'Esprit  de  la  Ligue,  livre  quatrième  ;  t.  II,  pp.  89  et 
suirantes. 


186  CATHERINE    DE    MEDICIS 

égard,  et  se  plaignant  surtout  de  lespèce  de 
captivité  dans  laquelle*  on  l'obligeait  à  vivre. 
Enfin,  il  conclut  que  lors  même  il  aurait  effecti- 
vement cherché  à  s'enfuir,  nul  ne  pouvait  s'en 
plaindre,  puisqu'il  était  traité  en  gêneur  à  la 
cour,  et  qu'en  conséquence,  il  se  sentait  tout 
disposé  à  recommencer  celte  tentative  d'évasion 
si  l'on  ne  changeait  d'allure  à  son  adresse. 
Cette  fermeté  lui  fit  certes  grand  honneur,  mais 
ne  sauva  pas  ceux  que  l'on  voulait  sacrifier  à 
titre  d'exemple. 

Le  projet  pur  et  simple  de  délivrer  les  prin- 
ces protestants  ne  parut  pas  suffisant  à  Cathe- 
rine. Elle  sentit  qu'on  la  trompait,  et  chercha 
dans  la  trame  du  complot  les  sources  d'un  at- 
tentat direct  contre  la  personne  du  roi.  C'est 
alors  que  l'affaire  La  Môle  et  Coconas,  chan- 
geant de  forme,  devint  un  véritable  procès  de 
sorcellerie. 


Quelques  jours  avant  la  lettre  de  Charles  à 
I\I.  de  la  Vallette,  Catherine  de  Médicis  avait 
appris  que  La  IMôle  portait  au  cou  une  amulette 
sur  laquelle  étaient  gravés  des  signes  cabalis- 
tiques. Pour  l'esprit  perspicace  de  la  reine-mère 


CATHEniNE    DE    MEDICIS 


187 


ce  fut  là  une  importante  révélation.  Immédiate- 
ment elle  chargeait  Lanssac  d'écrire  la  lettre 
suivante  au  procureur-général,  La  Guesle  : 


MÉDAILLE  TALISMANIQUE 

DE  Catherine  de  Médici!^ 


«  Monsieur, 

«  La  Royne-Mère  du  Roy  m'a  commandé  vous 
mander  que  vous  donniez,  s'il  vous  plaît,  bon 
ordre  que  personne,  quel  qu'il  soit,  ne  parle 
aulx  prisonniers,  mesmement  à  La  Molle,  si  ce 
ne  sont  les  juges  ordonnez  pour  faire  leur  procès, 
et  qu'ayant  entendu  que  le  dict  La  Molle  porte  au 
col  quelques  chiffres  ou  caractères,  et  au  doibt 


183  CATHERINE    DE    MÉDICIS 

des  anneaulx,  que  vous  les  luy  faciez  hoster, 
voir  ce  que  c'est  el  les  garder  ;  aussi  il  avoit  sur 
luy  cinq  ou  six  cens  escuz  et  des  bagues  qui 
sont  moyens  pour  tenter  à  corrompre  les  gardes  ; 
parquoy  il  lui  fault  aussy  hoster  et  faire  bien 
garder  tout,  comme  vous  sçavez  qu'il  faut  faire, 
qui  est  tout  ce  que  je  vous  diray,  sinon  me  re- 
commander à  vostre  bonne  grâce. 

«  Au  boys  de  Vincennes,  ceste  vigille  de 
Pasques,  au  soir,  [lo  avril  1574.] 

«  Vostre  obéissant  parfaict  amy  pour  vous 
faire  service. 

«  Lanssac  (1).  » 

On  procéda  bientôt  à  une  perquisition  au  do- 
micile de  La  Môle.  On  y  découvrit  des  livres  de 
sorcellerie  et  une  correspondance  qui  démontrait 
les  relations  de  ce  gentilhomme  avec  le  premier 
magicien  de  la  reine-mère,  Cosme  Ruggieri  (2). 

(1)  Original  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale  ;  manus- 
crits, fonds  Dupuy,  n°  590,  fol.  25. 

(2)  Cosme  Ruggieri  était  le  plus  jeune  des  deux  fils  de 
Ruggieri-le- Vieux  {Vecchio  Ruggier),  l'un  des  plus  savants 
hommes  du  seizième  siècle,  et  qui  fut  médecin  de  Laurent 
de  Médicis,  duc  d'Urbin,  père  de  Catherine.  Ruggieri-le- 
Vieux  était  tellement  considéré  à  la  cour  des  Médicis,  que 
les  ducs  Laurent  et  Cosme  acceptèrent  d'être  les  parrains 
des  deux  fils   du  médecin;  selon  la  coutume  ils  donnèrent 


CATHERINE   DE   MEDICIS  189 

En  outre,  on  y  trouva  plusieurs  petites  sta- 
tuettes de  cire  vierge,  dont  deux  offraient  des 
détails  plus  particulièrement  étranges  :  l'une 
était  à  moitié  fondue  ;  l'autre  avait  une  épingle 
plantée  à  l'emplacement  figuré  du  cœur. 

Cette  découverte  acheva  de  bouleverser  les 
esprits  :  «  Certains  veulent  que  le  Roi  soit  ma- 
lade, écrit  Alamanni  au  prince  héritier  de  Tos- 
cane, et  qu'on  ait  trouvé  certaines  images  de 

leurs  prenons  à  leurs  filleuls.  Cosme  Ruggieri  eut  comme 
principal  maître  son  père.  Ses  études  terminées,  il  vint  en 
France  à  la  suite  de  Catherine  de  Médicis.  Au  sein  de  la 
cour  de  Henri  II,  à  côté  de  Nostradamus  et  de  Régnier,  il 
acquit  promptement  un  grand  renom  par  ses  horoscopes,  ses 
talismans,  ses  cérémonies  magiques  et  surtout  par  ses 
envoûtements  de  haine  et  d'amour.  Catherine,  qui  appréciait 
hautement  la  science  de  ce  personnage,  lui  fit  donner  l'ab- 
baye de  Saint-Mahé  en  Basse-Bretagne,  et  c'est  pour  lui 
qu'elle  fit  construire,  par  Bullant,  la  colonne  observatoire  de 
l'Hôtel  de  Soissons,  qui  subsiste  encore  accolée  à  la  Bourse 
de  Commerce  de  Paris.  Cosme  possédait  une  maison  dont 
M.  Camille  Piton  a  retrouvé  l'acte  de  vente  aux  Archives 
nationales  (S.  1090).  Cet  immeuble  était  situé  rue  du  Four 
à  l'enseigne  du  Lyon  noir.  Cosme  accompagnait  Catherine 
dans  tous  ses  déplacements  en  des  châteaux  divers.  A 
Chaumont-sur-Loire,  par  exemple,  M.  le  Prince  Amédée  de 
Broglie  a  minutieusement  conservé  la  chambre  que  l'astro- 
logue soi-disant  y  occupait.  Vergnaud-Romagnési  et,  plus 
tard,  de  la  Saussaye,  nous  ont  laissé  quelques  détails  sur 
les  études  astrologiques  de  Catherine  en  compagnie  de 
Cosme  au  château  de  Chambord  (Blois,  1857  ;  p.  55,  1  vol. 
in-8). 

11. 


190  CATHERINE    DE    MEDTCIS 

cire  ;  celles-ci  consumées,  la  vie  de  Sa  Majesté 
aurait  fini.  On  dit  aussi  qu'on  a  beaucoup  agi 
près  de  M.  d'Alençon  pour  le  décider  à  conspi- 
rer contre  le  Roi  et  à  tuer  quelques-uns  de  ses 
serviteurs  et  quelques  Dames  par  voie  de  nécro- 
mancie, et  Cosme  en  est  inculpé  pour  une  part, 
par  les  officiers  ministres  du  Roi  (i).  » 

Le  lendemain,  27  avril,  Dale,  ambassadeur 
d'Angleterre,  annonce  aussi  cet  événement  en 
une  dépêche  qu'il  adresse  à  lord  Rurghley,  ajou- 
tant qu'indépendamment  des  figures  de  cire,  on 
a  trouvé  «  dans  la  chambre  de  La  Môle,  une 
étrange  médaille  pour  quelque  enchantement  ma- 
gique ou  autre  chose  semblable  (2)  ». 

Mis  à  la  torture,  on  demanda  à  La  Môle  si  ces 
statuettes  ne  représentaient  pas  le  roi  et  si,  par 
des  manœuvres  obscures  de  fart  magique,  il 
n'avait  pas  conçu  le  désir  de  nuire  à  la  santé  de 
Charles  IX.  La  Môle  avoua  qu'effectivement, 
sur  les  conseils  de  Cosme  Ruggieri,  il  s'était 
livré  aux  pratiques  occultes  de  fenvoûtement. 
Chaque  soir,  à  la   chaleur  douce  d'un  foyer,  il 


(1)  Dépêche  d'Alamanni  au  prince  héritier  de  Toscane; 
26  avril  1574.  Négociations  diplomatiques  entre  la  France  et 
la  Toscane,  t.  III,  p.  928  {Traduction  analytique  inédite). 

(2)  Calendars  :  1572-1574,  n"  1398;  27  avril  1574. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  l'Jl 

avait  lentement  fait  fondre  l'une  de  ces  statuettes 
de  cire,  persuadé  qu'au  fur  et  à  mesure  qu'elle  se 
consumait,  l'existence  de  la  personne  ainsi  re- 
présentée allait  également  en  décroissance.  Mtiis 
il  refusa  d'avouer  que  cette  statuette  représen- 
tait le  roi. 

En  dépit  de  cette  dernière  négation,  l'unanime 
conviction  fut  que  Charles  IX  était  envoûté. 
Aussi,  Catherine  n'hésita-t-elle  pas.  Sans  ména- 
gement, elle  fit  arrêter  le  modeleur  des  crimi- 
nelles statuettes,  Cosme  Kuggieri,  que  peu  de 
temps  auparavant  elle  avait  placé  auprès  du 
duc  d'Alençon  sous  prétexte  de  donner  à  ce 
prince  des  leçons  de  langue  italienne,  mais  en 
réalité  pour  la  tenir  au  courant  des  menées  du 
parti  des  malcontents. 

Quelques  jours  après  la  Saint-Barthélémy, 
elle  avait  même  questionné  Cosme  sur  l'avenir 
qui  était  réservé  au  duc  d'Alençon.  C'est  l'am- 
bassadeur toscan,  Petrucci,  qui  nous  transmet 
ce  questionnaire  bizarre  : 

«  La  Reine-mère  a  parlé  sur  le  fait  des  hugue- 
nots, écrit-il,  avec  M.  Cosme  Ruggieri  en  sa 
qualité  d'astrologue.  Il  lui  a  répondu  «  que  cela 
«  a  été  fait  au  bénéfice  plutôt  d'un  ami  du  Roi, 
«  que  du  Roi  lui-même  ».  Interrogé  sur  cet  ami, 


192  CATHERINE    DE   MEDICIS 

il  dit  :  «  Le  Roi  d'Espagne  ».  Et  Sa  Majesté 
ajouta  :  «  Et  de  quelle  façon  ?  »  Puis,  elle  fit  ins- 
tance près  de  lui  pour  savoir  quelle  ressemblance 
il  y  avait  entre  ses  fils.  Il  répondit  «  qu'entre  le 
Roi  et  Monsieur  il  n'y  avait  aucune  ressem- 
blance; mais  qu'il  y  en  avait  une  certaine  avec 
le  duc  d'Alençon,  comme  le  savait  bien  Sa  Ma- 
jesté. »  Et  il  insista  sur  son  opinion  :  «  qu'il  n'y 
avait  pas  de  ressemblance  entre  le  Roi  et  Mon- 
sieur ».  Enfin,  elle  a  ordonné  à  l'astrologue 
d'étudier  le  genre  de  la  grandeur  du  duc  d'Alen- 
çon, d'où  elle  viendra  et  quand  elle  viendra  (i). 

L'astrologue  avait  donc  trompé  la  confiance 
de  la  mère  au  profit  du  fils,  en  travaillant  pour 
le  parti  des  malcontents ,  et  Catherine  n'était 
pas  femme  à  accepter  impunément  une  telle 
trahison  de  l'un  de  ses  pensionnaires  intimes. 

Cependant ,  prévenu  en  temps  opportun , 
Cosme  Rugierri  avait  pu  s'enfuir  et  se  réfu- 
gier chez  Alamanni,  ambassadeur  du  prince 
héritier  de  Toscane  en  France,  qui,  outre  cette 
information,  nous  donne  quelques  détails  sur  les 
débuts  de  l'astrologue  à  la  Cour  de  Catherine  : 

(1)  Dépêche  de  Vambassadeur  toscan  Petrucci  au  prince  héri- 
tier de  Toscane;  Paris,  2  septembre  1572.  (Même  source  que 
ci-dessus,  t.  III,  pp.  835  et  836.) 


CATHERINE    DE  MEDICIS  193 

«  Il  y  a  trois  ans  passés  déjà  (en  1571)  (1),  dit 
cet  ambassadeur,  qu'un  certain  Gosme  Ruggieri, 
qui  avait  été  déjà  en  France  avec  Domenico 
Bonsi,  est  venu  ici  avec  M.  Tommasso,  son 
frère,  s'établir  très  pauvre  en  cette  Cour  et,  à 
cause  du  défaut  de  moyens  au  début,  resta  près 
du  commandeur  Pitrucci,  mon  prédécesseur  (2)  ; 
c'est  par  sa  faveur,  je  crois,  qu'il  commença  à 
se  faire  connaître  pour  un  homme  de  haute  intel- 
ligence et  assez  instruit,  de  sorte  que  M.  Mont- 
morin,  premier  Écuyer  de  la  Reine  Très-Chré- 
tienne (3),  fut  satisfait  de  Tavoir  près  de  lui 
pour  enseigner  la  langue  italienne  aux  pages  de 
Sa  Majesté. 

«  Il  faisait  profession,  entr'autres  choses,  de 
connaître  assez  bien  l'astrologie  et  surtout  l'as- 
trologie judiciaire,  consistant  à  prédire  l'ave- 
nir.  De  là  quelques-uns  ont  conclu    (quoique 

(1)  Cosme  Ruggieri  était  certainement  à  la  Cour  de  France 
bien  avant  cette  date. 

(2)  Dans  une  dépêche  datée  du  27  août  1572,  Petrucci, 
alors  ambassadeur  de  Toscane  en  France,  dit  à  Concini, 
secrétaire  d'Etat  du  grand-duché  de  Toscane,  que  c'est  à 
Cosme  Ruggieri  qu'il  dut  d'être  protégé  par  la  Reine-mère, 
contre  le  massacre  de  la  Saint-Rarthélemy.  (Collection  de 
documents  inédits -.Négociaîions diplomatiques  entre  la  France 
et  la  Toscane,  t.  III,  p.  810.) 

(3)  Elisabeth  d'Autriche,  femme  de  Charles  IX. 


191  CATHERINE   DE   MEDICIS 

faussement  à  mon  avis)  qu'il  pratiquait  aussi 
un  peu  de  ce  qui  touche  à  la  nécromancie.  A 
cause  de  cela  et  des  faveurs  que  lui  ont  faites 
Giaji-Galeazzo,  Frigoso  et  l'abbé  Guadugni, 
il  arriva,  il  y  a  peu  de  temps,  dans  un  tel  cré- 
dit près  de  la  Reine  mère  du  Roi,  qu'en  outre 
qu'il  avait  continuellement  Toreille  de  Sa  Ma- 
jesté et  savait  une  infinité  de  choses  de  cette 
façon  et  d'autres,  il  fut  choisi,  il  y  a  peu  de 
mois,  pour  enseigner  la  langue  Toscane  au  duc 
d'Alençon,  ce  dont  il  tiraitde  raisonnables  profits. 
«  Cet  homme  avait,  pendant  ce  temps,  fait 
quelques  amitiés  françaises,  dont  la  plus  intime, 
la  plus  importante,  était  La  Môle,  très  en  faveur 
près  dudit  Seigneur-duc,  et  qui  aujourd'hui  est 
en  prison.  .Mais,  soit  que  ce  fut  sa  destinée,  soit 
qu'il  Teût  mérité,  il  a  paru  bon  à  Sa  Majesté  (la 
reine-mère)  il  y  a  quatre  jours  (c'est-à-dire  le 
22  avril)  de  l'avoir  [Cosme  Ruggieri]  en  son  pou- 
voir. Celui-ci,  prévenu,  partit  de  la  Cour  où  il 
était,  le  XXII  courant  et  s'en  vint,  non  à  Paris, 
mais  dans  les  faubourgs  hors  Paris  où  est  ma 
maison  (i)...  » 

(1)  Dépêche  d'Alamanni  au  prince  héritier  de  Toscane  ; 
Paris,  26  avril  1574.  (Même  source  que  ci-dessus  ;  t.  III, 
pp.  920  à  923  {Traduction  inédile). 


CATHERINE    DE   MEDICIS  195 

Alamaiini  le  reçut  donc  chez  lui  sans  rien 
soupçonner.  Mais  ayant  été  averti  par  l'un  des 
capitaines  chargés  d'arrêter  l'astrologue,  l'am- 
bassadeur toscan  consentit  à  livrer  le  fugitif  à  cet 
ofQcier.  Gosme  fut  arrêté  au  sortir  de  chez  Ala- 
manni,  celui-ci  n'ayant  pas  voulu  que  l'arres- 
tation eût  lieu  en  son  domicile. 

Catherine  de  Médicis,  apprenant  les  péripéties 
de  cette  arrestation,  accusa  l'ambassadeur  toscan 
d'être  complice  del'envoûteur.  Alamanni  se  ren- 
dit sans  retard  à  la  Cour  pour  se  justifier  : 

«  Je  dis,  ajoute-t  il  dans  sa  dépêche  précitée, 
je  dis  que  ce  Gosme  n'était  pas  connu  de  moi 
sinon  depuis  que  j'étais  en  France,  sachant  à 
peine,  bien  qu'il  fût  Florentin,  qui  il  était  (i).  » 

Cette  justification  bien  accueillie  du  Roi  et 
de  la  reine-mère,  Alamanni  ne  fut  pas  davan- 
tage inquiété. 

Gosme  Ruggieri  aussitôt  arrêté,  Catherine 
donnait  l'ordre  à  Lanssac  d'aviser  de  cette  arres- 
tation le  procureur  général  du  parlement  de 
Paris  : 

(1)  Dépêche  d'Alamanni  précitée. 


196  CATHERINE    DE    MEDIGIS 

((  Monsieur, 

v<  La  Royne-Mère  du  Roy  m'a  commandé  vous 
escripre  que  le  petit  Cosme,  négromancien  que 
vous  sçavez,  a  estéprins  prisonnier  et  mis  entre 
les  mains  du  Presvostde  l'Hostel  qui  a  comman- 
dement de  le  vous  amener  affm  de  le  faire  dili- 
gemment et  incontinent  interroger,  ouijr  et  très 
expressément  examiner  par  Messieurs  les  Pré- 
sidents premier  et  de  Boinville,  et  surtout  le 
faire  interroger  sur  certaines  ymaiges  de  cire 
qu'on  dict  qu'on  a  trouvées  parmy  les  besongnes 
de  la  Molle  ainsi  qu'a  dict  le  Lieutenant  du  Che- 
valier du  Guet  et  dont  ladicte  dame  Royne  avoit 
commandé  à  M.  de  Bonneuil,  filz  de  Monsieur 
le  premier  Président,  d'en  avertir  mon  dict  sieur 
le  premier  Président,  pour  en  sçavoir  la  vé- 
rité, dont  Sa  Majesté  a  grand  désir  de  sçavoir 
des  nouvelles.  Si  vous  en  sçavez,  vous  me  ferez 
grand  plaisir  d'en  mander  par  ce  porteur.  Et  ce 
tant,  je  me  recommande  très  affectueusement 
à  vostre  bonne  grâce. 

«  Du  boys  de  Vincennes  ce  vingt-deuxième 
d'Apvril  1574. 

«  Votre  obéissant  et  parfaict  amy  à  vous  ser- 
vir. 

«  Lanssac  (1).  » 


CATHERINE    DE    MEDICIS  197 

Mais  une  chose  que  le  duc  d'Alençon  n'avait 
pas  avouée  à  sa  mère,  c'est  que  lui  aussi  pos- 
sédait une  amulette  préparée  par  Cosme  Rug- 
gieri,  et  dont  le  port  constant  sur  la  poitrine 
devait  favoriser  l'exécution  des  projets  que  ce 

HumillSSimo  jerut^ 

Signature  de  l'astrologue  Gabriel  Simeoni. 
{Man.  B.  N.) 

quatrième  fils  de  Catherine  avait  conçu  contre 
son  frère.  Pressé  de  questions,  il  finit  par  révéler 
à  sa  mère  la  possession  de  ce  talisman.  Cosme 
Ruggieri  ne  voulant  rien  dire,  la  reine-mère  se 
servit  de  la  découverte  nouvelle  qu'elle  venait 
de  faire  en  la  personne  du  duc  d'Alençon,  pour 
obliger  Tastrologue  à  entrer  dans  la  voie  des 
aveux.  Voici  ce  qu'elle  même  écrivit  à  ce  sujet 
au  procureur  général  ; 

(1)  Original  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale;  manus- 
crit, fonds  Dapuy,  n°  590,  fol.  26. 


19S  CVTIIERINE    DE   MEDIGIS 


«  Monsieur  le  Procureur 

«  A  ce  soir  l'on  me  dit  de  vostre  part  que 
Cosme  ne  disoit  rien  ;  c'est  chose  certaine  qu'il 
a  faict  ce  que  mon  fils  d'Alençon  avoit  sur  luy, 
et  que  Ton  m'a  dict  qu'il  a  faict  une  figure  de 
cire  à  qui  il  a  donné  des  coups  par  la  teste,  et 
que  c'est  contre  le  Roy,  et  que  laditte  figure  a  esté 
trouvée  parmy  les  besongnes  de  la  Molle  ;  aussy 
que  où  il  logeait  à  Paris  il  a  beaucoup  de  mes- 
chantes  choses  et  délivres  et  aultres  papiers;  je 
vous  prie  d'en  advertirde  ma  part,  de  tout  ce  que 
dessus,  le  premier  Président  et  le  Président  Hen- 
nequin,  et  me  mander  tout  ce  qu'il  aura  confessé, 
et  si  ladite  figure  s'est  trouvée,  et  qu'au  cas 
qu'elle  soit  faicte  que  je  la  voye. 

«  Du  boys  de   VincenneS;  le  vingt-neuvième 

d'Apvril. 

«  Je  suis, 

«  Caterine  (i).  » 

Le  même  jour,  à  onze  heures  du  soir,  la  reine- 
mère  ayant  recueilli  quelques  détails  complé- 


(1)  Original  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale  ;  manus- 
crit, fonds  français,  n»  18452,  fol.  1. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  lOf) 

mentaires  sur  cette  affaire,  adressait  à  la  Guesle 
les  curieux  détails  que  voici  : 

«  MoNS[EUR  LE  Procureur, 

«  Je  vous  envoyé  ce  porteur,  qui  est  à  moy, 
qui  vous  dira  ce  que  le  Lieutenant  du  Prévost  de 
FHostel  luy  adict,  que  Cosme  luy  dit,  quand  il  le 
prit,  et  affin  qu'il  ne  change  je  luy  ay  faict  dire 
et  je  vous  Tescrisicy  ;  qui  est  que  le  dict  Cosme 
incontinent  quilfut  pris,  luy  demanda  si  le  Roy 
vomissoit  et  s'il  saignoit  encores  ;  et  s'il  avoit 
douleur  de  teste  et  comment  il  alloit  de  la  Mole 
et  qu'il  l'aymeroit  tant  qu'il  vivroit.  Faictez  luy 
tout  dire,  et  envoyez  quérir  le  dict  Lieutenant  et 
communiquez  la  présente  au  premier  Président  et 
au  Président  Hennequin  ;  et  que  l'on  sçache  la  vé- 
rité du  mal  du  Roy,  et  que  Ton  luy  fasse  deffaire 
s'il  a  faict  quelque  enchantement  pour  faire  aimer 
La  Molle  à  mon  fils  d'Alençon,  qu'il  le  deffasse. 

«  A  onze  heures  du  soir,  ce  vingt-neufièsme 

d'Apvril.  Je  suis, 

«  Caterine  (i).  » 


(1)  Original  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale]  manus- 
crit, fonds  français,  n»  18452,  fol.  2. 


200  CATHERINE   DE    MEDICIS 


Ainsi  le  fait  se  précisait  :  Charles  IX  était  en- 
voûté. Il  était  la  proie  de  ce  que  le  docteur 
Johannès  intitule  le  crime  des  crimes. 

L'envoûtement  !  Ce  nom  seul  a  quelque  chose 
de  terrifiant.  C'est  l'acte  le  plus  sourd,  le  plus 
sombrement  dangereux,  le  plus  complexe  de 
tous  les  actes  de  la, magie  noire.  C'est  la  con- 
quête d'une  existence  par  une  autre  plus  virile, 
plus  magnétiquement  forte.  C'est  la  fixation,  la 
concentration  sur  le  voit  de  tous  les  principes 
vitaux  de  l'être  qui  doit  mourir.  C'est  la  mysté- 
rieuse personniflcation  de  l'ennemi  en  un  gro- 
tesque modelage  de  cire  vierge  dans  lequel 
entrent  des  cheveux,  des  rognures  d'ongles,  des 
excréments  même,  provenant  de  la  personne  dé- 
signée. C'est  aussi  le  crapaud  qui,  d'après  les 
goétiques  rites  a  été  préparé,  élevé,  nourri  dans 
les  conditions  les  plus  favorables  pour  que  la 
blessure  qui  sera  faite  à  ce  batracien,  constitue 
réellement  une  source  d'épuisement  pour  l'en- 
voûté. C'est  la  pire  des  machinations  où  l'ago- 
nisant se  sentant  enserré  dans  des  rets  invisibles, 
assiste  à  sa  propre  extinction,  sans  lutte,  sans 
défense,  sans  espoir. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  201 

Les  distances  ne  comptent  pas  dans  l'envoû- 
tement; et  à  travers  l'espace,  le  magicien  noir 
réduit  son  adversaire  à  l'impuissance.  Par  des 
gestes  autoritaires,  par  des  vociférations,  par 
des  imprécations  brutales,  par  des  appels  aux 
forces  infernales  semeuses  de  discordes,  Ten- 
voûteur  assassine  lâchement  dans  les  ténèbres(i). 

On  comprend  alors  tout  ce  qu'une  telle  pra- 
tique devait  avoir  d'affolant  pour  les  imagina- 
tions du  XVP  siècle.  Et  si  quelque  sentiment 
maternel  existait  encore  dans  le  cœur  de  Cathe- 

(1)  Sur  les  théories  diverses  de  Venvoûlement  voir  :  Les  cu- 
rieuses et  savantes  études  de  M.  de  Rochas  d'Aiglun;  le 
livre  fort  intéressant  de  Jules  Bois  sur  le  Satanisme  et  la 
Magie;  la  brochure  du  docteur  Papus  intitulée  Peuî-on 
envoùîerl  (1893)  et  à  laquelle,  en  1904,  Marius  Decrespe  répon- 
dit par  sa  lettre  ouverte  où  il  démontre  que  VOn  peut  envoû- 
ter et  où  il  explique  le  mécanisme  de  Venvoûlement.  Voir 
aussi  Y  Envoûtement  expérimental  de  Porte  du  Trait  des  Ages, 
brochure  publiée  en  1904  ;  VÉtude  sur  Venvoûlement  publiée 
en  1906  par  J.  Phaneg,  et  les  Envoûtements  d'amour  du  doc- 
teur J.  Regnault.  En  ce  qui  me  concerne,  j'ai  assisté,  alors 
que  je  collaborais  à  la  revue  les  Forces  Mentales  en  1907,  aux 
troublantes  expériences  d'envoûtement  exécutées  par  C. 
R.  Sadler,  expériences  basées  sur  celles  de  M.  de  Rochas  et 
qui  démontrèrent  péremptoirement  la  possibilité  de  ces 
criminelles  actions  occultes,  que  les  lois  modernes  recon- 
naîtront et  puniront  certainement  un  jour,  tout  comme 
elles  inquiétèrent  les  juristes  de  jadis.  Il  est  bien  entendu 
que  je  ne  parle  que  de  l'envoûtement  basé  sur  le  sommeil 
hypnotique,  le  seul  qui,  scientifiquement,  a  été  expliqué  et 
prouvé. 


202  CATHERINE    DE    MEDICIS 

rine,  on  conçoit  toute  l'inquiétude  qui  put  naître 
en  elle  devant  les  statuettes  de  Cosme  Ruggierï, 
personnifiant  son  fils.  On  devine  toute  la  frayeur 
qui  dut  la  saisir,  elle  qui,  quelques  années  aupa- 
ravant, avait  chargé  ce  même  nécromant  d'en- 
voûter les  Condé,  Coligny  et  d'Andelot,  pour 
détruire  sous  le  souffle  magique  ces  trois  exis- 
tences qui  la  gênaient. 


Egalement  mis  à  la  torture,  Coconas  ne  crai- 
gnit pas  d'affirmer  les  relations  étroites  que  son 
ami  La  Môle  entretenait  avec  Gosme  Ruggieri. 
Jean  Le  Laboureur  nous  a  laissé  des  extraits  de 
l'interrogatoire  subi  par  les  accusés.  Voici  quel- 
ques réponses  de  Coconas  : 

«  Interrogé  que  c'est  de  l'image  de  cire,  a  dit 
qu'il  n'en  sçait  rien  et  que  Gosme  et  La  Môle 
s'entretiennent  comme  les  doigts  de  la  main. 

«  Interrogé  s'il  sçait  qu'on  ait  fait  quelques 
portraits  ou  caractères  contre  le  Roy,  a  dit  que 
non,  et  qu'il  en  parloit  en  bas  à  un  capitaine  de 
ceste  ville  qui  luy  a  dit  qu'ils  avoient  rompu 
toutes  les  bagues  de  La  Môle  et  avoit  demandé 
au  dit  capitaine  s'ils  avoient  rompu  une  grosse 


CATHERINE   DE   MÉDICIS 


203 


bague  comme  le  doigt,  et  que  s'il  y  avoit  quel- 
que chose  on  le 
trouveroit  là. 

((  Il  dit  encore 
que  quant  à  atten- 
ter à  la  personne 
du  Roy,  il  n'en 
entendit  jamais 
parler. 

«  Interrogé  s'il 
sçavoit  autre 
cliose  de  la  figure 
de  cire,  a  dit  que 
non  et  que  s'il  y  a 
homme  qui  en  sa- 
che quelque  chose 
c'est  Cosme  (i).  » 

Cependant,  Pe- 
lât du  roi  empi- 
rait.   Le    charme 

n'était  pas  conjuré  ;  et  une  note  anonyme  de 
l'époque  nous  décrit  le  piteux  état  de  Charles  IX 
qui  agonisait: 


Figure  alchimique 

tirée  du  grimoire 

DE  Pierre  Grandry. 


(1)  Le  Laboureur,  Addition  ci  de  Casîelnau,  t.  II,  p.  408, 
Pierre  Bayle,  t.  II,  p.  981  aux  remarques  A  et  E.  Voir  ausbi 
]\]ÉZERAY,  Abrégé  chronologique,  t.  V,  p.  180. 


204  CATHERINE   DE    MEDICIS 

«  Le  Roy,  dit  ce  document,  par  l'indisposi- 
tion de  sa  personne  et  longueur  de  maladie,  est 
réduit  en  telle  maigreur  et  foiblesse  qu'il  n'a 
plus  que  la  peau  et  les  os,  et  les  jambes  et 
cuisses  si  amoindries  et  atténuées  qu'il  ne  se 
peust  soustenir;  mercredy  dernier  se  trouva  tant 
failly  de  haleine  et  paroles  à  l'occasion  du  flux 
de  sang  par  la  bouche,  qu'on  en  attendoit  plus  la 
mort  que  la  vie,  mais  depuis  sa  saignée  s'est 
mieux  trouvé.  Vray  est  que  hier  la  nuit  il  fut 
plus  esmu  que  de  coustume  et  n'entroit-on  point 
dans  sa  chambre  ;  mais,  le  soleil  se  haussant;, 
la  Royne  y  vint  et 'y  entrèrent  assez  de  gens, 
mesmement  les  prestres  qui  y  firent  le  service 
où  se  trouva  la  Royne  sa  mère  (i).  » 

I^es  débats  marchèrent  promptement,  Cosme 
Ruggieri  subit  également  la  torture  ;  et  bien 
qu'il  fût  le  principal  inculpé  dans  la  partie  sor- 
cellerie du  procès,  il  fut  assez  adroit  pour  s'en 
tirer  relativement  avec  avantage.  Pendant  que 
La  Môle  et  Coconas  étaient  condamnés  à  la  peine 
capitale,  pendant  que  l'alchimiste  Grandry  voyait 
pendre  son  secrétaire  et  que  lui-même  peu  de 
jours    après    était    arrêté    avec    d'autres    gen- 

(1)  Record  office  :  Stade  papers  France,  anonyme   et  sans 
date. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  205 

tilshommes  (i),  Cosme  Ruggieri  était  simple- 
ment envoyé  aux  galères. 

Le  3o  avril  i574,  la  chambre  des  Tournelles 
clôturait  cette  singulière  affaire  en  rendant  l'ar- 
rêt suivant,  publié  ici  pour  la  première  fois  : 

«  Veu  par  la  Cour,  les  chambres  et  Tournelle 
assemblées  le  procès  criminel  et  extraordinaire 
faict  pour  raison  de  la  conspiration  et  conj  uracion 
faicte  contre  Pestât  du  Roy  en  son  Royaume,  a  la 
requeste  du  procureur  général  du  Roy,  allencon- 
tre  de  Joseph  de  Bonnifaice,  sieur  de  la  Molle, 
prisonnier  es  prisons  de  la  conciergerie  du  pallais 
a  Paris;  conclusions  dudit  procureur  général,  où, 
et  interrogé  par  ladicte  cour  plusieurs  jours, 
iceiluy  de  la  Molle,  sur  les  cas,  crimes  etdélicts 
a  lui  imposez  et  tout  considéré:  il  sera  dit,  que 
la  cour  a  déclaré  et  déclare  ledit  Bonnifaice, 
attainct  et  convaincu  de  crime  de  lèze-Majesté; 
et  pour  la  réparation  dicellela  condemnéa  estre 
décapité  sur  ung  eschaffault,  qui  sera  dressé 
en  la  place  de  grève,  son  corps  mis  en  quatre 
quartiers,  qui  seront  attachez  à  quatre  pottances, 
qui  seront  mises  hors  les  quatre  principalles  por- 
tes de  ceste  ville.  Et  sa  teste,  mise  sur  ung  pot- 

(1)  Alamanni,  dépêche  au  prince  héritier  de  Toscane, 
25  avril  157i  ;  source  précitée. 

12 


203  CATHERINE    DE    MEDICIS 

teau  qui  sera  planté  en  ladicte  place  de  grève; 
et  déclaré  tous  et  chacuns  les  biens  dudict  de  la 
Molle  enquis  et  confisquez  au  Roy.  Et  néanmoins, 
auparavant  ladicte  exécution,  ladicte  Cour  a  or- 
donné que  ledit  Bonniface,  sera  mis  en  torture 
et  question,  pour  savoir  par  sa  bouche,  ceux  qui 
sont  participans  de  ladicte  conspiration  et  con- 
juration. 

«  Mesme  arrest  a  esté  donné  contre  Amieral 
de  Coconnas. 

«  Iceux  arrèstz,  ont  esté  prononcez  et  exécut- 
téz  le  XA^.Y^  jour  d'Avril  1674  (1).  » 

Cet  arrêt  fut  exécuté  à  la  lettre.  En  montant 
à  Téchafaud,  Coconas  prononça  la  conclusion 
que  Ton  pouvait  tirer  de  cette  affaire  :  «  Messieurs, 
dit-il  aux  courtisans  témoins  de  l'exécution,  vous 
voyez  que  les  petits  sont  pris  et  que  les  grands 
demeurent,  eux  qui  ont  fait  la  faute  (2).  » 

La  nuit  venue.  Madame  de  Nevers  et  sa  com- 
pagne la  reine  Margot,  vinrent  en  place  de  Grève 
avec  leurs  serviteurs,  et  enlevèrent  les  têtes  des 
deux  suppliciés,  fichées  sur  deux  poteaux.  Puis, 

(1)  Arrest  donné  contre  La  Molle  et  Coconnas,  criminelz  de 
lèze  Maiesté,  le  XXX^  d'avril  1574.  Archives  nationales  : 
Registre  des  Arrelz  donnez  contre  aulciins  Princes,  etc.  (U.  785. 
R,  fol.  118,  119  et  120).  Document  inédit. 

(2)  U  Esprit  de  la  Ligue  :  livre  quatrième,  t.  II,  p.  91. 


CATHERINE   DE   MÉDICIS  207 

dans  leurs  carrosses,  elles  firent  transporter  ces 
restes  chez  elles,  pour  donner  à  leurs  amants 
une  sépulture  digne  des  heures  agréables  qu'elles 
avaient  pu  vivre  au  contact  de  ces  lèvres  blémies. 
Mais  avant  de  les  livrer  à  la  terre,  dans  la  cha- 
pelle Saint-Martin  à  Montmartre  (i),  elles  voulu- 
rent picturalement  en  perpétuer  le  souvenir  tra- 
gique. En  un  tableau  étrangement  impression- 
nant, récemment  signalé  par  un  chercheur  dans 
une  collection  particulière  d'Auvergne,  les  traits 
fins  et  sévères  de  La  Môle  aux  cheveux  noirs  pla- 
qués sur  les  tempes,  et  la  carnation  splendide- 
ment blonde  de  Coconas,  furent  fixés  par  un 
artiste  anonyme.  Posées  sur  un  plat  d'argent  à 
godrons,  la  tête  de  La  Môle  à  droite  et  celle  de 
Coconas  à  gauche,  éternellement  se  regardent 
dans  la  mort  (2). 


Cette  double  exécution  sembla  verser  un  peu 
de  calme  dans  Tâme  de  Charles  IX.  A  la  cour, 
les  partisans  du  roi  et  de  la  reine-mère  consi- 

(i)  Le  Divorce  satyrique,  ou  les  amours  de  la  reyne  Margue- 
rite, pp.  197  et  198. 

(2)  Intermédiaire  des  chercheurs  et  curieux,  10  décem- 
bre 1908,  pp.  878  et  879,  article  signé  :  Cz. 


208  CATHERINE    DE    MEDICIS 

dérèrent  que  le  sortilège  étant  ainsi  détruit, 
tout  danger  mortel  était  désormais  éloigné  de 
la  personne  royale.  Le  chroniqueur  anonyme 
déjà  cité  nous  donne  quelques  détails,  dignes 
d'attention,  sur  Tépilogue  de  ce  drame  : 

«  Depuis  qu'il  a  entendu  l'exécution  de  Coco- 
nas,  dit  cet  observateur,  le  Roy  a  meilleur  vi- 
sage que  devant,  disant  qu'il  esperoit  tant  vivre 
qu'il  verroit  la  fin  de  ces  conspirateurs  contre 
lesquels  il  se  montra  fort  ennemy  et  demandant 
fort  la  vengeance.  M*"  le  duc  d'Alençon,  entendant 
Testât  du  procès  de  la  Môle  et  du  conte  de  Co- 
conas,  supplia  le  Roy  de  leur  pardonner,  ou  à  tous 
moyens  leur  remettre  la  mort,  publique  et  igno- 
minieuse ;  il  en  a  esté  refusé,  puis  se  retira  à  la 
Reine  sa  mère  et  à  genoux  la  supplia,  puisqu'il  a 
receu  tant  d'honneur  que  d'estre  son  filz,  qu'elle 
luy  fasse  ceste  faveur  et  prière  envers  le  Roy  que 
ses  gens  ne  meurent  pas  par  supplice  publique  et 
que,  s'il  est  possible,  elle  obtienne  du  Roy  leur 
rémission.  En  parlant,  cette  dame  obtint  du  Roy 
le  supplice  secret,  comme  aucuns  disent,  et  que 
Ton  escriproit  au  parlement  pour  surseoir  l'exé- 
cution ;  mais  le  porteur  des  lettres  arrivant  à 
Paris  trouva  la  porte  Saint-Antoine  fermée, 
et  cependant  l'exécution  du  supplice  fut  telle- 


CATHERINE    DE    MEDICIS  209 

ment  avancée  qu'en  un  moment  ils  furent  tous 
deux  exécutés,  ce  que  l'on  dict  avoir  esté  faict 
par   l'avertissement   d'un    parfumeur   milanois 
nommé  René  qui  vint  raconter  le  cas  au  premier 
Président,  comme  il  estoit  passé  en  court,  di- 
sant davantage  que  la  Reine-mère  avoit  obtenu 
leur  rémission,  qui  fut  cause  de  les  faires  sortir 
plus  tost  de  la  Conciergerie  et  de  faire  cheminer 
hastivemeut  la  charette  et  incontinent  qu'arri- 
vèrent en  Grève  de  les  faire  exécuter  sans  faire 
les    proclamations    accoustumées.    La    mesme 
après-disner,  furent  constitués  prisonniers  deux 
astrologiens,  faisant  profession  de  la  judiciaire, 
i'ung  Italien   nommé  messire  Novio,   pension- 
naire   de  la   Reine-mère,   et   Paultre   François 
nommé  La  Rrosse,  demeurant  ès-faubourg  Saint- 
Germain- des-Prés,  et  ont  esté  confrontés  à  ung 
Italien  nommé  Cosme,  natif  de  Florence,  aussy 
pensionnaire  de  la  Reine-mère,  auquel  a  esté  rasé 
tout  le  poil.  Le  conte  Charles  de  Mansfeld,  qui 
naguères  avoit  espousé  la  fille  aisnée  du  mares- 
chal  de  Brissac,  s'est  trouvé  coupable  de  cette 
entreprise  et  s'est  retiré  doucement  au  Luxem- 
bourg et  a  esté  poursuivi  jusqu'en  Lorraine.  De- 
puis que  M^'  le  Duc  entendit  l'exécution  de  La 
Mole,   il  en  prist  tel  deuil  qu'il  en    est  tombé 

12. 


210  CATHERINE    DE    MEDICIS 

malade,  gardant  le  lit  et  la  chambre  où  peu  de 
gens  ont  entré,  ne  cessant  de  soupirer  et  de  pleu- 
rer, regrettant  sa  condition  et  sa  fortune  (i).  » 

Messire  Novio  et  François  Labrosse,  ces  deux 
confrères  de  Cosme  Ruggieri  en  astrologie,  ne 
restèrent  pas  longtemps  sous  les  verrous  ;  le 
24  Toam,  Alamanni  nous  annonce  leur  libération 
en  ces  termes  : 

((  Les  astrologues,  qui  avaient  été  tous  faits 
prisonniers^  ont  été  relâchés,  excepté  Cosme 
qui  a  été  condamné  pour  neuf  ans  aux  galères, 
à  cause  de  certaines  figures  faites  pour  La  Môle 
comme  talismans  d'amour.  Mais  comme  il  a 
été  trouvé  innocent  de  ce  dont  il  était  accusé 
contre  le  service  du  Roi,  je  crois  qu'il  n^ira  pas 
étant  passablement  soutenu  par  ses  amis  (2).  » 

Un  autre  document  inédit  nous  apprend 
qu'environ  trois  semaines  après  l'exécution  de 
La  Môle  et  de  Coconas,  le  procureur  royal  or- 
donna une  nouvelle  série  d'arrestations  dans 
laquelle  nous  trouvons  l'alchimiste  Grandry  et 
plusieurs  autres  gentilshommes  calvinistes  : 

(1)  Record  Office.  Stade  papers,  France.  Note  anonyme  de 
répoque  reproduite  dans  le  Seizième  Siècle  et  les  Valois, 
pp.  389  et  390,  par  La  Perrière. 

(2)  Alamanni,  dépèche  adressée  au  prince  héritier  de  Tos- 
cane, 2i  mai  1574  (source  précitée). 


CATHERINE    DE    MEDICIS  211 


«  Veu  par  la  Court,  la  grand  chambre  et 
Tournelle  assemblés,  le  procès  criminel  faict  à  la 
requeste  du  procureur  général  du  Roy  pour  rai- 
son de  la  conspiracion  faicLe  contre  l'Estat  du 
Roy  et  son  royaulme,  conclusions  dudict  Procu- 
reur général,  et  tout  considéré,  ladicte  Court  a 
ordonné  que  les  seigneurs  de  Thore,  Derniers, 
viconte  de  Thurenne,  le  seigneur  de  Grandry  dict 
Grandchamp  (i),  les  appelez  Lanocle  l'aisné, 
Lanocle  le  jeune,  Montagu  le  jeune,  lecappitaine 
Luynes,  Tourtaypère,  le  seigneur  de  La  Vergue, 
le  cappitaine  Beauchamps,  Ponttrain  cy-devant 
advocat  et  à  présent  de  robe  courte,  Bournon- 
ville  qui  est  à  présent  au  service  de  Thore,  ung 
nommé  Lainet  Pierre  par  cy-devant  Trésorier  de 
la  cause,  le  seigneur  de  Châteaubrandeau,  son 
frère  bastard,  un  nommé  Mathare  solliciteur  de 
la  dame  de  Chaulsné,  les  nommez  Ferrailles, 
Duvau,    demourant   à    Meillant    en    Auvergne, 

(1)  Pierre  de  Grandry  dit  Grandchamp,  subit  deux  interro- 
gatoires :  le^premier  le  14  avril  1574,  l'autre  le  27  du  même 
mois.  Au  cours  du  premier  interrogatoire,  un  sieur  de  Bri- 
non  qui  ne  figure  pas  sur  la  liste  dressée  dans  Tarrêt  royal 
sus-cité,  fut  confronté  avec  Pierre  de  Grandry.  Le  détail  de 
ces  interrogatoires  et  confrontation,  est  contenu  dans  les 
Archives  curieuses,  1"^'  série,  t.  VIII,  pp.  168,  170,  198  ;  et 
le  procès-verbal  de  la  question  appliquée  à  La  Môle  le 
30  avril,  p.  208. 


212  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Horne,  Denville  qui  est  mareschal  de  la  compai- 
gnye  du  seingneur  de  Meru,  et  ung  nommé 
Hercules  seront  prins  au  corps  et  amenez  pri- 
sonniers es  prisons  de  la  Conciergerie  du  Palais 
à  Paris,  pour  estre  adroit,  et  s'ilz  ne  peuvent 
estre  pruis,  seront  ajournez  à  troys  briefs  jours 
à  son  de  trompe  ou  cry  public  en  ladicte  Court, 
leurs  biens  saisiz  et  dimissoires  y  establiz  jus- 
ques  à  ce  qu'ilz  ayent  obéy. 

«  Et  sera  Fexécution  de  ce  présent  arrest,  faicte 
par  vertu  de  Fextraict  d'icelluy  par  le  premier 
des  huissiers  de  ladicte  Court  ou  sergent  Royal, 
sur  ce  requis.  Faict  en  Parlement  ce  vingt-et- 
unième  jour  de  may,  l'an  1574. 
«  Collacion  est  faicte. 

«  MOELORZ  (1).    )) 


On  a  vu  que  Cosme  Ruggieri  avait  été  con- 
damné aux  galères.  Mais  si  l'on  en  croit  de  Thou 
et  Mézeray,  la  reine-mère  ne  pouvait  ainsi  se 
passer  de  son  astrologue,  et  elle  s'empressa  de 

(1)  Bihliolhèque  nationale.  Manuscrit,  fonds  français,  collec- 
tion Dupuy,  t.  590,  fol.  23  et  recto.  Extrait  des  registres  du 
parlement,  copie  authentique  sur  parchemin.  Document  mé- 
dit. 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


213 


le  faire  revenir  à  la  cour  ainsi  que  Tavait  prévu 
Aiamanni  :  «  La 
reyne-mère,  dit 
Mézeray,  fort  cré- 
dule en  matière 
de  devins  et  de 
sorciers,  Ten  tira 
quelque  te  m  s 
après  pour  s'en 
servir  (i).  » 

D'après  Jean  le 
Laboureur,  Ca- 
therine aurait  au 
contraire  voulu 
voir  pendre  Gos- 
me  ;  voici  en  quels 
ternies  s'exprime 
à  ce  sujet  le  pané- 
gyriste de  la  reine 
de  Pologne:  «  S'il 
est  vrai  que  Cos- 
me,  dit-il,  débita 

des  charmes,  il  en  garda  un  fort  bon  contre  la 
corde,  et  qui  luy  réussit  de  Florentin  à  Floren- 


Talisman  astrologique 
dressé  par  cosme  ruggieri. 


(1)  MÉZERAY,    Abrégé    chronologique,  t.    V,  p.  180,   année 
1574. 


2U  CATHERINE    DE    MEDICIS 

tine.  Catherine  de  Médicis  le  vouloit  pendre  et  il 
ne  voulut  pas.  Et  toute  la  satisfaction  qu'elle 
eut,  fut  de  le  voir  à  la  chaisne  où  il  n'eut  autre 
peine  que  du  voyage  de  Marseille.  Il  y  fit  des 
amis  qui  obligèrent  le  capitaine  de  sa  galère  à 
le  loger  chez  luy,  et  jamais  sa  maison  ne  fut  si 
fréquentée  pour  sa  considération  que  pour  celle 
de  cet  illustre  forçat,  qui  en  fit  une  académie  de 
mathématiques  et  d'astrologie  judiciaire  et  qui 
avait  un  garde  qui  sembloit  plus  luy  estre  donné 
par  honneur  que  pour  l'observer  et  pour  empê- 
cher qu'il  n'échappast  (i).  » 

Gosme  Ruggieri  revint  donc  à  la  cour  auprès 
de  Catherine,  où  il  continua  ses  fonctions  de 
conseiller  occulte.  Mais  son  rôle  maintenant  est 
très  effacé.  C'est  à  peine  si,  en  i58o,  Sarucini, 
ambassadeur  toscan  à  la  cour  de  France,  nous 
signale  ♦au  pasfe»age  l'attachement  que  l'envoû- 
teur  continue  de  pratiquer  à  l'adresse  de  l'ancien 
duc  d'Alençon,  devenu  duc  d'Anjou  en  iSyô  : 

«  Un  certain  Gosme  Ruggieri,  écrit  cet  am- 
bassadeur, qui  en  d'autres  temps  a  essuyé  en  ce 
pays  beaucoup  de  bourrasques  à  cause  de  l'atta- 
chement absolu  qu'il  a  toujours  porté  à  Mon- 

(1)  Jean  Le  Laboureur,  Addition  à  Casîelneau,  t.  II,  p.  408, 
et  Pierre  Bayle,  t.  II,  p.  982.  Édition  de  1697. 


CATHERINE   DE   MEDICIS  215 

sieur,  se  trouve  aujourd'hui  passablement  en 
faveur  près  de  Son  Altesse,  toutefois  après  M.  de 
Mende  (i).  »  Et  en  conclusion  Sarucini  ajoute 
que  Gosrne  est  un  «  homme  perspicace,  très 
mêlé  aux  affaires  intimes  du  prince  (2)  ». 

Pendant  tout  le  règne  de  Henri  III,  on  le  voit 
peu  paraître.  Ce  Roi,  qui  était  cependant,  comme 
sa  mère,  très  avide  de  merveilleux,  semble  ne 
pas  avoir  accordé  sa  protection  à  l'astrologue 
florentin  ;  aucun  document,  à  notre  connaissance 
du  moins,  n'en  fait  authentiquement  mention. 
Mais  avec  Henri  IV  il  y  eut  encore  des  heures 
de  confiance  royale  pour  le  favori  de  Catherine. 
Il  est  vrai  qu'il  connut  aussi  les  ennuis  renouve- 
lés d'une  accusation  de  tentative  d'envoûtement 
sur  la  personne  de  Henri  IV,  au  château  de 
Nantes. 

C'est  en  1697  qu'un  certain  familier  rapporta 
au  roi  que  Cosme  Ruggieri,  dans  le  cabinet  par- 
ticulier qui  lui  servait  à  la  fois  et  de  laboratoire 
et  d'atelier  de  peinture,  s'enfermait  tous  les  soirs 
à  des  heures  bien  déterminées,  pour  piquer  à 

(1  et  2)  Regnaud  de  Beaune,  alors  évèque  de  Mende,  et 
plus  tard  évêque  de  Bourges.  [Dépêche  de  Sarucini  au  grand 
duc  de  Toscane;  Paris,  3  janvier  1580.  Négociations  diploma- 
tiques entre  la  France  et  la  Toscane,  t.  IV,  pp.  279  et  280.  Tra- 
duction inédite  de  M.  Léon  Marlet.) 


21G  CATHERINE    DE   MEDICIS 

coups  d'aiguille,  une  image  de  cire  fabriquée  à 
l'effigie  de  Henri  IV.  L'envoûtementde  Charles  IX 
était  encore  dans  toutes  les  mémoires  de  l'en- 
tourage royal,  et  il  n'en  fallut  pas  davantage 
pour  affoler  à  nouveau  les  courtisans.  Sur  Tordre 
de  Henri  IV,  Cosme  Ruggieri  fut  arrêté,  pen- 
dant que  le  président  de  Tliou  et  Charles  Tur- 
cant  étaient  chargés  d'instruire  cette  affaire  de 
sorcellerie  (i). 

Interrogé,  Cosme  se  défendit  avec  habileté. 
Il  rappela  les  événements  de  1674  et  déclara  aux 
juges  que  les  soupçons  de  magie,  dont  plusieurs 
personnages  l'avaient  chargé,  reposaient  uni- 
quement sur  la  science  astrologique  avec  la- 
quelle il  avait  certes  prédit  beaucoup  d'événe- 
ments tous  survenus  selon  ses  calculs,  mais  que 
l'astrologie  ne  constituait  nullement  une  science 
diabolique.  Il  ajouta  que,  d'ailleurs,  depuis  qu'il 
était  abbé  de  Saint-Mahé,  il  ne  s'occupait  plus 
d'astrologie,  ni  de  sciences  magiques.  Enfin,  il 
insista  tout  particulièrement  sur  ce  qu'après  la 
Saint-Barthélémy,  la  reine-mère  lui  ayant  de- 
mandé l'horoscope    du  prince  de  Condé  et  du 

(!)  DeTuov,  Mémoires.  Livre  VI,  pp.  671  et  672.  Voir  aussi 
Panthéon  littéraire,  Paris,  Desrez,  1836,  pour  l'édilion  de  ces 
mémoires,  et  Pierre  Bayle,  t.  II,  p.  983. 


CATHERINE    DE    MEOICIS  217 

roi  de  Navarre,  il  avait  sauvé  ces  deux  princes 
en  déclarant  à  Catherine  que,  suivant  ses  pro- 
nostics, aucun  trouble  n'était  à  redouter  de  ces 
deux  personnages,  assurant  que  cette  réponse 
seule  les  préserva  des  dangers  de  mort  qui  les 
menaçaient  sûrement  à  cette  époque.  Il  chargea 
même,  dit-il,  François  de  la  Noue  d'assurer  se- 
crètement le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de 
Gondé  de  son  affection,  et  de  leur  transmettre 
cette  réponse  faite  pour  eux  à  la  reine-mère. 
Cosme  Ruggieri  conclut  de  ces  déclarations 
«  qu'un  si  grand  service  rendu  jadis  à  Sa  Majesté 
démontrait  suffisamment  la  fausseté  des  accusa- 
tions portées  contre  lui  ». 

De  Thou  présenta  cette  défense  à  Henri  IV 
qui  répondit  «  qu'en  effet,  il  se  souvenait  par- 
faitement de  tous  ces  détails,  et  qu'au  surplus 
il  se  confiait  à  la  Providence  et  ne  craignait  rien 
de  ces  sortes  de  maléfices  ou  charmes,  bons 
tout  au  plus  à  effrayer  des  femmelettes  ou 
enfants  ».  Henri  IV  ordonna  aussitôt  de  cesser 
le  procès  et  de  mettre  immédiatement  Cosme 
Ruggieri  en  liberté.  De  Thou  ajoute  que  cer- 
taines dames  nobles  avaient  déjà  sollicité  la 
grâce  de  l'astrologue  auprès  du  roi,  et  que  ces 
sollicitations  reposaient  sur  de  grandes  obliga- 

13 


218  CATHIÎRINE    DE    MEDICIS 

lions  amoureuses  qu'elles  avaient  à  ce  Florentin. 
Peu  de  temps  après  cette  affaire,  Cosme  Rug- 
gieri  obtint  une  pension  d'historiographe.  Mais 
à  partir  de  i6o3  il  se  retira  en  son  abbaye  de 
Saint-Mahé  où  il  rédigea  annuellement  des 
almanachs  et  calendriers  sous  les  noms  de 
Jean  Querberus,  Varieras  et  du  Pèlerin  pleureiix 
de  Savoie,  Ces  almanachs-,  qui  étaient  publiés  à 
Paris,  chez  Claude  de  Montr'a  il  (i),  sontaujour- 


(1)  Je  dois  à  Tamicale  obligeance  de  Camille  Piton  la 
découverte  à  la  Bibliolhcque  nationale  de  deux  exemplaires 
des  almanachs  de  Cosme  Ruggieri,  curieux  documents  cjui 
n'ont  jusqu'alors  jamais  été  signalés  aux  chercheurs  ama- 
teurs de  sciences  occultes,  et  dont  voici  les  titres  et  cotes 
de  classement  : 

1°  «  Discours  et  pronostication  très  ample,  sur  la  grande 
conjonction  qui  s'est  faicte  des  deux  plus  haultes  planettes, 
le  vingt-quatrième  de  décembre  dernier  1603,  et  des  éclip- 
ses de  lan  passé  dont  évènemens  viennent  en  cette  année 
1604,  an  bissextil.  Avec  très-amples  prédictions  sur  les  mois 
pour  toute  ceste  année,  faictes  en  latin  par  le  très-excellent 
mathématicien  Jean  Ouerberus,  alleman-médecin  et  mathé- 
maticien de  Tempereur,  et  réduict  aux  méridians  de  France, 
avec  l'almanach  et  calendrier.  A  Paris,  pour  Claude  de  Mon- 
tf'œil,  marchand-libraire  tenant  sa  boutique  à  la  Cour  du 
Palais,  au  nom  de  Jésus.  1604.  Avec  privilège  du  roy.  » 
(Bibliothèque  nationale.  Réserve-p.  V  =  89  ;  brochure  in-8  de 
32  pages.)  » 

2°  «  Almanach  et  pronostication  pour  l'an  de  grâce  bis- 
sextil Mil  six  cent  quatre,  composé  par  Jean  Querberu&, 
Allemand-médecin  et  mathématicien  de  l'empereur.  A  Paris, 
pour  Claude  de  Montr'œil,  marchand-libraire  tenant  sa  bou- 


CATHERINE    DE    MEDICIS  219 

d'hui  introuvables.  Ils  contiennent  des  prédic- 
tions bizarres,  des  observations  astrologiques 
et  astronomiques,  et  notamment  des  vers  et 
maximes  diverses  tirés  d'auteurs  latins. 

Cependant  bien  qu'éloigné  de  la  cour  de 
Henri  IV,  Gosme  Ruggieri  ne  cessait  d'être  en 
relations  suivies  avec  le  roi.  En  1608,  à  Fon- 
tainebleau, venait  au  monde  le  troisième  fils 
de  Henri  IV  et  de  Marie  de  Médicis^  Jean- 
Baptiste-Gaston  d'Orléans,  duc  d'Anjou;  et 
Henri  IV  demandait  à  Gosme  Ruggieri  le  thème 
de  nativité  de  ce  nouvel  héritier,  ainsi  qu'une 
consultation  personnelle  sur  la  situation  du 
royaume  au  moment  de  cette  naissance.  A  cette 
demande,  Gosme  répondit  par  l'horoscope  sui- 
vant, publié  ici  pour  la  première  fois  : 

«  Sire 

«  j'ai  différé jusques à  présent  à  vous  envoyer 
la  nativité  de  Monseigneur  vostre  fils  le  duc 
d'Anjou,  parce  que  le  meslange  des  constella- 
tions et  aspects  y  est  telle  que  j'y  voy  la  nécessité 
de  plus  d'une  foys  supputer,   estudier,  consi- 

tique  en  la  Cour  du  Palais  au  nom  de  Jésus.  16C4.  Avec  pri- 
vilège du  roy.  »  {Bibliothèque  nalionale,  Réserve-p.  V  =  90  ; 
brochure    n-8  de  16  pages.) 


220  CATHERINE    DE   MEPICIS     . 

dérer  et  digérer  meurement  le  tout  et  en  consi- 
dérations des  astres  et  configurations  cy-bas 
remarquées  (i),  j'en  fais  le  jugement  qui  s'en- 
suit : 

«  Qu'il  vivera  fort  longtemps  et  par  le  moins 
jusques  à  soixante  et  quinze  ans  (2),  sauves  les 
calamités  universelles  desquelles  aussi  à  sa 
naissance  le  contreguardera  biaucoup.  Il  est 
vray  que  jusques  à  six  ans,  à  cause  qu'il  aura 
le  sang  autrement  plus  chaud  qu'à  son  petit 
eâge  n'est  ordinaire,  il  ne  sera  que  très  bien  faict 
que  de  le  faire  encor  vivre  en  n'échauffant  le  sang. 
Au  reste,  selon  les  astres,  il  sera  d'une  moyenne 
et  fort  belle  stature  de  corps,  assez  biau,  et  de 
bonne  grâce,  un  peu  brusque  en  visage,  mais 
néant-moyens  de  belle  majesté  outre  qu'il  sera 
naturellement  doué  de  belles  et  grasieuses  ma- 
nières, aura  les  yeux  grands  et  noirs,  les  che- 
veux antièrement  frizës;  la  complession  sera 
normale  et  blanche,  et  sera  l'eâge  subject  aux 
gouttes,  mais  en  aultres  choses  très  sain  et  de 
robuste  complession. 


(1)  Voir  page  113  du  présent  volume  la  figure  horoscopique 
accompagnant  ce  texte, 

(2)  Gaston  d'Orléans   mourut  à  Blois  en   1660.  Il  n'était 
donc  âgé  que  de  cinquante-deux  ans. 


CATIIEIUNK    Dli    MKDICIS  221 

«  Sera  de  naturel  fort  soigneux,  ingénieux, 
versé  en  beaucoup  de  belles  choses,  amateur 
des  lettres  et  sciences,  de  naturel  doux,  bien 
gai  comme  ay  dit,  et  aura  la  joye  belle  et  un 
peu  brusque,  sera  gran  rémunérateur  des  servi- 
teurs, très  grand  capitaine  et  d'exact  jugement 
et  conseil  en  la  guerre  et  aimé  universellement 
de  touts;  fort  libéral  et  habile  pour  conserver 
ses  serviteurs  et  amis.  Aymera  bien  les  armes 
mais  avec  consentement  de  Testât  auquel  il  sera 
fort  affectionné  et  sera  fort  aisé  toujours  et  com- 
mode en  faict  de  richesses,  lesquelles  outre 
celles  qui  viendront  par  nature,  acquerra  avec 
les  armes  et  par  mariagge. 

«  Les  concours  des  astres  lui  promettent  quel- 
ques dominations  souveraines  et  non  loing  de 
la  France. 

«  Sera  marié  à  une  princesse  veuve,  ou  atten- 
dra longtemps  avant  que  de  se  marier,  et  ainsi 
plein  de  raisonnable  eage  épousera  une  folle. 
Au  reste,  sera  extrêmement  paillard  et  adonné 
au  changement  ou  nature  d'amour,  et  y  sera 
fort  heureux  estant  beau,  grand,  mâsle  et  libé- 
ral en  ses  plaisirs  aussi. 

«  Aura  grand  quantité  d'enfants  masles  et  fe- 
melles. L'un  desquels  sera  si  très  heureux  et  aux 


222  CATHERINE    DE    MEDICIS 

armes  et  à  tout,  que  à  grand  peine  y  en  aura- 
t-il  autre  pareil  de  son  vivant  (i). 

«  Sera  très  riche  d'amis  et  serviteurs.  Fera 
quelques  voyages  conduisant  armées  or  de  TEs- 
tat,  mais  non  pas  loin  g.  Voilà  pour  son  regard. 
(Jaant  à  ce  qu'il  promet  touchant  Vostre  Majesté 
et  le  règne,  c'est  que  vous  serez  biaucoup  recher- 
ché et  des  voysins  et  de  plus  éloignés  d'amytiés, 
de  considérations  et  dignes,  mais  par  ce  que 
nous  avons  pu  supputer contrère  tant  à  sa  niiti- 
vité  que  en  nostre  révolution  de  non  contents 
que  de  celui  qui  vient,  Sire,  outre  ce  que  je  vous 
ay  dit  en  nostre  révolution  que  les  Francks  se- 
ront plus  cours  avec  les  Anglais  et  Flamands 
qu'avec  les  Espagnols,  parce  que  les  ecclésias- 
tiques sont  aussi  compris  ces  soubs  constella- 
tions. 

«  Vostre  Majesté  doist  avec  sa  prudence  ac- 
coustumée  et  soin,  particulier,  considérer  et 
pondérer  ce  que  nous  sera  proposé  de  leur  part, 
car  il  y  aura  beaucoup  de  finesse  et  de  soubpti- 
lité  en  leur  proposition  une  partye  desquelles 
seront    originères    d'estrangers   ou    provenant 

(1)  Gaston  d'Orléans  a  laissé  quatre  filles  et  un  gar- 
çon mort  à  Tâge  de  deux  ans.  Ainsi  la  prédiction  de  Cosme 
Ruggieri  n'eut  aucune  valeur  de  réalisation. 


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224:  CATIIEIIÏNE    DE    MEHICIS 

d'humeurs  espagnolles  dont  ce  royaUlme  n'est 
encor  net. 

«  Au  mesmement  aussi  ceste  nativité  est  Theur 
de  vos  plaisirs  mais  plus  avec  jeunesse  puérile 
qu'avec  aultres, car  comme  vous  ayjedit  plusieurs 
foys,  il  y  a  quelque  menée  de  femmes  entière- 
ment contraire  au  bien  et  repos  de  TEstat.  Je  croy 
aussi  par  ceste  nativité  que  bien  tost  nous 
aurons  quelque  nouvelle  amour  qui  vous  fera 
oublier  ou  cesser  toute  ancienne  affection  come 
nous  désirerions  en  la  révolution  de  cèst  an.  C'est 
l'endroit  où  je  prye  très  humblement  le  Créateur, 
Sire,  de  donner  heureuse  fin  à  vos  magnanimes 
désirs. 

«  De  Saint-Mahé  le  huitième  d'Octobre  1608, 
«  Très  humble  et  très  dévotieux  vallet. 

«    COSME  DE  ROGIER  (l).  » 

En  i6i5  l'ancien  astrologue  de  [Catherine  re- 
parut à  la  cour  où  il  devait  finir  ses  jours,  a  La 
vieillesse,  les  gouttes  et  la  gravelle,  dit  le  Mer- 
cure François,  l'ayant  réduit  à  deux  jours  près 
de  la  mort,  ses  amis  lui  conseillèrent  de  penser  à 

(1)  Bibliothèque  nationale  :  Horoscope  de  Gaston  d'Orléans 
par  CosME  RuGGiERi.  (Manuscrit  de  la  collection  Dupuy  : 
vol.  590,  fol.  280.)  {Document  inédit.) 


CATHERINE    DE    MEDICIS  225 

Dieu,  et  firent  venir  le  Curédela  paroisse  Saint- 
Médard  qu'il  ne  voulut  voir.  On  luy  mena  des 
capucins;  il  se  moqua  d'eux.  Et  comme  on  luy  eut 
représenté  de  se  mettre  en  bon  estât  pour  pou- 
voir obtenir  la  grâce  de  Dieu  et  craindre  le 
jugement  dernier  :  Fols  que  vous  estes,  leur 
dit-il,  alleZj  il  n  y  a  point  d'autres  diables  que 
les  ennemis  qui  nous  tourmentent  en  ce  monde, 
ny  d'autre  Dieu  que  les  Roy  s  et  Princes  qui  seuls 
nous  peuvent  advencer  et  faire  du  bien;  f  ai  vescu 
en  cette  créance,  et  en  cette  créance  Je  veux  mou- 
rir (i).  Les  capucins,  ajoute  le  père  Garasse, 
n'oublyèrent  ny  douceur  de  paroles,  ny  rigueur 
de  menaces  pour  le  remettre  en  bon  chemin  ;  mais 
ce  kit  en  vain,  car  dès  lors  il  alla  toujours  pro- 
férant de  plus  en  plus  de  très  horribles  blas- 
phèmes, comme  Lucilio  sur  le  bûcher,  jusques 
à  ce  qu'enfin  il  finit  sa  malheureuse  vie  comme 
Judas.  » 

Cette  profession  d'athéisme,  au  moment  su- 
prême, excita  l'indignation  du  peuple  et  surtout 
celle  du  clergé  qui  décida  que  la  sépulture  en 
terre  sainte  serait  refusée  au  corps  de  Ruggieri. 
Le  maréchal  d'Ancre  Concini,  dont  la  femme 

(1)  Mercure  François,  t.  IV,  p.  46,  et  la  Doctrine  curieuse  du 
P.  Garasse,  pp.  156  et  157. 

13. 


226  CATHERINE   DE   MEDICIS 

Léonora  Galigaï  avait  eu  des  rapports  de  sor- 
cellerie avec  Ruggieri,  intervint  auprès  de 
rÉvêque  de  Paris  pour  que  l'astrologue-envoû- 
lour  fût  inhumé  en  terre  consacrée.  Mais  celte 
démarche  fut  inutile;  l'Evêque  persista  dans  sa 
décision,  et  le  cadavre  de  Cosnie  fut  traîné  sur 
la  claie,  puis  jeté  à  la  voirie  (i). 

Parlant  de  la  science  occulte  de  ce  person- 
nage, le  Mercure  François  ne  manque  pas  de 
faire  allusion  au  célèbre  drame  d'envoûtement 
de  Charles  IX  :  «  Gosme  Ruggieri,  dit  le  ré- 
dacteur de  cette  publication,  promettoit  des 
images  pour  charmer  les  cœurs  d'amour  ou  de 
haine.  Les  unes  pour  rendre  les  femmes  amou- 
reuses de  ceux  qui  les  recherchoient,  et.  les 
autres  pour  faire  mourir  en  langueur  telles  per- 
sonnes que  Pon  voudroit  en  prononçant  leurs 
noms  et  en  invoquant  certains  démons.  Ce  mal- 
heureux roula  jusques  en  Tan  M.  DCIV  en  ce 
métier  infâme,  tout  Abbé  qu'il  estoit,  servant  aux 
passions  desréglées  de  tous  les  courtisans  des- 
bauchez  (2).  » 

(1)  Hayem,  Maréchal  d'Ancre,  Paris,  1910,  in-8,  p.  97,  cita- 
tion faite  d'après  les  Mémoires  de  Richelieu,  éd.  Michaud, 
t.  I,  p.  98. 

(2)  Mercure  François,  t.  IV,  p.  47.  Voir  aussi  le  continuateur 
de  de  Thou,  t.  VIII, p. 537, et  Pierre  Bayle,  t.  II, p.  987, note  E. 


!^^-t^^-^^'-7 


CATHERINE    DE    iMEDICIS  227 


La  mort  de  Cosme  Riiggieri  donna  naissance, 
environ  quinze  jours  après  cet  événement,  à 
l'édition  d'un  petit  livre  ayant  pour  titre  :  His- 
toire espouvantable  de  deux  magiciens  esiranglez 
par  le  Diable^  la  semaine  dernière.  Le  Mercure 
François  déjà  cité,  nous  explique  dans  les  termes 
suivants,  quels  sont  les  deux  magiciens  que  men- 
tionne le  titre  de  ce  curieux  ouvrage  anonyme  : 

«  Le  premier  de  ces  deux  Magiciens,  dit  cette 
feuille,  estoit  ce  renommé  affronteur  César,  qui 
a  tiré  de  l'argent  de  tous  les  curieux  de  son 
temps  pour  leur  faire  voir  des  Diables,  ou  pour 
leur  faire  trouver  des  thrésors,  et  puis  s'est 
moqué  d'eux.  On  le  faisoit  estrangler  par  son 
Diable,  et  toutefois  il  est  encores  vivant  prison- 
nier dans  la  Bastille,  Et  le  second  est  cet  Abbé 
de  Saint'Mahé.  » 

Ainsi  finit  le  grand  conseiller  occulte  de  Ca- 
therine deMédicis.  Plus  diplomate  que  magiste, 
plus  adroit  que  savant,  Cosme  Ruggieri,  en 
dehors  de  ses  almanachs,  n'a  laissé  aucun  ou- 
vrage d'observations  astrologiques  ou  d'études 
esotériques  (i). 

(1)  Parmi  les  pensionnaires  de  Catherine  de  Médicis, 
A.  Jal  a  signalé  dans  son  Dictionnaire  critique  de  biograp/iie 
et  d'histoire,  p.  1095,  un  peintre  italien  du  nom  de  Roger  de 


228  CATHERINE    DE    MEDICIS 


Ruggieri  ou  de  Rugery.  Dans  les  comptes  des  Bâtimenîs  de 
la  Reine  pour  l'année  1581,  on  trouve  ce  personnage  inscrit 
pour  une  somme  de  400  écus  dont  voici  le  détail  d'ordon- 
nancement royal  :  «  A  M^  Roger  de  Rugery,  painctre  ordi- 
naire de  la  Dame  Catherine  de  Médicis,  le  somme  de 
400  escuz,  sur  et  tant  moings  des  ouvraiges  faits  de  painc- 
tures  sur  thoille  que  aultrement,  sculture  et  tournemens  de 
festons  de  lyerre,  or,  clinquant  et  aulti'es,  que  pour  les 
façons  et  estoffes  de  deux  cheriots,  et  d'une  façon  de  nue, 
le  tout  faict  et  attourné  de  cette  sorte  et  manière  tant  de  la 
dicte  paincture  que  sculture  qu'il  a  promis  et  commencé 
faire  pour  la  dicte  Majesté  pour  l'aornement  dune  grande 
salle  de  forme  ovalle,  contenant  seize  thoises  de  longueur 
et  dix-huit  thoises  et  demie  de  large.  »  {Archives  nationales, 
K.  K.  124,  fol.  325.) 

Dans  les  comptes  de  la  Trésorerie  de  la  Reine,  pour  l'an- 
née 1585,  Roger  de  Ruggieri  est  encore  signalé  comme, 
peintre  de  Mlle  de  Gondy  :  «  Roger  de  Rogery,  painctre  de 
feu  Mademoiselle  de  Gondy,  1  livre,  2  sols  tournois.  Il  ne 
sera  icy  payé  d'autant  qu'il  est  assigné  ailleurs.  »  {Archives 
nationales,  K.  K.  115,  fol.  35.) 

Enfin  dans  la  liste  des  Pensionnaires  du  roi  Henri  III,  cet 
artiste  figure  en  qualité  de  gouverneur  des  jardins  royaux, 
comme  successeur  du  Primatice  décédé  en  1570  :  «  Roger 
de  Rugeri,  peinctre  de  Sadicte  Majesté  à  Fontainebleau, 
garde  et  gouverneur  du  grand  jardin  de  Fontainebleau,  en 
lieu  et  place  de  Primadicy  (Francesco  Primaticcio,  dit  le 
Primatice),  pour  sa  vieille  pension  :  IIIP  L  et  le  IP  L  d'aug- 
mentation, VP  L.  »  {Bibliothèque  nationale.  Manuscrit  de  la 
collection  Dupuy  n°  852,  année  1577.)  Ce  Roger  de  Ruggieri 
était-il  parent  de  l'astrologue-envoùteur  ?  Il  est  permis  de 
le  supposer  ;  mais  pas  plus  que  Jal,  en  dépit  de  mes  recher- 
ches dans  les  archives  françaises  et  italiennes,  je  n'ai  pu  en 
découvrir  la  certitude.  Cependant,  les  dates  des  ordonnan- 
cements précités  nous  autorisent  à  croire  que  ce  peintre 
était  certainement  venu  de  Florence  à  la  cour  de  France, 
sous  le  patronage  de  Cosme  Ruggieri-  Jal  a  découvert  que 


CATHERINE    DE   MEDICIS  229 


ce  Roger  de  Ruggieri  avait  une  fille,  laquelle  épousa,  le 
5  juin  de  l'année  1596,  Anlhoine  de  Tabouret,  jardinier  du 
grand  jardin  de  Fontainebleau.  C'est  de  ce  mariage  que 
naquit  Gabrielle  de  Tabouret  femme  du  célèbre  peintre 
Claude  de  Hoey  mort  à  Fontainebleau  en  1660.  Je  profite  de 
cette  citation  pour  remercier  très  chaleureusement  M.  Ma- 
rio Soria  de  Florence  et  le  docteur  Antonio  Riva  de  Milan, 
qui  m'ont  tous  deux  particulièrement  aidé  dans  mes  recher- 
ches en  Italie,  sur  Cosme  Ruggieri. 


CHAPITRE  VII 


l'oracle  de  la  tête  sanglante  et  la  mort 
de  charles  ix 


Après  l'exécution  de  La  Môle  et  de  Coconas,  si 
les  troubles  physiques  et  moraux  de  Charles  IX 
subirent  une  trêve,  elle  fut  de  bien  courte  durée. 
Une  rechute  avec  une  phase  nouvelle  se  mani- 
festèrent bientôt  dans  la  santé  royale  ;  et, 
comme  pour  la  première  atteinte,  les  médecins 
ne  purent  expliquer  les  effrayants  symptômes  de 
cette  maladie. 

La  reine-mère  fut  à  nouveau  tourmentée  par 
la  prévision  des  conséquences  graves  qui  pou- 
vaient suivre  la  mort  de  Charles  et  co  mpromettre 
son  autorité,  comme  elle  avait  été  un  instant 
compromise    à    la    mort  de  François    IL    Elle 


CATHERINE    DE    MEDICIS  231 

n'ignorait  pas  qu'elle  pouvait  tout  perdre  avec 
un  nouveau  règne  ;  et  c'est  vraiment  bien  peu 
connaître  Catherine  de  Médicis  que  de  l'accuser 
d'avoir  agi  contre  ses  propres  intérêts  en  pro- 
voquant par  le  poison  (i),  sur  la  personne  de  son 
fils,  la  maladie  qui  devait  emporter  celui-ci.  Au 
contraire,  dès  qu'elle  vit  Charles  IX  en  proie  à 
une  nouvelle  crise,  elle  multiplia  ses  attentions 
maternelles,  consulta  ses  astrologues  après  les 
médecins  ;  et  comme  l'état  du  malade  empirait 
de  jour  en  joïir,  l'un  de  ses  conseillers  nécro- 
mants  lui  proposa  de  pratiquer  en  dernier  espoir, 
la  plus  inouïe  des  opérations  divinatoires  :  la 
céphalomaniie  (2),  ou  la  divination  par  une  tête 

(1)  «  Légende  de  Dom  Claude  de  Guise,  abbé  de  Çluny,  conte- 
nant ses  faits  et  gestes  depuis  sa  nativité  jusqu'à  la  mort 
du  cardinal  de  Lorraine,  et  des  moyens  tenus  pour  faire 
mourir  le  roy  Charles  IX.  »  La  meilleure  édition  de  ce  rare 
ouvrage  est  celle  de  1581  (sans  indication  du  lieu  d'impres- 
sion), publiée  par  Gilbert  Regnault,  seigneur  de  Vaux,  qui 
en  a  écrit  l'épi tre  dédicatoire  et  fait  à  ce  li^re  de  nombreuses 
et  curieuses  additions.  (1  vol.  in-8.)  ^ 

(2)  Pierre  de  l'Ancre,  célèbre  démonographe  bordelais  du 
seizième  siècle,  nous  apprend  que  la  Céphalomanfie  se  pra- 
tiquait aussi  parfois  à  l'aide  'd'une  tète  d'animal,  notam- 
ment une  tète  d'âne  «  rostie,  dit  cet  auteur,  sur  des  char- 
bons ardens,  avec  quelques  paroles  prononcées  dessus.  Si 
les  maschoires  de  cette  teste  dasne  se  mouvoient  sur  la 
demande  du  magicien  qui  la  luy  adressoit,  on  en  tiroit  des 
inductions   plus   ou  moins  raisonnables.    Geste    divination 


232  CATHERINE    DE    MEUICIS 

humaine  récemment  tranchée  dans  des  condi- 
tions stipulées  par  les  rituels  de  haute  magie. 

C'est  Jean  Bodin,  le  savant  jurisconsulte  et 
démonographe  angevin,  mort  en  1596,  qui  le 
premier  s'est  fait  le  rapporteur  de  cette  horrible 
scène  satanique  (1).  Mais  un  document  anonyme 
du  temps,  récemment  découvert  par  M.  William 
Reysser,  nous  donne  de  plus  amples  détails  sur 
ce  singulier  oracle  (2).  Pourtant,  comme  en 
dehors  de  ces  narrations  démonologiques,  au- 
cune pièce  d'archives  diplomatiques  ne  men- 
tionne, à  notre  connaissance,  ce  crime  de  sor- 
cellerie royale,  il  est  permis  de  faire  quelques 
réserves  sur  son  authenticité  :  quoiqu'il  en  soit, 
la  bonne  foi  ordinaire  de  Jean  Bodin,  que  vient 
confirmer  ce  document  italien  contemporain  de 
l'événement;,  nous  paraît  être  une  autorisation 


estoit  fort  usitée  chez  les  Allemands  juifs   ».   {Tableau  de 
Vinconslance    des    mauvais  anges  et  démons.  Paris,  Nicola 
Euon,  1612;  un  vol.  in-4.) 

(1)  Jean  Bodin,  De  la  Démonomanie  des  sorciers,  Paris 
1596,  un  vol.  in-4,  p.  169. 

(2)  Délia  communicazione  terrestre  con  i  speltri  e  i  demonii. 
Manuscrit  italien  de  la  fin  du  seizième  siècle,  composé  de 
132  feuillets.  Outre  certaines  formules  magiques,  des  études 
sur  la  nécromancie  et  l'astrologie,  VOracle  de  la  tête  san- 
glante y  occupe  les  feuillets  52  à  61  inclusivement.  {Extrait 
résumé  et  traduction  inédits.) 


CATHERINE   DE    MEDICIS  238 

suffisante,  pour  reproduire  ce  récit  avec  une  ori- 
ginalité de  détails  jusqu'alors  inédits.  Voici  donc 
comment  il  fut  procédé  à  cette  infernale  céré- 
monie» 

La  reine-mère,  d'accord  avec  son  fils,  ayant 
accepté  la  consultation  magique,  il  fut  décidé  que 
l'on  achèterait  ou  que  l'on  volerait  dans  les 
faubourgs  de  la  capitale  un  -enfant  juif  du 
sexe  masculin,  beau  de  visage  et  innocent  de 
mœurs.  L'enfant  trouve,  âgé  de  six  à  huit  ans, 
fut  amené  au  château  de  Vincennes  où  la  cour 
résidait  alors.  On  le  confia  à  un  aumônier  du 
palais  qui,  en  secret,  le  prépara  à  la  première 
communion.  Et  après  bien  des  hésitations, 
basées  sur  certains  signes  célestes  dont  l'opéra- 
teur attendait  l'apparition  qui  ne  se  manifestait 
pas,  on  fixa  définitivement  l'occulte  séance  au 
28  mai  1574,  à  minuit. 


Dans  l'une  des  neuf  tours  qui  entouraient  le 
château  féodal,  celle  située  du  côté  du  village 
de  Vincennes,  dit  le  chroniqueur  anonyme, 
et  qui  depuis  a  toujours  été  désignée  jusqu'à 
notre  époque   sous  le  sinistre  nom  de  Tour  du 


2M  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Diable  (i),  était  installé  le  laboratoire  d'un  ma- 
gicien noir,  ancien  moine  jacobin  apostat,  sur 
le  nom  duquel  les  documents  restent  muets. 
Péniblement,  Cbarles  IX,  en  compagnie  de  sa 
mère  et  de  deux  affidés  intimes,  avait  quitté  sa 
chambre  de  malade  pour  se  rendre  dans  cette 
sorte  de  temple  dédié  au  culte  démoniaque. 

Au  milieu  des  classiques  appareils  d'alchimie 
et  d'astronomie,  un  autel  avait  été  dressé  pour 
y  célébrer  une  messe<^à  la  Mater  Tenebra- 
ram  lugubre  madone  que  les  cabalistes  nous 
présentent  avec  «  un  visage  enveloppé  d'un 
triple  voile  de  crêpe,  qui  cependant  n'obstrue 
pas  la  flamboyante  lumière  de  désespérance 
qui  sans  cesse  s'échappe  de  ses  yeux  infer- 
naux. » 

Cette  Notre-Dame-des-Ténèbres^  a  dit  Quin- 


(1)  «  C'est  une  construction  trapue  qui  a  environ  35  mètres 
de  haut  sur  20  mètres  de  large.  Trois  étages  de  baies  ogi- 
vales, éclairent  la  façade  au-dessus  d'un  porche  voûté. 
Entre  celui-ci  et  les  fenêtres  du  premier  étage,  au-dessus  de 
l'écusson  royal  gardé  par  deux  anges,  s'enfoncent  cinq  ni- 
ches veuves  de  leurs  statues,  ordonnance  sobre' et  puis- 
sante qui  n'est  certes  pas  sans  beauté.  »  [Llle  de  France^ 
article  D'Emile  Sedeyn,  p.' 257).  Ce  magnifique  ouvrage  a 
été  publié  sous  la  direction  de  M.  Octave  Beauchamp^ 
auquel  je  dois  l'obligeante  communication  du  cliché  repré- 
sentant la  Tour  du  Diable,  p.  253  du  présent  volume. 


CATHERIN l:   de  MEDICIS  235 

cey  (i),  défie  Dieu.  Elle  est  la  mère  des  démen- 
ces et  la  conseillère  des  suicides.  Profondes 
sont  les  racines  de  son  pouvoir  ;  mais  heureu- 
sement petite  est  la  nation  sur  laquelle  elle 
règne  tous  les  matins  et  tous  les  soirs,  à  midi 
comme  à  minuit,  à  Theure  du  flux  comme  à 
l'heure  du  reflux,  appesantissant  sa  main  sur  la 
tête  de  ceux  dont  la  nature  a  été  bouleversée 
de  fond  en  comble  par  des  convulsions  inté- 
rieures : 

Toi  qu'on  implore  pour  les  crimes, 
Que  supplient  à  l'heure  livide 
Ceux  qui  se  tuent  dans  leur  péché 
Et  ceux  qui  signèrent  le  pacte, 
Ceux  dont  Y  A  iiîre  a  déjà  pris  l'âme... 
Sombre  espoir  des  désespérés, 
Notre-Dame-des-Messes-Noires, 
Notre-Dame-des-Réprouvés  !...  (2) 

Tout  habillé  de  blanc,  l'enfant  fut  introduit  et 
l'office  satanique  commença.  Sur  l'autel  étaient 
disposés  quatre  flambeaux,  aux  quatre  coins  de 
cette  table  rituélique  recouverte  d'une  draperie 


(1)  Am^ÈDE  Barine,  Poètes  et  Nédrosés.  Étude  sur  Thomas 
de  Quincey,  p.  151. 

(2)  Les  Litanies  de  Notre-Dame-des-Ténèbres,  par  Edouard 
D'HooGHE  ;  verset  4. 


236  CATHERINE    DE   MEDICIS 

sombre,  brodée  du  grand  pentagramme  de  Salo- 
mon.  Un  calice  de  métal  noir,  plein  de  sang 
coagulé  sur  lequel  flottait  une  hostie  blanche, 
un  plateau  d'argent  contenant  une  grande  hos- 
tie noire,  et  une  petite  fiole  de  verre  pleine  d'un 
liquide  rouge  rubis,  constituaient  les  princi- 
paux accessoires  nécessaires  à  cette  messe  ef- 
froyable. 

A  l'aide  de  la  baguette  magique,  le  magicieji 
revêtu  du  costume  spécial  aux  évocations  de 
goétie,  traça  trois  cercles  autour  de  l'autel.  Il 
parcourut  à  trois  reprises  cet  ensemble  con- 
centrique, en  prononçant  des  paroles  sacramen- 
telles qu'il  rythmait  sur  ses  pas  comptés.  Et, 
s'arrêtant  brusquement  face  à  Pautel,  il  sortit 
de  sa  robe  un  poignard  dont  la  lame  était  tran- 
chante et  la  garde  en  forme  de  croix. 

D'un  coup  sec,  il  planta  cette  arme  sur  l'autel, 
entre  le  calice  et  le  plateau  d'argent.  Puis,  ou- 
vrant un  grimoire,  il  récita  la  huitième  strophe 
du  psaume  à  la  Mater  Tenebrarum.  Ayant 
achevé  cette  prière,  il  cria,  à  pleine  voix,  par  trois 
fois,  l'appel  suprême  à  la  vierge  des  anathèmes  : 

AiRAM  !  AiRAM  !  AiRAM  ! . . .  (l) 

(1)  Airam  est  le  nom  latin  de  la  vierge  écrit  à  l'envers  : 
Maria  =  Airam.  Cet  anagramme  démoniaque  est  considéré 


CATHERINE    DE    MEDICIS  237 

Subitement,  les  lumières  s'éteignirent  ;  et  le 
nécromant  ayant  répandu  à  terre  le  contenu  de 
la  fiole  de  verre,  l'atmosphère  du  laboratoire 
s'emplit  d'une  phosphorescence  pareille  à  la 
clarté  lunaire. 

Tremblant,  Tenfant  sanglotait,  ne  compre- 
nant rien  à  ces  choses,  mais  sentant  bien  que  le 
rôle  qu'il  allait  jouer  dans  cette  scène  ne  serait 
certes  pas  le  moindre.  Affalé  dans  un  fauteuil, 
près  de  la  reine-mère,  Charles  IX,  stupide  et 
pitoyable,  écoutait  et  voyait,  sans  rien  dire,  cette 
célébration  de  mystères.  Mais  il  était  déjà  sé- 
paré de  la  vie,  tant  son  regard  semblait  perdu 
par  avance  dans  Tau-delà  de  ce  milieu  lugubre- 
ment infernal. 


Cependant,  l'instant  solennel  de  la  conjura- 
tion était  arrivé.  Renversant  une  croix,  l'officiant 
piétina  cet  emblème  chrétien  en  prononçant  des 
menaces,  des  blasphèmes  et  des  malédictions  à 
l'adresse  du  Christ.  Puis  il  consacra  par  de  nou- 
velles prières  cabalistiques  les  deux  hosties  mé- 

par  les  cabalistes  allemands  du  seizième  siècle,  comme  le 
plus  grave  et  le  plus  efficace  des  appels  conjurateurs. 


238  CATHERINE    DE    MEDICIS 

créantes.  Délicatement,  le  petit  juif  tendit  ses 
lèvres  blémies  vers  l'hostie  blanche  que  lui  pré- 
senta le  moine-sorcier... 

Aussitôt  la  communion  terminée,  Tofficiant 
empoigna  l'enfant  qui  criait,  le  coucha  brutale- 
ment sur  l'autel  et,  s'emparant  du  poignard 
rituel,  d'un  seul  coup,  trancha  la  gorge  de 
l'innocente  victime...  Les  petites  mains  s'agitè- 
rent... Lourdement  le  corps  décapité  roula  sur 
le  sol,  laissant  échapper  par  la  blessure  béante 
un  ruisseau  de  sang  qui  entoura  bientôt  Tautel. 
Prenant  la  tête  toute  palpitante  encore,  le  magi- 
cien la  plaça  sur  la  grande  hostie  noire  qui 
couvrait  le  fond  de  la  patère  d'argent... 

Deux  des  cierges  furent  rallumés.  Arrachant 
plusieurs  pages  à  son  grimoire,  le  magicien  Jes 
brûla  à  la  flamme  de  l'un  des  flambeaux.  Puis  il 
aspergea  de  sang  la  croix  renversée,  disposa  le 
plat  contenant  la  tête  au  milieu  des  deux  lumiè- 
res, et  prononça  l'invocation  finale  d'après  le 
Télragammaton  traditionnel:  Corbeau  noir!... 
Corbeau  noir  !  [\)...^  invitant  ainsi  le  démon  à 
proclamer  l'oracle  par  la  bouche  de  l'enfant  mort. 
Comme  il  avait  été  convenu  que  le  roi  poserait 

'  (1)  Pierre  de  l'Ancre  déjà  cité  et  Ciiriosilés  des  Sciences 
OccLiUes,  par  P.-L.  Jacob,  p.  309, 


CATHERmE    DE    MÉDICIS  289 

lui-même  la  question  sur  le  sujet  qui  l'intéressait, 
Charles  IX  demanda  secrètement  au  génie  des 
ténèbres  ce  qu'il  désirait  obtenir,  n'osant  confier 
à  personne  sa  pensée. 

Alors,  assurent  les  documents,  une  voix  faible 
et  lointaine,  une  voix  étrange,  à  peine  humaine, 
se  fit  entendre  comme  sortant  de  cette  pauvre 
petite  tête  de  martyre.  Et  deux  mots  seulement 
parvinrent  aux  oreilles  du  consultant,  deux  mois 
iolins  énigmatiques  :  Vim  patior,  «  j"y  suis 
forcé  »,  dit  la  tête  morte. 


Que  signifiait  cette  réponse  brève  ?  Cela 
voulait-il  dire,  comme  Ta  prétendu  un  auteur, 
que  le  suppôt  des  enfers  refusait  désormais 
sa  protection  à  la  reine-mère  et  aux  siens  ? 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  paraît  qu'aussitôt  que  Char- 
les IX  entendit  ces  deux  mots,  un  tressaillement 
convulsif  s'empara  de  lui.  Puis  il  s'évanouit  dans 
son  fauteuil.  Lorsqu'il  reprit  connaissance,  ses 
dents  claquèrent,  ses  membres  se  raidirent  et, 
d'une  voix  rauque,  il  cria,  éperdu  :  «  Eloignez 
cette  tête  !...  Eloignez  cette  tête!...  » 

On  éloigna  la  tête  sanglante  ;  en  hâte,  on  trans- 


2i0  CATHERINE    DE 'MEDICIS 

porta  le  misérable  roi  dans  sa  chambre  à  coucher. 
Une  fièvre  ardente  vint  Tenvahir  au  cours  de  la 
nuit,  en  même  temps  qu'un  horrible  délire  pen- 
dant lequel  il  ne  cessa  de  répéter,  durant  trente- 
six  heures  environ,  la  même  phrase  qui  expri- 
mait tout  l'effroi  qu'il  avait  éprouvé  devant  le 
crime  inutile  du  sorcier  de  sa  mère  :  «  Éloignez 
cette  tête  !...  Éloignez  cette  tête  !...  » 

Ceux  qui  n'étaient  pas  dans  la  confidence  du 
sacrifice  magique^  pensèrent  que  Charles  IX 
était  poursuivi  par  le  remords  de  la  Saint-Barthé- 
lémy, et  notamment  que  le  fantôme  de  l'amiral 
Gaspard  de  Goligny  le  tourmentait  sans  merci. 
D'autres  crurentque  ce  cerveau  malade  revivait  la 
scène  d'exécution  de  La  Môle  et  de  Goconas.  Mais 
personne  ne  soupçonna  la  véritable  cause  de 
cette  agonie  agitée,  dans  l'affreux  drame  dont  la 
Tour  du  Diable  a  gardé  jusqu'à  ce  jour  le  se- 
cret (i). 


(1)  Indépendamment  du  livre  de  Jean  Bodin  et  du  manu- 
scrit italien  précités,  voir  :  Eliphas  Lévy  :  Dogme  et  rituel  de 
la  Haute-Magie^  t.  II,  pp.  235  et  236;  Les  Messes  noires  :  par 
les  docteurs  Cauffeynon  et  Jal,  pp.  90  à  92  ;  Colin  de 
Plancy  :  Dictionnaire  infernal,  p.  657,  et  Le  véritable  trésor  des 
Sciences  magiques,  d' Alphonse  Gall  vis,  p.  43,  qui  contient 
une  gravure  des  plus  fantaisistes  représentant,  sans  aucun 
commentaire,  cette  scène  satanique. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  241 

Enfin,  au  milieu  «  de  douleurs  les  plus  aiguës 
et  tout  baigné  dans  son  sang  (i)  »,  dit  Sully, 
Charles  IX  mourut  le  jour  de  la  Pentecôte, 
3o  mai  i574-  H  n'avait  pas  encore  vingt-cinq 
ans. 

(1)  Mémoires  de  Sullj,  t.  I,  p.  83. 


U 


CHAPITRE  VIII 


AUTRES  FORMES  DE  LA  SUPERSTITION  DE  CATHERINE 
ET  INFLUENCE  DE  l'oCCULTISME  SUR  l'eSPRIT  DE 
SES   FILS. 


La  croyance  de  Catherine  de  Médicis  aux  mys- 
tères occultes  et  aux  influences  heureuses  de 
certains  objets  sur  la  destinée  humaine,  se 
manifestait  encore  par  des  afifections  bizarres  et 
le  port  de  talismans  étranges.  Outre  des  baladins 
pour  sa  distraction,  elle  avait  à  son  service,  des 
nains  et  naines  telles  que  la  Turque,  la  More  et 
la  Jacquette,  êtres  difformes  et  niais  qu'elle  ai- 
mait, parce  que  leur  présence  était  réputée  pour 
Téloignement  des  maladies  et  l'assurance  d'une 
longue  vie  en  faveur  de  ceux  qui  les  possé- 
daient (i). 

(1)  Archives   nalionales,   K-K,    138;    années    1553    et    1559; 
K-K,  125  et  130. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  24 

Pour  Catherine,  le  principal  de  ces  fétiches 
humains,  c'était  La  Jardinière,  bouffon  femelle 
qui  est  qualifié  de  folle  en  pied  dès  i556  dans 
les  comptes  de  la  reine.  Si  à  la  Turque  et  à  la 
More,  Catherine  n'accordait  que  quelques  écus 
pour  aller  à  la  foire  de  Saint- Germain,  elle  ne 
savait  rien  refusera  La  Jardinière.  A  cette  créa- 
ture d'un  idiotisme  stupide,elle  donne  des  sou- 
liers à  double  semelle,  des  robes  en  menu-vair  (i), 
une  place  d'honneur  à  toutes  les  fêtes  de  la  Cour, 
et  nomme  la  Dame  Charlotte  Mareille  gouver- 
nante de  ce  grotesque  personnage.  De  plus,  elle 
mariera  La  Jardinière  à  l'un  de  ses  nains,  Au- 
guste Romanesque,  autre  idiot  qui  porte  dague 
et  épée.  De  ce  mariage,  Catherine  signera  le  con- 
trat en  compagnie  de  Mme  de  Sauves  et  de  ses 
deux  valets  de  chambre,  les  Dumoustier,  dont 
l'un,  remplissant  également  les  fonctions  de 
V  peintre  royal,  nous  a  laissé  un  croquis  de  cette 
cérémonie  nuptiale  (2). 

Jamais  Catherine  ne  se  déplace  sans  La  Jar- 
dinière, son  perroquet  et  sa  guenon,  ce  dernier 

{1)  Archives  nationales,  K-K,  127;  année  1560,  17  juillet. 
Voir  aussi  le  Dictionnaire  critique  de  biographie  et  d'histoire, 
de  A.  Jal,  p.  77. 

(2)  Bibliothèque  nationale,  cabinet  des  estampes  et  Henri 
Bouchot  (ouv.  cité  antér.),  p.  148. 


h 


244:  CATHERINE    DE    MEDICIS 

animal  tout  autant  aimé  que  la  folle,  et  dont  la 
main  velue  porte  bonheur  {i).  En  plus  de  La  Jar- 
dinière et  de  ces  animaux,  elle  a  des  petits  chiens 
dressés  et  deux  fous  qui  lui  viennent  de  Pologne  : 
le  grand  Polacre  et  le  petit  Polacron,  dont  le 
gouverneur  est  M.  de  Bezon,  futé  bonhomme, 
malicieux  et  rieur,  sorte  de  gnome  que  surveille 
un  moinillon  de  même  taille  dénommé  nonneton 
ou  le  petit  nonnain.  Tout  un  monde  de  lavan- 
dières, de  laquais,  de  précepteurs  est  attaché  à 
ces  fantoches  vivants.  Une  femme  ne  fait  que 
blanchir  leur  linge  de  poupées,  des  valets  les 
servent  à  table  en  grand  cérémonial,  des  apothi- 
caires les  purgent,  des  prêtres  les  sermonnent  et 
s'ils  se  confessent,  Catherine  leur  donne  quel- 
ques sols  de  récompense  (2). 

Pour  obtenir  des  talismans  aux  vertus  extra- 
ordinaires, elle  écrit  à  Gabriel  Simeoni  et  au 
Milanais  Cardan;  elle  s'attache  les  magiciens 
La   Brosse  et  Régnier,  ainsi  que    Madame    de 

(1)  Archives  nationales,  K-K,  138  et  A.  Canel,  Recherches 
historiques  sur  les  Fous  des  rois  de  France,  p.  138.  Voir  aussi 
Ch.  Leber,  Extraits  des  comptes  de  Vespargne  depuis  Fran- 
çois I"  jusqu'à  Louis  XIII;  gages,  pensions,  gratifications  des 
médecins,  historiographes,  gardes  du  cabinet  des  livre,  écri- 
vains, confesseurs,  astrologues,  fous  et  folles  des  rois  et 
Règnes,  etc.  » 

(2)  Archives  nationales,  K-K,  138,  et  Henri  Bouchot,  p.  149. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  245 

Castellane,  pythonisse  célèbre  pour  refficacité 
de  ses  sacrifices  infernaux  et  ses  divers  modes 
de  divinations  magiques  (i).  Alors,  elle  porte 
des  bagues  ornées  de  caractères  cabalistiques, 
des  amulettes  orientales,  des  scapulaires  con- 
fectionnés d'après  les  rituels  de  haute  magie,  et 
des  cornes  de  licornes. 

«  Elle  avait  grande  confiance  dans  la  magie, 
dit  Garinet,  et  elle  portait  sur  son  estomac  une 
peau  (V enfant  égorgé!  semée  de  figures,  de 
lettres  et  de  caractères.  Elle  s'imaginait  que 
cette  peau  la  garantissait  de  toute  entreprise 
criminelle  dirigée  contre  elle  (2).  » 

Un  autre  talisman  de  Catherine,  dont  la  tra- 
duction n'a  jamais  été  faite,  nous  a  été  transmis 
par  l'abbé  Fauvel.  Dans  une  note  anonyme 
ornée  de  la  gravure  ici  reproduite  (p.  187),  et 
conservée  à  la  Bibliothèque  nationale^  on  trouve 
la  description  suivante  de  cette  étrange  médaille: 

«  Cette  princesse  (Catherine)  le  portoit  tou- 
jours sur  elle.  Il  étoit  de  la  façon  et  fabrique 

(1)  Destigny  de  Caen  (ouvrage  inachevé  ant.  cité),  p.  200. 
Pour  l'astrologue  La  Brosse,  voir  VEstoile,  édition  Lemerre, 
1896,  p.  94  du  t.  VI  et  pp.  223  et  402  du  t.  X. 

(2)  Jules  Garinet,  Histoire  de  la  magie  en  France,  p.  153 
(Paris,  1  vol.  in-8,  édition  de  1818),  et  Henri  Bouchot, 
p.  148. 

14. 


246  CATHERINE    DE    MÉDICIS 


du  sieur  Régnier,  fameux  mathématicien  qui 
passait  pour  Magicien,-  et  en  qui  elle  avoit 
beaucoup  de  confiance... 

((  On  prétend  aussy  que  la  vertu  de  ce  Talisman 
étoit  pour  gouverner  souverainement  et  con- 
noître  l'advenir,  et  qu'il  étoit  composé  de  sang 
humain,  de  sang  de  bouc  et  de  plusieurs  sortes 
de  métaux  fondus  ensemble  sous  quelques 
constellations  particulières  qui  avoient  rapport 
à  la  nativité  de  cette  princesse. 

((  L'original  de  ce  Talisman^  qui  fut  trouvé  et 
cassé  après  sa  mort  arrivée  à  Blois  le  5^  de  jan- 
vier 1689,  âgée  de  70  ans,  est  à  présent  conservé 
au  cabinet  de  l'abbé  Fauvel  qui  Ta  fait  ainsy 
graver  et  copier  très  fidèlement  (1).  » 

Selon  le  Journal  des  Choses  mémorables^  au 
cours    de    l'année    1577,    à   l'apparition    d'une 

(1)  Note  et  gravure  ajoutées  au  Discours  merveilleux  déjà 
cité  et  attribué  à  Henry  Estienne,  selon  Barbier  et  Castel- 
nau,  t.  I,  p.  287.  Bibliothèque  nationale,  L.  b,  34  :  827  ~  B). 
Jusqu'à  ce  jour,  les  bibliographes  étaient  d'accord  pour 
considérer  cet  ouvrage  comme  un  vulgaire  pamphlet  d'une 
valeur  historique  toute  relative.  Mais  les  récentes  études  de 
M.  Léon  Marlet  sur  ce  livre,  prouvent  qu'au  contraire,  le 
Discours  merveilleux  d'Henri  Estienne  doit  être  consi- 
déré  comme  un  document  important  pour  l'histoire  du 
seizième  siècle,  l'exactitude  de  chacun  des  faits  qui  y  sont 
relatés,  ayant  été  minutieusement  vérifiée  par  le  savant, 
bibliothécaire  du  Sénat. 


CATHERINE   DE   MEDICIS  247 

comète,  Catherine  fut  envahie  par  la  peur  de 
mourir  :  «  Quand  la  comète  menaçante  épandit 
dans  le  ciel  son  audacieuse  chevelure  présa- 
geant des  maux  futurs,  la  reine  apeurée,  con- 
sciente de  sa  vie  coupable,  crut  que  le  destin 
réclamait  sa  tête  abhorrée.  Que  crains-tu,  0 
Reine  ?...  Si  elle  nous  menace  d'un  malheur, 
c'est  la  longueur  de  ta  vie,  et  non  sa  brièveté 
qu'il  nous  faut  craindre  (i)!...  » 

C'est  peut-êre  à  ce  moment-là  que,  très  in- 
quiète de  sa  destinée,  la  reine-mère  remit  à 
M.  de  Mesme  un  second  médaillon  talismanique, 
dans  les  circonstances  et  avec  les  recomman- 
dations ci-après  décrites  : 

«  Les  princes  qui  ne  consultent  que  leur  pas- 
sion dominante  de  régner,  dit  un  curieux  do- 
cument, sacrifient  tout  pour  y  parvenir...  Ca- 
therine de  Médicis  fut  pareillement  possédée 
de  cette  criminelle  passion  tout  le  cours  de  sa 
vie,  témoin  ce  que  nous  allons  raconter  et  que 
l'on  avoit  pris  tant  soin  de  nous  cacher  jusqu'à 
ce  jour... 

<(  François  II  étant  mort,  Catherine  de  Mé- 
dicis parvint  à  la  régence  pendant  la  minorité  de 

(1)  Journal  des  choses  mémorables,  etc.,  chap.  I,  p.  25. 
(Traduction  inédite.) 


218  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Charles,  son  second  fils,  par  le  moyen  de  bri- 
gues et  des  artifices  dont  elle  se  servit.  Cepen- 
dant, les  guerres  civiles  qui  Taccablèrent  d'af- 
faires, de  chagrins  et  d'inquiétudes,  et  qui  la  ré- 
duisirent au  point  de  se  voir  contrainte  d'aban- 
donner au  prince  de  Condé  le  maniement  des 
affaires  du  royaume,  luy  firent  bientôt  concevoir 
que  la  couronne  est  un  fardeau  bien  accablant 
pour  une  femme. 

«  Au  milieu  de  ses  déplaisirs,  elle  se  retira 
dans  son  cabinet  pour  s'abandonner  entièrement 
à  la  solitude  pendant  quelques  jours,  et  ne 
voulut  qu'aucun  de  sa  cour  l'approchât...  Fina- 
lement, elle  fit  appeler  M.  de  Mesme,  homme 
d3  robbe  pour  qui  elle  avoit  une  estime  particu- 
lière, comme  l'un  des  plus  zélés  à  son  service, 
p^r  les  preuves  signalées  qu'il  luy  en  avoit 
donné  en  plusieurs  occasions. 

«  Cette  Princesse  luy  confia  alors  une  boëte 
d'acier  bien  fermée  à  clef  et  luy  dit  que  la 
guerre  civile  luy  donnoit  de  fort  mauvais  pré- 
sages de  sa  destinée  et  qu'elle  avoit  jugé  à  pro- 
pos de  luy  remettre  entre  les  mains  ce  sacré  dé- 
pôt qui  étoit  le  plus  riche  trésor  qu'elle  eût  dans 
ce  monde,  avec  ordre  de  ne  l'ouvrir  jamais,  ni 
de  la  donner  à  personne,  à  moins  que  ce  ne  fut 


CATHERINE    DE    MEDICIS  249 

par  son  commandement  signé  de  sa  main,  et 
engagea  M.  de  Mesme  à  faire  serment  qu'il  luy 
tiendroit  parole  sous  peine  d'encourir  sa  haine 
et  son  indignation. 

«  Cette  reine  étant  morte  sans  retirer  la  boëte 
des  mains  de  M.  de  Mesme,  et  celui-ci  étant  pa- 
reillement décédé  après  Catherine  de  Médicis, 
les  héritiers  de  M.  de  Mesme  la  gardèrent  (la 
boëte)  longtemps  dans  leur  famille  sans  l'ouvrir. 
Cependant,  le  temps,  qui  fait  oublier  toutes 
choses,  rendit  les  enfants  de  M.  de  Mesme  assez 
curieux  pour  l'ouvrir,  dans  la  pensée  d'y  trou- 
ver un  trésor  inestimable.  La  boëte  étant  ou- 
verte, on  trouva  une  chose  qui  fait  horreur. 
C'étoit  une  médaille  de  cuivre  oVale,  en  forme 
de  bouclier  ou  de  rondache  semblable  à  celles 
que  les  anciens  Romains  consacroient  à  leurs 
faux  Dieux. 

«  La  gravure  de  cette  médaille  représentoit 
Catherine  de  Médicis  étant  à  genoux  en  forme  de 
suppliante,  faisant  offrande  au  Démon  qui  était 
peint  sur  un  thrône  relevé  avec  des  traits  les 
plus  affreux  et  les  plus  horribles  que  Ton  puisse 
imaginer.  Cette  princesse  avait  à  ses  côtés  ses 
trois  fils  :  Charles,  Henri  et  le  duc  d'Alençon, 
avec  cette  devise  :  Soit^  pourvu  que  je  règne  !  » 


250  CATHERINE   DE   MEDICIS 

«  L'on  voit  encore  cette  même  médaille  au- 
jourd'hui dans  la  maison  de  Mesme,  dont  est 
sorti  M.  le  comte  d'Avaux  cy-devant  ambassa- 
deur en  Hollande.  Les  curieux  qui  voudront  être 
renseignés  des  circonstances  de  cette  histoire 
secrète,  les  pouront  apprendre  de  la  propre 
bouche  de  ce  ministre  (i).  » 


Élevés  et  éduqués  dans  ces  principes,  il  n'est 
pas  surprenant  de  voir  Charles  IX  et  Henri  HI 
partager  ces  étranges  croyances.  Dès  i564,  on 
vit  Catherine  de  Médicis  livrer  son  fils  Charles 
aux  astrologues  et  magiciens.  Cette. année-là, 
elle  le  conduisit  à  Salon-de-Craux,  chez  le  cé- 
lèbre Nostradamus  qui  devait  établir  son  thème 
de  nativité.  Charles  avait  entière  confiance  dans 
la  science  du  savant  de  Salon.  Ne  le  connaissant 
pas,  lorsqu'il  arriva  aux  portes  de  la  ville,  en 
compagnie  de  sa  mère,  Charles  demanda  aux 
consuls  venus  pour  le  recevoir,  si  le  grand  Mi- 


(1)  UArt  d'assassiner  les  rois,  enseigné  par  les  Jésuites  à 
Louis  XIV  et  à  Jacques  II.  Londres,  1696,  chez  Thomas 
Fulher;  1  vol.  in-12  (pp.  173  à  177  inclusivement).  Biblio- 
thèque nationale,  n°  1632. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  251 


€liei  de  Nostredame  était  parmi  eux.  On  le  lui 
présenta  aussitôt  et,  donnant  la  main  à  l'astro- 
logue, Charles  exigea  de  l'avoir  à  ses  côtés 
durant  tout  le  parcours  des  portes  de  la  ville 
^ux  appartements  du  château  qui  lui  avaient  été 
préparés  (i). 

«  Pour  que  Votre  Majesté  voit  combien  on  est 
léger  ici,  écrit  l'ambassadeur  d'Espagne  à  son 
maître,  au  sujet  de  cette  visite  des  souverains 
français  au  célèbre  devin,  —  je  dirai  que  la 
reine,  quand  elle  a  passé  par  le  lieu  où  vit  Nos- 
tradame,  l'a  fait  appeler  et  lui  a  assigné  deux 
cents  écus  de  gages.  Elle  lui  ordonna  de  tirer 
l'horoscope  du  roi  et  celui  de  la  reine.  Comme 
-c'est  l'homme  le  plus  malicieux  du  monde,  et  il 
ne  dit  jamais  que  chose  qui  plaise  à  qui  que  ce 
soit,  il  résolut  dans  les  dits  deux  horoscopes  de 
flatter  le  roi  et  la  reine,  de  sorte  qu'ils  lui  ordon- 
nèrent de  suivre  leur  cour,  lui  assignant  un  plus 

li;  C'est  exactement  le  17  octobre  de  l'année- 156J^  que 
Charles  IX  et  Catherine  allèrent  visiter  Nostradamus. 
Journal  du  voyage  de  Charles  IX  à  travers  la  France,  1564- 
1565,  par  Abel  Jouan,  publié  en  1566  et  réimprimé  dans  les 
Pièces  fugitives  sur  VHisloire  de  France,  par  le  marquis 
<I'AuBAis  et  MÉNARD  (Paris,  1759,  3  vol.  in-4)  ;  t.  I,  2«  partie, 
pp.  11  et  12.  Voir  aussi,  la  Vie  de  Michel  Noslradanius,  Paris, 
1789,  p.  72,  et  VHisloire  et  chronique  de  Provence,  par  César 
©E  Nostradamus,  pp.  801  et  802. 


'2-)'2  CATHERINE    DE    MEDICIS 

grand  traitement  jusqu'à  ce  qu'ils  se  séparèrent 
de  lui  et  le  laissèrent  à  Arles.  La  reine  m'a  dit 
aujourd'hui,  comme  je  lui  disais  que  j'espérais 
qu'avec  l'aide  de  Dieu  que  de  l'entrevue  (future 
entrevue  de  Bayonne)  sortirait  un  grand  bien 
pour  la  chrétienté  :  «  Savez-vous,  dit-elle,  que 
((  Nostradame  m'a  affirmé  qu'en  l'année  soixante- 
«  six  (i566),  une  paix  générale  régnerait  sur  le 
((  monde  et  que  le  royaume  de  France  serait  très 
((  tranquille  et  que  la  situation  s'affermirait?  » 
Et  disant  cela,  elle  avait  l'air  aussi  pénétrée  que 
si  on  lui  avait  cité  saint  Jean  ou  saint  Luc  (i).  » 
Quinze  jours  plus  tard,  don  Frances  de  Alava, 
revenant  sur  cette  consultation  occulte,  nous 
donne  de  curieux  détails  complémentaires  : 
«  Demain,  écrit-il,  part  secrètement  un  gentil- 
homme envoyé  à  la  reine  d'Angleterre.  Je  sais 
que  cet  ambassadeur  (celui  d'Angleterre  est  ja- 
loux. Le  premier  jour  que  le  roi  et  la  reine  vi- 
rentNostradame,il  leur  affinr.a  que  le  roi  se  ma- 
riera avec  la  dite  reine  (d'Angleterre).  Il  se  pour- 
rait que  cela  donnât  naisj^ance  à  u:ie  négocia- 
tion pour  l'amener  à  leur  dévotion,  car  déjà  cet 

(1)  Dépêche  de  Don  Frances  de  Aldia  au  roi  d'Espagne, 
Toulouse  4:  février  1565.  Archives  nationcle?,  K.  1503,  n°  30. 
[Documenl  inédit  ;  tradaclion  de  M.  L^'on  Marlet.) 


254  CATHERINE    DE    MEDICIS 

ambassadeur  (celui  d'Angleterre)  a  envoyé  cet 
horoscope  à  sa  maîtresse  (i).  » 

A  priori,  Catherine  comprend  bien  que  ce 
projet  de  mariage  est  une  absurdité  :  unir  un 
jouvenceau  de  quatorze  ans  à  une  vieille  fille. 
Pourtant,  elle  s'incline  devant  Tavertissementdu 
prophète  de  Salon,  et  continue  ses  essais  de  né- 
gociations dans  cette  voie.  Le  gentilhomme  cité 
par  Alava,  et  envoyé  secrètement  à  la  cour  d'An- 
gleterre.., accomplit  donc  sa  mission  cependant 
qire  Catherine  se  fait  préparer  de  nouveaux  appar- 
teriients^au  Louvre,  juste  au-dessus  de  ceux  de 
saiuture belle-fille,  moyen  certain  de  dominer  le 
jeune  ménage  royal  (2).  Mais  l'ambassadeur  an- 
glais qui  ne  voyait  dans  cette  union  projetée 
qu'une  diplomatie  en  faveur  de  la  reine  d'Ecosse, 
ne  cacha  ni  son  mécontentement,  ni  l'opposition 
qu'il  était  décidé  à  faire  pour  empêcher  ce  pro- 
jet d'aboutir.  Le  4  avril  i56'5,  Alava  écrit  en- 
core : 

((  L'ambassadeur  d'Angleterre  est  venu  au- 
jourd'hui me  voir  et  a  causé  avec  moi  un  moment 


(1)  Même  source,    11°  37.    [Documenî  ïnédil,.  traduction   de- 
M.  LÉON  Marlet.) 

(2)  Brrtv,  La  Région  du  Louvre   et  des    Tuileries..  (Extrait 
des  comptes  du  Louvre.) 


CATHERINE    DE    MEDICIS  255 

au  sujet  de  la  rein^  d'Ecosse.  11  dit  que,  avec 
la  prophétie  de  Nostradamus  suivant  laquelle 
le  roi  doit  épouser  sa  maîtresse,  les  Français 
pensent  avoir  trompé  sa  dite  maîtresse,  mais 
que  je  verrai  ce  qui  se  prépare,  savoir  qu'il  y 
aura  plus  que  jamais  inimitié  avec  la  France,  et 
que  les  Français  se  sont  de  nouveau  mêlés  des 
affaires  d'Ecosse,  ce  qui  peut-être  nuirait  à  la 
reine  d'Ecosse  et  à  eux  (i).  » 

Après  quelques  nouveau.t  essais  de  rapproche- 
ment, les  choses  en  restèrent  là,  la  reine  d'An- 
gleterre ayant  répondu  habilement  à  l'ambassa- 
deur de  France  que  pour  devenir  son  époux 
Charles  IX  était  trop  ,  grand  et  trap  petit. 
Ainsi  la  prédiction  de  Nostradamus  fut  nulle, 
sauf  pourtant  en  ce  qui  concerne  la  paix  annon- 
cée, l'année  i566  ayant  été,  en  effet,  fort  calme. 

Mais  cet  échec  ne  diminua  enrienlaconfîarce 
qu'elle  avait  en  la  divine  parole  du  prophète  de 
Salon.  Toujours  sur  les  conseils  de  Nostrada- 
mus, elle  tomba  bientôt  dans  les  promesses  de 
lonomatomancie  et  entreprit  de  changer  les 
nojnis  de  ses  fils,  pour  leur  en  donner  d'autres 
plus  susceptibles  d'influence  heureuse  sur  leur 

(1)  Dépêche  de  Don  Frances  de  Alava.  [Document  inédil,  ii«  Ô6, 
de  la  source  précitée.) 


256  CATHERINE    DE    MEDICIS 

destin,  ainsi  que  le  démontrent  les  calculs  de 
Cornélius  Agrippa  groupés  dans  sa  roue  de  for- 
lune  (i).  Déjà,  en  i548,  à  la  naissance  de  son 
second  fils,  Brantôme  nous  dit  que  Catherine 
avait  donné  à  cet  enfant  le  nom  de  Louis,  duc 
d'Orléans,  «  pour  lui  être  un  sort  heureux  comme 
à  ses  prédécesseurs,  les  Louis,  duc  d'Orléans, 
qui  ont  été  tous  braves  et  généreux  ». 

Catherine  changea  donc  le  nom  de  ses  trois 
autres  enfants  dans  le  même  but.  A  Maximilien, 
duc  d'Angoulême,  son  troisième  fils,  elle  donne 
le  nom  de  Charles,  qui  devint  roi  sous  le  nom 
de  Charles  IX.  Puis,  le  17  mars  de  Tannée  i565, 
au  cours  d'une  procession  solennelle  organisée  à 
Toulouse,  dit  encore  don  Frances  de  Alava,  la 
reine  a  ordonné  que  Mme  Marguerite  et  le  nou- 
veau duc  d'Orléans  fussent  publiquement  con- 
firmés, «  de  quoi,  ajoute  cet  ambassadeur,  les 
hérétiques  ont  éprouvé  un  grand  dépit  et  surtout 
de  ce  qu'on  a  changé  le  nom  du  dit  d'Orléans. 
Jusqu'ici  il  s'appelait  Edouard  comme  ses  deux 
parrains  :  le  roi  Edouard  d'Angleterre  et 
M.  de  Vendôme.  Maintenant  on  lui  a  donné  le 

(1)  Eugène  Defrance,  rOnomaîomancie,  étude  publiée 
dans  les  Forces  mentales,  revue  mensuelle  de  sciences  psy- 
chiques, p.  193,  année  1907.  Voir  gravure  p.  271  du  présent 
livre. 


CATHERINE    DE    MÉDICIS  257 

nom  d'Henri  (futur  Henri  HI)  el  il  a  fait  quelques 
démonstrations  publiques  d'être  bon  catholi- 
que ».  La  chose  ne  plut  pas  à  l'ambassadeur  d'An- 
gleterre qui,  furieux,  raconta  à  Alava  les  ins- 
tances que  Henri  II  avait  faites  autrefois  auprès 
de  la  cour  d'Angleterre  pour  qu'Edouard  VI 
acceptât  d'être  le  parrain  de  cet  enfant  aujour- 
d'hui débaptisé,  non  seulement  pour  lui  créer 
un  sort  heureux,  mais,  dit-il,  «  pour  plaire 
au  pape  (i)  ». 

Ce  fut  ensuite  le  tour  de  François,  duc  d'Alen- 
çon,  qui  cessa  de  s'appeler  François  pour  porter 
le  nom  d'Hercule.  Mais  V onomaiomancie  ne  fut 
pas  plus  favorable  à  ce  dernier,  qu'elle  ne 
l'avait  été  aux  précédents  :  «  Maintenant,  dit 
Giovanni  Michieli,  ce  pauvre  prince  risque  fort, 
à  ce  qu'on  dit,  de  perdre  un  œil,  ce  qui  me  rap- 
pelle le  pronostic  très  populaire  en  France,  du 
fameux  astrologue  appelé  Nostradamus,  qui 
menace  la  vie  de  tous  les  princes,  en  annonçant 
que  la  reine  doit  les  voir  tous  sur  le  trône  (2).  » 

Et  Brantôme  ajoute  en  manière  de   conclu- 

(1)  Dépêche  de  Don  Frances  de  Alava  au  roi  d'Espagne. 
Bordeaux,  29  mars  1565.  Archives  nationales,  K  1503,  n°  52. 
[Document  inédit,  traduction  de  M.  Léon  Marlet.) 

(2)  Giovanni  Michieli,  Relations  des  ambassadeurs  véni- 
tiens. (T.  I,  pp.  422  et  423.) 


258  CATHERINE  DE   MEDICIS 

sioB  :  ((  La  reine  par  tels  changements  de  noms 
pensoit  leur  baptiser  la  fortune  plus  longue,  et 
Yous  voyez  ce  qui  en  a  été;  j'ai  ouï  dire  à  au- 
cuns que  cela  porte  malheiar.  Le  roi  François  II 
ne  changea  jamais,  et  persista  toujours  an  sien, 
et  ne  fut  pas  plus  heureux  que  les  autres  en 
longueur  de  vie  (i).  » 


Deux  ans  après  la  consultation  de  Nostrada- 
mus  à  Salon-de-Graux,  survinrent,  dans  la  ville 
de  Vervins,  les  troubles  causés  par  la  possession 
satanique  de  Nicole  Aubry.  Voici  comment  les 
documents  du  temps  nous  content  cette  singu- 
lière aventure,  à  laquelle  Catherine  de  Médicis 
et  Charles  IX  s'intéressèrent  tout  particulière- 
ment. 

Nicole  Aubry  était  fille  d'un  boucher  de  Ver- 
vins,  mariée  à  un  maître-tailleur  de  l'endroit. 
Souvent,  elle  allait  prier  siir  la  tombe  de  son 
grand-père  maternel,  nommé  Vieilliot,^  mort 
sans  confession  quelques  années  avant  l'événe- 
ment qui  nous  occupe.  Un  jour  elle  crut  voir  son 

(1)    Brantôme,    les    Grands    Capilaines    français.    Édition 
Lalaune,  t.  V,  p.  293. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  251) 

grand-père  sortir  du  tombeau  où  il  reposait,  et 
elle  entendit  distinctement  que  le  mort  lui 
demandait  des  messes  poux  le  repos  de  son  àme 
qui  était  en  purgatoire.  Nicole  Aubry,  saisie  de 
frayeur,  tomba  gravement  malade  et  toute  la 
ville  s'intéressa  à  elle.  Mais  au  bout  de  quelques 
ïïioiSj  la  maladie  de  la  jeune  femme  ne  diminuant 
pas  d'intensité,  on  pensa  que  le  diable  avait  pris 
la  forme  de  Vieilliot,  grand-père  de  Nicole,  et 
que  celle-ci  était  maléfîciée.  Claude  Lautrichet, 
curé  de  Vervins,  et  maître  Guillaume  Lourdet, 
institateur,  conjurèrent  de  quitter  le  corps  de 
Nicole,  l'esprit  qui,  selon  eux,  se  déclarait  être 
le  bon  ange  du  défunt.  Mais  à  se&  paroles  et  à 
ses  effets,  dit  Boulvèse,  l'esprit  fui  jugé  ange 
mauvais  des  ténèbres  et  satanique. 

Pierre  Delamotte^  religieux  jacobin  et  exor- 
ciste renommé,;  fut  appelé  et  on  lui  présenta  la 
malade.  Avec  les  cérémonies  ordinaires  de  l'exor- 
cisme, il  réussit  à  faire  avouer  au  démon  enfermé 
dans  le  corps  de  Nicole  qu'il  était  Belzébuih 
en  personne.  Alors,  on  ordonna  des  prières 
publiques,  des  jeûnesy.  des  macérations,  et  un 
moine  se  fouetta  même  publiquement  pour  obte- 
nir l'expulsion  de  Belzébuth  du  corps  de  Nicole 
Aubry.  Après  un  nouvel  exorcisme,  au  cours 


260  CATHERINE    DE    MEDICIS 

d'une  messe  solennelle,  on  fît,  un  dimanche, 
communier  la  possédée.  Et  aussitôt^  dit  le 
chroniqueur,  elle  cessa  de  gambader.  L'un  des 
prêtres  officiants,  transporté  de  joie  devant 
cet  heureux  résultat,  s'écria  :  0  maître  Gonin, 
enfin  te  voilà  vaincu!  Mais  lorsque  l'hostie  fut 
digérée,  Satan  revint  et  paralysa  les  membres 
de  Nicole,  qui  se  tordait  sous  l'action  du 
maudit. 

Un  troisième  exorcisme  révéla  bien  d'autres 
phénomènes  :  «  Vingt-neuf  démons  noirs  et  sous 
la  forme  de  chats  gros  comme  des  moutons,  vin- 
rent renforcer  Belzébuth.  Vingt-six  furent  heu- 
reusement chassés  du  corps  de  Nicole  à  Notre- 
Dame-de-Liesse;  un  autre  prit  la  fuite  à  Pierre- 
pont  en  déclarant  que  le  reste  de  la  meute  démo- 
niaque ne  délogerait  du  corps  de  la  possédée 
que  devant  messire  Jean  de  Bourg,  évêque  et 
duc  de  Laon.» 

Le  lendemain  de  cette  séance,  les  moines  de 
Vervins  conduisirent  Nicole  Aubry  à  Laon,  près 
du  pieux  évêque.  Un  médecin  protestant  vint 
pour  visiter  la  malade  ;  mais  Jean  de  Bourg  s'op- 
posa à  cet  examen  et  ordonna  à  Spifaime,  che- 
valier de  Saint-Jean,  de  donner  asile  à  Nicole. 
Peu  de  jours  après,  en  la  cathédrale  de  Laon, 


•CATHERINE    DE    MEDICIS  2C1 

Jean  de  Bourg  exorcisa  la  possédée,  et  «  chacun 
reconnu  que  ce  n'était  plus  Belzébuth  qui  occu- 
pait le  corps  et  i'àme  de  Nicole,  mais  un  démon 
plus  dangereux  encore  que  Ton  nomme  Astaroth. 
Jean  de  Bourg  réussit  cependant  à  le  faire  délo- 
ger dès  le  commencement  de  son  exorcisme. 
Seulem.ent,  tout  le  monde  observa  que  Nicole 
n'était  pas  complètement  débarrassée  et  que 
deux  autres  personnages  infernaux  étaient  en- 
core en  elle.  Alors  Jean  de  Bourg  multiplia  ses 
gestes,  ses  ordres,  ses  prières,  et  le  démon  Cer- 
bérius  s'échappa  de  la  cathédrale  sous  la  forme 
d'un  gros  chien,  pendant  que  le  fameux  Belzé- 
buth s'échappait  également  sous  la  forme  d'un 
taureau,  en  criant  que  la  présence  de  Jésus  était 
bien  réelle  dans  le  sacrement  de  l'Eucharistie. 
Puis,  il  s'éleva  une  épaisse  fumée,  on  entendit 
deux  grands  coups  de  tonnerre  et  un  brouillard 
opaque  enveloppa  tous  les  clochers  et  pignons  de 
la  ville,  et  le  diable  disparut  enfin  dans  ce  brouil- 
lard. Quant  à  Nicole  Aubry,  elle  était  presque 
morte.  Cependant,  elle  fut  rendue  à  la  santé  par 
une  oraison  de  saint  Bernard  que  Jean  de  Bourg 
récita  sur  la  tête  de  la  malade.  Puis  il  confec- 
tionna, à  l'aide  d'une  relique  de  saint  martyr, 
un  talisman  qu'il  attacha   au  col  de  Nicole,  et 

15. 


262  CATHERINE    DE    MEDICIS 

après  une  journée  de  jeûne  et  de  prières,  elle  fut 
défînitivementsauvée(i).  » 

Aussitôt  que  Catherine  de  Médicis  et  Char- 
les IX  eurent  connaissance  de  cette  démence,  ils 
se  firent  transporter  à  Laon,  où  Nicole  était 
récemment  arrivée.  Dans  le  parc  de  Marchais, 
le  mardi  27  août  i566,  Nicole  Aubry  entourée  de 
tout  le  personnel  ecclésiastique  qui  avait  parti- 
cipé à  l'expulsion  de  «  ses  démons  » ,  fut  présentée 
au  roi  et  à  Catherine.  Après  s'être  fait  conter  en 
détails  le  miracle  de  Nicole,  Charles  IX  fit  re- 
mettre dix  écus  d'or  au  mari  de  la  possédée  (2). 

Les  événements  de  Vervins  et  de  Laon  ne 
constituent  pas  un  fait  isolé  dans  Thistoire  du 
seizième  siècle.  La  superstition  de  Catherine  a 
peut-être  encouragé  la  s^uperstition  générale  de 

(1)  et  (2)  BouLvÈSE,  Histoire  de  la  possession  qui  arriva  à 
Laon  en  1566,  citée  par  Garinet,  p.  127.  Boulvèse  était  alors 
professeur  de  langue  hébraïque  au  collège  de  Montaigu. 
Voir  aussi  :  Histoire  du  Diable  de  Laon  dans  les  Archives 
curieuses  de  VHisioire  de  France,  V^  série,  t.  VI,  pp.  261  à  267. 
En  1576,  Catherine  se  rendit  spécialement  au  château  de 
Lusignan,  en  Poitou,  pour  y  visiter  l'antique  demeure  de 
la  fée  Mélusine,  et  s'en  faire  conter  l'histoire  par  les  paysans 
de  l'endroit,  qui  affirmèrent  à  la  reine  que,  chaque  nuit,  ils 
voyaient  Mélusine  sous  la  forme  d'une  belle  femme  ayant 
la  fin  du  corps  en  serpent,  venir  se  baigner  dans  les  eaux  de 
la  fontaine  du  château.  (Brantôme,  Vie  de  M.  de  Montpen- 
sier,  édit.  du  Panthéon,  t.  I,  p.  485.) 


CATHERINE    DE    MEDICIS  2G3 

l'époque,  mais  en  tout  cas  elle  ne  Ta  certaine- 
ment  pas  créée  par  rintroduclion  d'Italie  en 
France  d'une  armée  d'astrologues  et  de  magi- 
ciens-envoùteurs.  Ces  idées  existaient  dans  notre 
pays  avant  la  venue  de  Catherine  et  elles  devaient 
rester  implantées  longtemps  encore  après  sa 
disparition.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'exemple  étant 
donné  en  haut  lieu,  toute  la  cour  et  la  ville 
croyaient  fermement  à  la  puissance  des  sorciers. 

A  côté  des  pratiques  occultes  de  Catherine, 
de  celles  de  Charles  IX  et  plus  tard  de  Henri  III, 
il  y  avait,  pour  autoriser  telles  croyances,  la 
parole  des  médecins  comme  Ambroise  Paré 
€t  celle  des  magistrats  comme  Henri  Boguet, 
grand' juge  de  la  terre  de  Saint- Claude  en 
Franche-Comté. 

«  Des  incrédules  osent  dire  qu'il  n'y  a  point 
de  sorciers,  déclare  sentencieusement  ce  juris- 
consulte, quant  à  moi,  je  ne  fais  nul  doute,  d'au- 
tant que  si  nous  jetons  les  yeux  sur  nos  voisins, 
nous  les  verrons  tous  fourmiller  de  cette  malheu- 
reuse et  damnable  engeance...  La  Savoie  n'en 
•est  point  vide,  car  elle«ou& envoie  tous  les  jours 
une  infinité  de  personnes  qui  sont  possédées  du 
démon.  Mais  quel  jugement  feronsruous  de  la 
France  ?  Il   est  bien  difficile  de  croire  qu'elle 


264  CATHERINE    DE    MEDICIS 

en  soit,  purgée,  attendu  la  grande  quantité  de 
sorciers  qu'elle  contenoit  du  temps  de  Trois- 
Echelles. 

«  Non,  non,  les  sorciers  marchent  partout, 
par  milliers,  et  multiplient  en  terre  tout  ainsi 
que  des  chenilles  en  nos  jardins,  ce  qui  est  une 
honte  aux  magistrats,  auxquels  appartient  le 
châtoi  des  crimes  et  délits.  Car,  quand  nous 
n'aurions  autre  chose  que  l'exprès  commande- 
ment de  Dieu  de  les  faire  tous  mourir  comme 
ses  plus  grands  ennemis,  pourquoi  les  endurons- 
nous  davantage?  En  nous  rendant  désobéissants 
à  la  majesté  du  Très-Haut,  nous  faisons  pire 
qu'eux,  puisque  la  désobéissance  est  comparée 
à  l'idolâtrie  et  à  la  sorcellcTie  par  Samuel,  par- 
lant au  roi  Saûl. 

((  Je  laisse  aussi  que  les  sorciers  ne  se  plaisent 
qu'à  mal  faire,  et  qu'ils  se  baignent  dans  la  mort 
des  personnes  et  du  bétail,  ce  qui  est  une  raison 
pour  laquelle  nous  sommes  poussés  naturelle- 
ment à  les  punir,  si  toutefois  nous  sommes  tou- 
chés de  quelque  humanité Je  dis  de  plus  que, 

quand  nous  ne  ressentirions  en  rien  de  ce  qui 
est  de  l'homme,  car  les  bêtes,  même  les  plus 
déraisonnables,  ne  souffrent  pas  entre  elles  celles 
qui  se  boudent  et  se  mutinent  contre  les  aultres, 


CATHERINE    DE    MICDICIS  265 

comme  nous  le  voyons  par  expérience.  L'auteur 
de  la  nature  nous  imprime  ce  commun  devoir 
dans  Pâme,  car  aussi  sans  cela,  le  monde  ne 
pourrait  subsister.  Par  ces  considérations,  donc 
il  est  bien  nécessaire  que  chacun  prête  la  main 
à  un  si  bon  office,  et  spécialement  ceux  qui  sont 
en  charge,  afin  que  nous  en  montrions  tels  que 
nous  avons  été  créés,  c'est-à-dire  hommes  et 
politiques,  et  que  nous  ne  fassions  foudroyer  sur 
nos  testes  Tire  et  d'indignation  du  Dieu  vivant. 
«  11  y  en  a  qui  ne  se  sont  pas  voulu  persuader 
que  tout  ce  qu'on  disoit  des  sorciers  étoit  véri- 
table. Mais,  par  une  grâce  spéciale  de  Dieu,  ils 
commencent  à  revenir  de  leur  erreur  et  Dieu 
leur  a  dessillé  les  yeux  que  Satan  leur  avoit 
bandés  pour  augmenter  son  règne.  Ces  mes- 
sieurs, dis-je,  commencent  à  s'adonner  à  faire 
rechercher  les  sorciers,  d'oii  j'augure  que  Satan, 
dans  peu  de  jours,  se  verra  terrassé  avec  ses 
suppôts.  Je  veux  bien  qu'il  sache  que,  si  les 
effets  correspondaient  à  ma  volonté,  la  terre  en 
seroit  bientôt  repurgée;  car  je  désirerois  qu'ils 
fussent  tous  unis  en  un  seul  et  mesme  corps, 
pour  les  faire  brûler  à  une  fois  en  un  seul  feu. 
Je  m'efforcerai  cependant  de  leur  faire  la  guerre, 
tant  par  la  justice  que  j'en  procurerai,  que  par 


:266  CATHERINE    DE    MEDICIS 

mes  petits  écrits,  comme  j'ai  déjà  fait  (i).  » 
Ainsi  la  crédulité  publique  était-elle  entrete- 
nue par  le  trône,  par  Tautel,  parla  magistrature 
et  par  la  science.  Aux  dénonciations  nombreuses 
succédaient  les  questions,  les  tortures  et  les  sup- 
plices de  tous  genres  qui  ne  faisaient  qu'accroître 
le  nombre  des  disciples  de  Satan.  Récits  effroya- 
bles narrés  dans  les  veillées,  livres  clandes- 
tinement vendus,  pieuses  neuvaines  et  pèleri- 
nages organisés  en  faveur  des  paroissiens  atteints 
de  la  griffe  du  diable^  menaces  d'excommuni- 
cation lancées  par  les  prédicateurs  contre  les 
impratiquants  de  la  délation  antidémoniaque 
imposée,  tels  étaient  les  plus  ordinaires  moyens 
de  propagande  involontaire,  pratiquée  en  faveur 
du  culte  des  ténèbres. 

Par  toute  la  France  de  la  fin  du  seizième  siècle 
les  bûchers  flambent,  pour  la  carbonisation  des 
sorciers.  La  présomption  de  sorcellerie  suffît 
pour  arrêter  les  personnes  soupçonnées  de  sor- 


(1)  Henri  Boguet,  Discours  des  Sorciers.  Préfaee-dédieace 
à  Fernand  de  Rye,  prince  du  Saint-Empire  romain,  abbé 
de  Saint-Oyan-de-Joux.  Lyon,  1602.  Ce  discours  est  suivi  du 
Code  des  Sorciers  rédigé  en  soixante-dix  articles  qui  est  un 
beau  modèle  de  la  cruauté  employée  de  bonne  foi  par  la 
jurisprudence  des  quinzième  et  seizième  siècles,  en  ma- 
iière  de  sorcellerie. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  207 

sellerie.  L'interrogatoire  suit  aussitôt  l'arresta- 
tion, «  parce  que,  dit  Boguet,  le  diable  assiste 
les  sorciers  en  prison  et  peut  les  sauver  par  ses 
conseils  ».  D'ailleurs,  il  est  bien  stipulé  au  juge 
chargé  d'une  affaire  de  magie,  «  qu'il  ne  doit  en 
rien  procéder  dans  son  instruction  comme  pour 
une  affaire  ordinaire  ».  Et  Boguet  prescrit  les 
mesures  suivantes  qui  sont  rigoureusement 
observées  par  ses  confrères  : 

«  Le  juge  doit  demander  à  l'accusé  s'il  a  des 
enfants. 

«  Il  doit  bien  adviser  à  la  contenance  des 
sorciers,  voir  si  le  prévenu  ne  jette  point  de 
larmes,  s'il  regarde  à  terre,  s'il  barbotte  à  part, 
s'il  blasphème  :  cela  est  indice. 

«  Souventla  honte em.pêche le  sorcier  d'avouer; 
c'est  pourquoi  il  est  bon  que  le  juge  soit  seul 
^vec  le  sorcier,  et  le  greffier  caché  pour  écrire 
les  réponses. 

«  Si  le  sorcier  a  devant  lui  un  compagnon  du 
sabbat,  il  se  trouble.  On  doit  raser  le  sorcier  à 
fin  de  mettre  à  découvert  le  sort  de  taciturnité. 
Il  faut  le  visiter  avec  un  chirurgien  pour  chercher 
les  marques  du  diable.  Si  l'accusé  n'avoue  pas, 
il  faut  le  mettre  dans  une  dure  prison  et  avoir 
gens  affidés  qui  tirent  de  lui  la  vérité.  Il  y  a  des 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


juges  qui  veulent  qu'on  promette  le  pardon 
et  qui  ne  laissent  pas  de  passer  à  l'exécution.  Le 
juge  peut  employer  la  torture,  mais  en  général 
elle  ne  fait  rien  sur  le  sorcier. 

«:  Si  l'accusé  se  trouve  saisi  de  graisses,  si  le 
bruit  public  l'accuse  de  sorcellerie,  il  est  sûre- 
ment sorcier.  Les  indices  légers  sont,  les  varia- 
tions dans  les  réponses,  le  regard  effaré.  Les  in- 
dices graves  sont,  la  naissance,  comme  si  par 
exemple  le  sorcier  est  enfant  de  sorcier,  s'il  est 
marqué,  s'il  blasphème.  Le  fils  en  tel  cas  est 
admis  à  déposer  contre  son  père.  Les  témoins 
reprochables  doivent  être  entendus  comme  les 
autres.  On  doit  surtout  entendre  les  enfants.  La 
peine  est  le  supplice  du  feu.  On  peut  aussi 
étrangler  les  sorciers  et  les  brûler  après,  mais  les 
loups-garous  doivent  être  brûlés  vifs.  On  con- 
damne toujours  justement,  même  sur  des  con- 
jectures et  des  présomptions  ;  mais  alors  on  ne 
brûle  pas,  on  pend.  Le  juge  doit  assister  aux 
exécutions  suivi  de  son  greffier  (i).  » 

Ce  code  si  plein  de  clémence  et  de  sentiments 

(1)  Henri  Boguet,  Instruclion  pour  un  juge  en  fait  de  sor- 
cellerie, publiée  à  la  fin  du  livre  précité.  Les  éditions  de  ce 
curieux  ouvrage  sont  très  rares  ;  la  famille  de  Boguet  en 
ayant  fait  détruire  la  majeure  partie  à  la  mort  de  l'auteur 
survenue  en  1619. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  2C9 

humanitaires,  reçut  en  1601  l'approbation  géné- 
rale des  juristes  français,  notamment  d'un  avo- 
cat de  Salins,  Daniel  Romanez  et  du  docteur  en 
théologie^  De  la  Barre,  quidéclaraitmême  quele 
livre  de  Boguet  était  rempli  de  plusieurs  belles 
el  bonnes  doctrines.  Aussi  suffisait-il,  en  effef, 
de  simples  conjectures  et  présomptions  pour 
être  accusé  de  magie  et  condamné  au  dernier 
supplice  (1). 

Seuls  les  magiciens  royaux  étaient  à  l'abri  de 
ces  poursuites,  jusqu'au  jour  où,  pourtant,  ils  per- 
daient la  confiance  de  leurs  maîtres  par  quelque 
insuccès  survenu  dans  leurs  expériences  ou  leurs 
prédictions;  c'est  précisément  ce  qui  arriva  à 
Trois-Echelles,  sorcier  précité  par  Boguet. 

Ce  Trois-Echelles  était  un  charlatan  fort  habile 
en  tours  de  passe-passe  et  scènes  magiques  ; 
c'est  pourquoi  Charles  IX,  lui  accordant  sa  pro- 
tection, se  l'était  attaché  pour  charmer  ses  loi- 
sirs. Un  jour,  devant  le  roi,  Ambroise  Paré,  les 
maréchaux  de  Montmorency  et  de  Retz,  le  sei- 

(1)  Henri  Estienne  parle  d'un  juge  de  son  temp.s  qui 
n'avait  qu'une  formule  en  matière  de  procès  démoniaque 
Si  le  prisonnier  était  vieux,  il  disait  :  «  Pendez,  pendez, 
car  il  en  a  bien  fait  d'autres!  »  Si  l'inculpé  était  jeune,  il 
disait  encore  :  «  Pendez,  pendez,  car  il  en  ferait  bien  d'au- 
tres !  » 


270  CATHERINE    DE    MEDICIS 

g-iieur  de  Lansac  et  M.  de  Mazille,  alors  premier 
médecin  du  roi,  Trois-Echelles  affirma  qu  il  lui 
était  donné  d'opérer  des  merveilles  magiques 
^râce  à  un  esprit  infernal  auquel  il  s'était  voué, 
et  que  durant  trois  années  cet  esprit  devait  rester 
son  allié.  Mais  cela  ne  fut  pas  du  goût  de 
Charles  IX  qui  détestait  les  possédés.  Trois- 
Echelles  fut  arrêté  et  mis  en  demeure  de  dé- 
noncer tous  les  possédés  qu'il  connaissait.  Le 
sorcier  cita  des  noms,  décrivit  le  sabbat  auquel  il 
assistait  régulièrement,  disait-il,  exposa  les  sa- 
crifices qu'on  y  faisait,  ainsi  que  les  paillardises 
auxquelles  se  livraient  les  possédés,  hommes  et 
femmes,  unis  au  diable.  Il  donna  également  la 
formule  de  poudres  et  onguents  magiques,  et 
Famiralde  Goligny,,qui  assistait  à  cet  interroga- 
t3ire,  confirma  la  déclaration  de  Trois-Écheiles 
ea  rapportant  qu'en  efîet,  un  valet,  utilisant  rune 
de  ces  poudres,  fit  mourir  deux  gentilshommes 
de  sa  connaissance,  en  saupoudrant  de  poison 
les  lits  dans  lesquels  ces  deux  personnages  cou- 
chaient ordinairement.  Goligny  ajouta  qu'après 
leur  mort,  ces  deux  gentilshommes  furent  trou- 
vés noirs  et  enflés.  Cependant,  Trois-Échelles 
supplia  Charles  IX  de  lui  accorder  sa  grâce,  ce 
qu'il  obtint.  Mais  peu  de  temps  après,  ayant  re- 


CATHERINE    DE    MEDICIS  271 


commencé  ses  folies,  il  fut  mis  à  mort  en  place 


Table  onomatomancienne  de  Cornélius  Agrippa. 

de  grève  à  Paris,  au  cours  de  Fannée  1571  (1). 
Ambroise  Paré,  auteur  de  ce  récit  que  confirma 

(I)  Ambroise  Paré,  Des  Monstres,  chap.XXX,  et  Jean  Bodin, 
ia  Déniono manie  des  Sorciers,  édition  de  1598,  pp.  375  à  377. 


272  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Bodin,  était  absolument  convaincu  de  la  présence 
du  démon  dans  le  corps  des  malades  psychiques. 
Son  livre  contient  toute  une  série  d'histoires  de  ce 
genre,  parmi  lesquelles  celle  du  valet  «  ensorcelé 
par  amour  »  n'est  certes  pas  la  moins  curieuse. 
Ce  médecin  nous  raconte  le  plus  sérieusement  du 
monde,  «  qu'un  domestique  de  sa  connaissance, 
nommé  Boucher,  estant  profondément  plongé  en 
vaines  cogitations  de  luxure,  vit  soudain  paraître 
un  diable  sous  forme  d'une  belle  femme.  Il  copula 
charnellement  avec  elle,  et  tout  aussitôt  ses  par- 
ties génitales  commencèrent  à  s'enflamber.  Il  lui 
sembloit  avoir  le  feu  dans  le  corps  lorsqu'enfin 
la  mort  vint  l'arracher  à  ses  tourments  (i)  ». 

Le  nombre  des  personnages  s'occupant  d'oc- 
cultisme et  attachés  à  la  personne  de  Charles  IX 
égalait  presque  en  importance  celui  delà  reine- 
mère.  Un  document  du  temps  nous  montre  «  ce 
monarque  très  chrestien  et  très  aymé  de  Dieu, 
malade  et  vivant  parmy  les  docteurs  sathany- 
ques,  disputans  et  vomissans  des  blasphèmes 
appris  en  l'école  de  Calvin  (2)  ». 

(1)  Ambroise  Paré,  Des  Monstres,  cliap.  XXVIII. 

(2)  Discours  des  présages  et  miracles  advenus  en  la  personne 
du  roy  et  parmy  la  France  dès  le  commencement  de  son  règne, 
par  F.  DE  Belleforest  Comingeois.  A  Lyon,  chez  Michel  Jove, 
1568.  {Bibliothèque  nationale,  L.  B.  33  214.  A  ;  p.  7). 


CATHERINE    DE    MEDICIS  278 

A  cette  catégorie  de  docteurs  spéciaux,  ap- 
partenait le  médecin-astrologue  Bernard  Abatia, 
sur  la  vie  duquel  nous  avons  peu  de  détails,  à 
part  la  liste  des  dépenses  d'habillement  soldées 
par  Charles  IX,  à  l'occasion  d'une  grande  fête- 
tournoi,  donnée  à  la  cour  en  i565  (i).  Mais  une 
autre  personnalité  du  même  groupe,  sur  laquelle 
nous  sommes  mieux  renseigné,  c'est  Jean  Gau- 
thier, baron  de  Plumerolles,  magicien-alchi- 
miste. Vers  1569,  il  persuada  Charles  IX  qu'il 
possédait  un  infaillible  moyen  pour  faire  de  l'or, 
mais  qu'une  somme  de  cent  vingt  mille  livres 
lui  était  nécessaire  pour  la  préparation  de  ses 
appareils,  et  la  marche  de  ses  premiers  essais. 
Après  quelque  hésitation,  Charles  IX  lui  fît 
compter  la  somme  demandée.  Jean  Gauthier  se 
mit  au  travail;  seulement,  au  bout  d'une  huitaine 
dejours,  il  prenait  la  fuite  en  emportant  les  cent 
vingt  mille  livres.  Furieux,  Charles  IX  envoya 
à  la  poursuite  de  l'alchimiste,  qui  fut  rejoint  aux 
environs  de  Beauvais,  et  aussitôt  pendu  (2). 

(1)  Archives  nationales,  K-K  ;  130,  p.  332.  [Comptes  de  r ar- 
gentier royal.) 

(2)  CoLLiN  DE  Plancy,  ouvr.  cité  antérieurement,  p.  542. 


274  CATHERINE    DE    MEDICIS 


De  tous  les  fils  de  Gatherme  de  Médicis^ 
Henri  HT  fut  assurément  celui  auquel  elle  légua 
le  plus  de  sa  superstition.  Nombreux  sont  les 
documents  et  pamphlets  qui  nous  présentent 
Henri  HI  comme  sorcier  «  visiteur  des  monas- 
tères de  nonnains  diaboliques  et  autres  lieux  de 
plaisirs  sacrilèges  ».  Ses  hypocrites  manifes- 
tations religieuses  ne  furent  jamais  goûtées  du 
peuple,  et  n'apparurent  que  comme  des  péni- 
tences que  ce  roi  s'imposait  pour  se  laver  de 
ses  luxures  et  de  ses  pratiques  en  sorcellerie. 
((  En  ce  temps,  le  roy,  dit  le  Journal  des  choses 
mémorables^  alloit  à  pied  par  rues  de  Paris  pour 
gagner  les  pardons  du  Jubilé  envoyé  en  France 
par  Grégoire  XIII,  accompagné  de  deux  ou  trois 
personnes  seulement,  tenant  en  main  de  grosses 
patenostreSj  disant  et  marmotant  par  les  rues. 
On  disoit  qu'il  le  faisoit  par  conseil  de  sa  mère 
afin  de  faire  croire  au  peuple  qu'il  estoit  fort 
dévot  et  bon  catholique,  pour  mieux  fouiller  aux 
bourses  des  bourgeois  de  Paris  ;  c'est  pourquoi 
on  luy  donna  tous  ces  titres  :  Henry,  par  la 
grâce  de  sa  Mère,  inutile  Boy  de  France  et  de 


CATHERINE    DE    MEDICIS  27.> 

Pologne  imaginaire,  Concierge  du  Louvre,  Mar- 
guillier  de  Sainl-Germain-VAuxerrois,  Amy  du 
Diable,  Basteleur  des  Églises  de  Paris,  Gendre 
de  Colas,  Gaudronneur  des  collels  de  sa  femme 
et  frisear  de  ses  cheveux.  Mercier  du  Palais, 
Visiteur  d^estuves.  Gardien  des  quatre  mandians, 
Père  conscript  des  Blancs-battus  et  Protecteur 
des  Capuchins  (i). 

Un  ouvrage  publié  peu  de  temps  avant  Tas- 
sassinat  de  Henri  III  contient  diverses  anec- 
dotes relatives  aux  sortilèges  de  ce  roi  licen- 
cieux et  incapable;  voici  quelques  extraits  de 
ce  livre  rare  : 

«  Henry  de  Valois  etd'Épernon,  avec  ses  aul- 
Ires  mignons,  faisoient  quasi  publiquement  pro- 
fession de  sorcellerie  estant  commune  à  la  cour 
entre  iceux  et  plusieurs  aultres  personnes  dé- 
voyées de  la  foy  et  religion  catholiques.  H  n'a 
pas  été  instruit  en  France  de  cette  abominable 
science,  car  du  temps  du  feu  roy  François  P% 
la  France  n'était  pas  empoisonnée  de  telles  abo- 
minations. Plusieurs  schismes,  hérésies,  hypo- 
crisies, simonies,  parricides,  meurtres,  injusti- 

(1)  Journal  des  choses  mémorables  advenues  durant  tout  le 
règne  Ce  Henry  III,  roy  de  France  el  de  Pcligne  ;  année  157G 
m  Dis  d'aoït,  p.  19. 


276  CATHERINE    DE   MEDICIS 

ces,  paillardises,  incestes,  sodomies  et  aposta- 
sies n'y  étoient  ni  connus,  ni  entretenus... 

«  On  a  trouvé  chez  d'Epernon  un  coffre  plein 
de  papiers  de  sorcellerie  auxquels  il  y  avait  divers 
mots  d'hébreu,  chaldaïques,  latins,  et  plusieurs 
caractères  inconnus,  des  rondeaux  ou  carmes, 
esquels  à  l'entour  il  y  avoit  diverses  figures  et 
escritures,  même  des  miroirs,  onguens  et  dro- 
gues, avec  des  verges  blanches,  lesquelles  sem- 
bloient  estre  de  couldre,  que  l'on  a  incontinent 
brûlées  pour  Thorreur  qu'on  en  avait... 

((  On  a  trouvé  aussi  dernièrement  au  boys  de 
Vincennes  deux  satyres  en  argent,  de  la  hauteur 
de  quatre  pieds.  Ils  étoient  au-devant  d'une  croix 
d'or,  au  milieu  de  laquelle  y  avoit  enchâssé  du 
bois  de  la  vraie  croix  de  Notre  Seigneur  Jésus 
Christ.  Les  politiques  disent  que  c'étoient  des 
chandeliers.  Mais  ce  qui  fait  croire  le  contraire, 
c'est  que  dans  ces  vases,  il  n'y  avoit  pas  d'ai- 
guille qui  passoit  pour  y  mettre  un  cierge  ou 
une  petite  chandelle,  et  que  (ces  satyres)  tour- 
noient le  derrière  à  la  dite  vraie  croix,  et  que 
deux  anges  ou  simples  chandeliers  y  eussent  été 
plus  décens  que  ces  satyres  estimés  par  les 
païens  pour  être  les  dieux  des  forêts,  où  l'on  tient 
que  les  mauvois  esprits  se  trouvent  plutôt  qu'en 


CATHEHINE    DE    MEDICIS  277 

aultres  lieux.  Ces  monstres  diaboliques  ont  esté 
vus  par  messieurs  de  la  ville  (i).  » 

Vient  ensuite  la  description  d'un  talisman 
semblable  à  celui  attribué  à  Catherine:  u  Outre 
ces  deux  figures  diaboliques,  continue  le  narra- 
teur, on  a  trouvé  une  peau  d'enfant,  et  suricelle 
y  avoit  aussi  plusieurs  mots  de  sorcellerie  et 
plusieurs  caractères.  Lorsque  plusieurs  (hommes 
et  femmes)  dans  les  années  i586et  1687,  avoient 
esté  condamnés  pour  sorcellerie,  il  (Henri  III) 
les  faisoit  renvoyer  absous.  Il  ne  faut  donc  pas 
s'émerveiller  si,  ayant  délaissé  Dieu,  Dieu  ne 
Tait  aussi  délaissé.  Tout  ce  qu'il  alloit  souvent 
au  boys  de  Vincennes,  n'étoit  que  pour  entendre 
à  ses  sorcelleries,  et  non  pour  prier  Dieu  (2).  » 


(1  et  2)  Les  Sorcelleries  de  Henri  de  Valois,  et  les  ohlations 
qu'il  faisoit  aa  diable  dans  le  boys  de  Vincennes.  A  Paris,  chez 
Didier- Millot,  1589.  (Voir  cet  ouvrage  passim.)  Une  curieuse 
gravure,  illustrant  ce  livre,  représente  les  deux  satyres 
d'argent  sus-décrits.  Le  Journal  des  choses  curieuses,  déjà 
cité,  pp.  16  et  17,  nous  apprend  que  le  «  quinzième  jour 
d'avril,  jour  de  Pasques  flories,  le  roy  fit  publier  aux 
prosnes  de  toutes  les  paroisses  de  Paris,  qu'ilavoit  fait  faire 
une  croix  de  nouveau,  semblable  à  celle  qui  devoit  estre 
à  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  qui  avoit  esté  dérobée  l'année 
précédente,  et  qu'en  icelle  il  avait  fait  enchâsser  une  par- 
tie d'une  grande  pièce  de  la  vraye  croix  de  JSostre  sei- 
gneur, gardée  en  une  aultre  grande  croix  double  au  thrésor 
de  ladite   Sainte-Chapelle,  et  que  tout  chacun  l'allàt  durant 

16 


278  CATHERINE    DE    MEDIGIS 

Il  se  peut  en  effet  que  Henri  III  ait  accordé 
sa  grâce  à  plusieurs  sorciers;  mais  cependant 
en  1578,  un  certain  Jacques  RoUet  ayant  été 
accusé  de  sorcellerie  et  de  lycanthropie,  et  con- 
vaincu d'avoir,  sous  forme  de  loup-garou,  man- 
gé bonne  partie  d'un  petit  garçon  qui  lui  tomba 
sous  la  dent,  Henri  III  le  laissa  parfaitement 
condamner  au  supplice  du  feu  (1). 

Un  autre  pamphlet  nous  présente  Henri  III 
instituant  une  école  de  magie  au  Louvre,  et 
s'entretenant  avec  un  mauvais  génie  du  nom  de 
Terragon,  «  esprit  tiré  des  soixante  esprits  nour- 
ris en  l'école  de  Soliman  ». 

«  Henry  vous  savés  que  lorsque  vous  donnâtes 
liberté  à  tous  sorciers  et  enchanteurs  et  auitres 
devinateurs,  détenir  libres  escoles  ez  chambres 
de  vostre  Louvre  et  même  dans  vostre  cabinet, 
à  chacun  d'iceux  une  heure  le  jour,  pour  mieux 
vous  en  instruire,  vous  savés  qu'ils  vous  ont 
donné  un  esprit  familier  nommé  Terragon.  Henry 
vous  savés  qu'aussitôt  que  vous  vîtes  ce  Terra- 
gon, vous  l'appelâtes  vostre  frère  en  l'accolant 


la  saincte  semaine  et  auUres  jours  de    dévotion  baiser  et 
adorer  comme  de  coustume,  de  quoy  le  peuple  de  Paris  fut 
fort  joyeux  et  content  ». 
(1)  De  Lancre,  Arrêts  notables  de  Paris,  p,.  785. 


CATHERINE    DE    ^lEDICIS  27Î) 

et,  la  nuit  suivante^  il  coucha  dans  vostre  cham- 
bre, seul  avec  vous  dans  vostre  lit.  Vous  savez 
aussi  qu'il  tint  sur  vostre  nombril  un  anneau,  et 
sa  main  liée  dans  la  vostre  et  fut  le  matin  vostre 
main  trouvée  comme  toute  ceinte.  Terragon  vous 
mit  sur  icelle  un  applic,  et  ce  matin  vous  montra 
Cjue  dans  la  pierre  de  cet  anneau,  était  là  votre 
âme  figurée. 

«  Henry  vous  savés  bien  que  cedit  Terragon 
eut  affaire  un  jour  à  une  fille  de  joie  en  la  cham- 
bre secrète,  de  quoi  icelLe  cuida  mourir  suivant 
récit  qu'elle  a  fait  à  ses  privés  amis,  certifiant 
que  Nogaret  ou  Terragon  n'est  point  un  homme 
naturel,  parce  que  son  corps  est  trop  chaud  et 
trop  brûlant.  C'est  par  charme  et  sortilège  que 
vous  avés  donné  pour  espoux  à  la  comtesse  de 
Foix  vostre  démon  favori.  Elle  a  dit  que  la  pre- 
mière nuit  de  ses  noces  ce  fut  Terragon  qui  la 
fît  évanouir,  et  puis  le  matin  se  trouva  couché 
près  d'elle,  et  alors  icelui  Terragon  la  voulût 
dépuceler  ;  elle  ne  sçut  endurer  sa  chair  si  chaude 
qu'elle  étoit,  et  dont  le  jour  ensuivant  ne  cessa 
de  plorer  devant  sa  tante  (i).  » 

(1)  Remontrances  à  Henry  de  Valois  sur  les  choses  horribles 
envoyées  par  un  enfant  de  Paris,  chez  Jacques  Grégoire, 
28  janvier  1589,  1  vol.  in-8,  passini. 


230  CATHERINE    DE    MEDICIS 

D'autres  chroniqueurs  prétendirent  aussi  que 
Henri  III  fit  un  jour  venir  au  Louvre  une  pros- 
tituée qu'il  livra  à  son  diable  familier^  et  que  la 
pauvre  fille  pensa  en  mourir  de  frayeur.  «  C'est 
par  cette  accusation  de  sorcellerie,  dit  l'Estoile, 
qu'on  mit  le  poignard  dans  les  mains  du  moine 
Jacques  Clément  (i),  et  que  les  Ligueurs  avaient 
auparavant  tenté  d'envoûter  ce  roi,  à  l'aide  de 
statuettes  de  cire  le  représentant,  et  qu'un  prêtre 
piquait  chaque  jour  au  cours  d'une  messe  dite 
sur  un  autel  chrétien  (2).  » 

(1)  Les  Cabalistes  contemporains  de  la  mort  de  Henri  III, 
déclarèrent  que  Jacques  Clément  était  prédestiné  pour  le 
crime,  parce  qu'en  transposant  les  lettres  de  :  Frère  Jacques 
Clément,  on  obtenait  la  phrase  suivante  :  Cesl  l'enfer  qui  m'a 
créé  !  Une  curieuse  gravure  du  temps  représente  Henri  IV 
descendu  aux  enfers,  guidé  par  Louis  IX,  et  rencontrant 
l'assassin  de  son  prédécesseur  au  milieu  des  démons  [collec- 
tion de  l'auteur). 

(2)  Pierre  DE  l'Estoile,  Véritable  fatalité  de  Saint-Cloud, 
art.  8,  et  Garinet,  Histoire  de  la  magie  en  France,  p.  134.  Sur 
ce  même  sujet,  voir  également  les  curieux  ouvrages  ci- 
après  :  Le  Discours  au  uray  sur  la  mort  et  trespas  de  Henry 
de  Valois,  lequel  est  décédé  le  2«  jour  de  ce  présent  mois 
d'août  18.59.  A  Paris,  chez  F.  Tabart,  1539;  in-8,  pièce  rare. 

—  Derniers  propos  du  roy  consolant  avant  sa  mort  ses 
fidèles  sujets,  avec  le  serment  et  promesse  du  roy  à  son  aduène- 
ment  à  la  Couronne;  suivy  du  serment  réciproque  des  princes 
du  sang  et  aultres  ducs,  pairs,  etc.,  à  Sa  Majesté  (S.  1.  ni  d., 
pièce  in-8,  rare). 

«  Discours  entier  et  véritable  des  entreprises  et  conspirations 
secrettes   faites   contre   la  personne  de  Henry  de  Valois,  très 


CATHIIRINE    DI-.    MKDICIS  2S1 


Qu'il  y  ait  une  part  à  faire,  dans  ces  récits, 
pour  la  fantaisie  et  l'exagération  des  faits  rap- 
portés, ceci  ne  peut  être  mis  en  doute.  Mais  il 
est  aussi  certain  que  la  superstition  de  Cathe- 
rine de  Médicis  et  celle  de  ses  fils  Charles  IX  et 
Henri  III,  ont  été  le  début  de  la  grande  fièvre 
démoniaque  qui  devait  se  manifester  avec  tant 
ai  troubles  au  dix-septième  siècle.  C'est  en 
vain  que  la  persévérance  cruelle  d'un  Henri 
Boguet,  jointe  à  celle  des  Bodin,  des  de  Lancre 
et  autres  juges  anti-démoniaques,   jointe  aussi 


chreslien  roy  de  France  et  de  Polongne,  donl  est  ensuyuie  sa 
mort  parla  main  d'un  jeune  jacobin,  le  V"  d'août  1589.  (A  Caen, 
de  l'Imprimerie  de  J,  Brenouzet,  1589,  pièce  in-8,  rare.) 

«  Charmes  et  caractères  de  sorcellerie  de  Henry  de  Valoys, 
trouvez  en  la  maison  de  Miron,  son  premier  médecin  et  conseil- 
ler privé.  (A  Paris  chez  J.  Parent,  1589,  pièce  in-8,  rare).  Le 
recueil  de  Pierre  de  l'Estoile  intitulé  :  Les  belles  figures  de  la 
Ligue  a.u  chap.  II,  fol.  17,  section  Vï,  §  19,  n°  6,  contient  éga- 
lement le  Portrait  des  charmes  et  caractères  de  sorcellerie  de 
Henry  de  Valoys,  troisième  du  nom.  (S.  1.  ni  d.  in-fol.  plans). 

«  Les  Prophéties  merveilleuses  advenues  à  l'endroit  de  Henry 
de  Valois,  troisième  du  nom,  jadis  roy  de  France.  Paris,  chez 
A.  du  Breuil,  15s9  {pièce  in-8,  rare). 

«  La  sorcellerie  de  Jean  d'Espernon,  avec  les  lamenl.ations 
d'iceluy  et  du  roi  de  Navarre  sur  la  mort  de  Henry  de  Vallois 
(S.  1.  ni  d.  in-fol.  piano).  Cette  publication  est  également, 
insérée  dans  le  recueil  de  Pierre  de  l'Estoile  précité  :  Les 
belles  figures  de  la  Ligue,  fol.  15,  chap.  Il,  sect.  VI,  |  ,19. 

Toutes  ces  brochures  rarissimes  sont  conservées  à  la 
Bibliothèque  nationale,  dans  la  série  L.  f,  34. 

in. 


282  CATHERINE    DE    MEDICIS 

à  la  parole  d'un  dom  Calmet  et  aux  arrêts  du 
Saint- Office,  tenteront  d'enrayer  la  propaga- 
tion d'une  telle  démence  î  Henri  III  a  donné  le 
branle  durant  tout  son  règne  et  l'élan  ne  pouvait 
aller  qu'en  progressant  jusqu'à  l'avènement  de 
Louis  XV.  Tout  ce  que  la  science  d'alors  ne 
savait  expliquer,  était  immédiatement  attribué 
au  démon.  Gà  et  là,  une  intelligence  plus  vaste 
que  les  autres  s'élève  parfois  en  osant  des  pro- 
testations timides  ;  mais  c'est  une  faible  mino- 
rité. Pierre  Pigray,  médecin-chirurgien  de 
Henri  III,  fut  pourtant  l'un  de  ces  raisonneurs 
éclairés  ;  en  voici  deux  preuves  que  je  prends 
au  hasard  des  écrits  laissés  par  ce  médecin, 
moins  connu  qu'Ambroise  Paré,  et  qui  cependant 
possédait  un  savoir  au  moins  égal  à  celui  du 
chirurgien  célèbre. 

Les  capucins  de  Paris,  dont  Henri  III  fré- 
quentait assidûment  le  couvent,  avaient  chez 
eux,  comme  domestique,  une  fille  jugée  démo- 
niaque. Le  roi  en  ayant  eu  connaissance,  en- 
voya Pierre  Pigray,  accompagné  de  deux  autres 
médecins,  Botel  et  Leroi,  pour  examiner  la  ma- 
lade :  ((  Nous  fîmes  quelques  demandes  à  la 
fille,  dit  Pigray,  elle  ne  nous  répondit  que  par 
des   sornettes.   Nous  prîmes  la    mère  de    cette 


CATHERINE    DE    MEDICIS  283 

fille  en  particulier,  et  elle  nous  avoua  que  sa 
fille,  par  suite  de  débauche,  était  malade.  Après 
avoir  reconnu  le  fait,  nous  reconnûmes  tous  les 
symptômes  d'une  gonorrhée  virulente,  que  nous 
appelons  chaude-pisse  en  français.  Le  prieur 
du  couvent  fit  des  interrogations  en  latin;  la 
fille  répondit  fort  mal  en  cette  langue.  Un  prê- 
tre de  Saint-Germain  découvrit  la  fraude  au  roi. 
Ce  prince  se  fit  présenter  la  fille  dans  une  ferme 
peu  éloignée  de  Tabbaye  Saint-Antoine.  Là,  elle 
fut  visitée  par  des  sages-femmes  qui  déclarèrent 
qu'elle  n'était  pas  pucelle  ;  la  chaude-pisse  en 
était  bien  la  meilleure  preuve.  Le  roi  désira  voir 
par  lui-même,  et  caché,  ce  qui  se  passerait  en- 
tre nous  et  la  possédée,  et  il  tenait  la  porte 
entr'ouverte.  Quand  nous  étions  prêts  à  faire 
notre  rapport,  un  jeune  homme  vint  m'avertir 
que  cette  fille  avait  été  fouettée  sur  la  place 
d'Amiens^  deux  ans  auparavant.  L'évêque  de 
cette  ville  avait  été  promu  au  siège  de  Paris; 
il  vint  dire  au  roi  qu'il  se  rappelait  fort  bien  que 
cette  fille  et  sa  famille  étaient  venues  à  Amiens,' 
et  que  cette  fille  ayant  fait  la  possédée,  il  favait 
fait  venir  à  févêché,  que  là  un  de  ses  valets  dé-, 
guisé  en  prêtre  ayant  commencé  à  lire  les  épî- 
tres  de  Cicéron,  cette  fille  avait  convulsionné  et 


281  CATHERINE    DE    MEDICIS 

pour  faire  connaître  la  fraude,  il  l'avait  fait  fouet- 
ter. Sur  le  rapport  de  cet  évêque,  le  roi  ordonna 
enfin  d'enfermer  la  prétendue  possédée  (i).  » 

Au  début  de  l'année  iSSg,  le  parlement  de 
Paris  s'était  réfugié  à  Tours.  Quatorze  personnes 
condamnées  au  bûcher  pour  sorcellerie  appe- 
lèrent devant  ce  parlement,  de  la  peine  de  mort 
prononcée  contre  elles.  Henri  III  nomma  pour 
commissaires  chargés  de  l'examen  médical  des 
condamnés,  Pierre  Pigray,  Faileseau,  Leroi  et 
Renard,  tous  quatre  ses  médecins  particuliers. 
«  La  Visitation  des  sorciers,  dit  Pigray,  fut  faite 
en  présence  de  deux  conseillers  de  la  cour.  Les 
premiers  juges  les  avaient  condamnés  sous  pré- 
texte qu'ils  avaient  des  marques  diaboliques 
insensibles  sur  le  corps.  Nous  les  visitâmes  fort 
diligemment,  les  faisant  dépouiller  tout  nus.  Ils 
furent  piqués  en  plusieurs  endroits,  mais  ils 
avaient  le  sentiment  fort  aigu.  Nous  les  interro- 
geâmes sur  plusieurs  points,  comme  on  fait  pour 
les  mélancoliques.  Et  nous  n'y  reconnûmes  que 
3e  pauvres  gens  stupides,  les  uns  qui  ne  se  sou- 
ciaient guère  de  mourir,  les  autres  qui  le  dési- 
♦raient.  Notre  avis  fut  qu'il  leur  fallait  plutôt  bail- 
li) Chirurgia  Pet  ri  Pigrei.  (1  vol.  in-8,  Paris  1609.)  Cha- 
pitre X  du  liv.  VII,  traduction  de  Garinet. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  2S5 

ier  de  l'hellébore  pour  les  purger  que  de  leur  ap- 
pliquer des  tourments.  Le  parlement,  après  une 
mûre  délibération,  les  renvoya  tous  chez  eux 
sans  leur  infliger  aucune  punition  (i).  » 

De  telles  démontrations  ne  pouvaient  certes 
suffire  pour  enrayer  cette  évolution  bizarre, 
changer  l'opinion  publique  et  les  pratiques  de 
dégénéré  auxquelles  se  livrait  Henri  III.  Chaque 
jojr,  Satan  le  Prince  des  iniques^  dit  Eustorg 
de  Beaulieu,  est  de  plus  en  plus  puissant.  Le 
roi  a  conservé  l'astrologue  de  son  frère  Char- 
les IX,  ce  Bernard  Abatia  déjà  cité.  Dans  le 
personnel  de  la  maison  royale,  il  occupe  un 
rang  qui  le  classe  parmi  le  service  de.  santé, 
après  les  deux  barbiers,  les  valets  de  chambre 
et  les  cinq  chirurgiens  de  Henri  111(2). 

Au  cours  de  la  nuit  du  20  au  21  janvier  de 
Tannée  i583,  le  roi  eut  un  terrible  cauchemar. 
«  Le  21  au  matin,  après  avoir  communié  et  fait 

ses  prières   et  dévotions  au  couvent  des  bons- 

j. 

hommes  de  Nigeon,  auquel  il  donna  cent  escus, 
dit  le  Journal  des  choses  mémorables,  le  roy 
revint  au  Louvre  où,  arrivé,  il  fit  tirer  à  coups 

(1)  Chirargia  Pétri  Pigrei,  déjà  cité. 

(2)  Archives  nationales,  K-K  :  UO.  Comptes  de  l'Espargne 
du  rov,  année  1580. 


286         •  CATHERINE    DE    MEDICIS 

d'arquebusades  tous  les  lions,  ours,  taureaux  et 
autres  semblables  qu'il  faisoit  nourrir  pour 
combattre  avec  ses  dogues:  et  ce,  à  l'occasion 
d'un  songe  qui  luy  étoit  advenu  par  lequel  il 
luj  sembla  que  les  lions,  dogues  et  ours  le 
niangeoient  et  le  dévoroient.  »  Après  cette  scène 
de  boucherie,  Henri  conta  son  rêve  à  son  astro- 
logue, et  lui  en  demanda  l'explication.  Le  devin 
lui  dit  ((  sur  ce  sujet,  que  n'est.oient  pas  ces  lions 
ou  ces  animaux-là  qui  luy  en  vouloyent,  mais 
tous  les  grands  seigacurs  du  temps  qui  estoient 
contre  son  Estât  et  contre  son  service  (i)  ».  Et 
peu  s'en  fallut  que  Ton  n'assistât  à  une  Saint- 
Barthélémy  nouvelle. 

Dès  cette  année  i583,  la  Compagnie  de  Jésus, 
d'accord  avec  les  Guises,  commence  son  action 
dans  l'ombre.  Le  livre  du  jésuite  Jean  Mariana 
constitua  l'une  des  premières  attaques  directe- 
ment lancées  contre  Henri  IIL  Dans  cet  ouvrage, 
intitulé  :  «  De  RegetRegio,  »  imprimé  àMayen- 
ce,  de  violentes  imprécations  sont  prononcées  à 
l'égard  du  roi  en  raison  «  du  culte  démoniaque 
auquel  il  s'adonne  avec  paillardise  ) .  Mais  la  Sor- 
bonne  veillait;  le  livre  fut  condamné  par  la  Fa- 

(1)  Journal  des  choses  mémorables,  etc.,  pp.  63  et  61. 


CATHEfJlNE    DE    MI.DICIS  287 

culte  cle  théologie  de  Paris,  et  brûlé  par  la  mai;t 
du  bourreau  vis-à-vis  le  porche  de  Notre-Dame. 
Dès  lors,  Pleriri  III  sentit  tout  le  danger  qui 
entourait  son  trône/  S'il  trembla  en  face  des 
menaces  de  Jean  Mariana,  il  n'eut  pas  moins 
peur,  un  malin,  à  son  réveil  en  sa  chambre  de 
Biois,  devant  une  chandelle  de  cire  verte  piquée 
de  cinq  clous  disposés  en  forme  de  croix,  et  im- 
primée de  signes  gnostiques  :  envoûtement  d'un 
nouveaugenre  qu'à  Tinstigationdesjésuitesespa- 
gnols,  Jean  Juvregni  et  Yenero  utiliseront  plus 
tard  à  Anvers  contre  Guillaume  III  "d'Angle- 
terre (i).  Et  lorsqu'il  constatera  les  étranges  cir- 
constances qui  marqueront  la  mort  de  sa  mère, 
Henri  III  reconnaîtra  que  «  Sathan  le  grande 
a  décidément  vaincu  le  Jéhovah  des  Prêtres  (2)  »  î 


(1)  Vat't  d'assassiner  les  roys,  enseigné  par  les  jésuites  à 
Louis  XIV  el  à  Jacques  II ;  Londres,  1696,  chez  Thomas 
Fulher,  in-12  de  184  pages.  (Voir  p.  84.)  Dans  ce  livre, 
Henri  III  est  accusé  d'avoir  ordonné  le  massacre  de  la 
Saict-Barthélemy.  (p.  135.) 

(2)  Frère  JosuÉ  Garducci,  Hymne  à  Saian  ;  publié  à 
Turin,  sans  date. 


CHAPITRE  IX 


LES  PRÉSAGES  ASTRONOMIQUES  POUR   l'aNNÉE    IDSq 
ET  LA  MORT  DE    CATHERINE   DE  MÉDICIS 


L'an  i588  constitue  une  période  pénible  pour 
Catherine.  Elle  approche  de  sa  soixante-dixième 
année,  et  les  négociations  qu'elle  a  dû  traiter 
avec  les  Ligueurs,  au  lendemain  de  la  fameuse 
journée  des  Barricades^  semblent  avoir  épuisé 
sonextraordinaire  énergie.  Durantquelques  mois, 
elle  habite  encore  Paris,  mais  sans  aucune  ac- 
tion marquée.  Puis,  au  commencement  de  sep- 
tembre i588,  apprenant  soudain  que  Henri  III  a 
brusquement  congédié  de  la  cour  les  ministres 
qui  avaient  été  pour  elle  des  conseillers  amis, 
elle  en  éprouve  un  profond  chagrin.  Pour  réagir 


CATHERINE    DE    MEDICIS  289 

contre  cette  atteinte  portée  à  sa  dignité  de  reine- 
mère,  et  à  l'affection  qu'elle  accordait  à  ses  ser- 
viteurs dévoués,  elle  se  rend  à  Blois,  le  20  sep- 
tembre, pour  assister  aux  séances  des  Etats-Géné- 
raux qui  se  tiendront  en  cette  ville  à  partir  du  16 
octobre.  Ces  séances  sont  monotones,  pleines 
de  discussions  oiseuses  et  n'intéressent  nulle- 
ment Catherine. 

Ayant  pris  beaucoup  d'embonpoint,  elle 
soutîre  d'amphysème.  Aussi  ne  sort-elle  pas  du 
château  où  elle  se  soigne  depuis  son  arrivée  à 
Blois.  A  peine  s'est-elle  occupée  d'envoyer  Jé- 
rôme de  Gondi  en  Italie,  avec  une  mission  assez 
mal  définie,  et  des  recommandations  pour  tous 
les  hauts  personnages  de  la  péninsule  italique. 
Henri  III  la  soupçonnant  de  favorisersourdement 
le  parti  des  Guises,  toute  la  cour  la  tient  à  l'é- 
cart. C'est  pour  elle  le  retour  de  l'isolement 
subi  dans  ses  débuts  à  la  cour  de  France,  alors 
qu'elle  avait  à  lutter  contre  l'influence  de  l'al- 
tière  maîtresse  de  son  mari.  Après  trente  ans  de 
règne,  de  grandeur,  de  luttes  habilement  diri- 
gées, elle  se  trouve  face  à  face  avec  les  mêmes 
inquiétudes,  les  mêmes  regrets,  les  mêmes  soup- 
çons. L'ingratitude  flagrante  de  Henri  III,  ce 
fils  qu'elle  a  le  plus  aimé  parmi  tous  ses  enfants, 

17 


290  CATHERINE    DE    MEDICIS 

celui  auquel  elle  a  tout  sacrifié,  lui  est  une  chose 
cruelle  et  stérilisante. 

Elle  n'écrit  plus.  Sa  correspondance  minutieu- 
sement entretenue  et  rédigée  est  complètement 
suspendue.  Le  6  décembre,  elle  envoie  pourtant 
un  mot  decondoléance  à  Robert  Miron  qui  vient 
d'être  disgracié  à  son  tour,  et  c'est  tout(i)... 

Le  jour  où  elle  évoquait  sa  dernière  lettre  à 
Miron,  Catherine  s'alitait.  Quinze  jours  plus 
tard,  exactement  le  20  décembre,  Henri  III  écri- 
vait la  lettre  suivante  au  marquis  de  Pisany,  son 
ambassadeur  à  Rome  : 

«  Vous  pourrez  ouyr  parler  de  quelque  indis- 
position qu'à  eu  la*  royne  ma  dame  et  mère,  de 
fièvre  et  rhume  qui  m'a  tenu  un  peu  en  peine  : 
mais  elle  en  est  à  présent,  Dieu  mercy,  garantie 
de  danger,  et  espère  que  dans  peu  de  jours  elle 
sera  du  tout  guérie  (2).  » 

Trois  jours  après,  de  grand  matin,  étant  cou- 
chée dans  une  chambre  située  au-dessus  du  ca- 
binet du  roi,  elle  entend  un  bruit  inaccoutumé, 
suivi  dans  tout  le  château  d'une  agitation  extra- 


{!)  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  publiées  par  M.  le 
comte  Baguenault  de  Puchesse.  T,  IX,  Introduction, 
pp.  18  et  lit. 

(a)  Même  source,  p.  395,  noie. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  291 

ordinaire.  Avec  effroi  elle  demande  ce  qui  se 
passe  ;  mais  aucun  de  ses  gens  n'ose  lui  répondre. 
C'est  Henri  III  qui  devait  bientôt  lui  apprendre  la 
cause  de  ce  tumulte,  ainsi  que  nous  l'a  rapporté  le 
greffier  Jacques  Garorguy:  «  Le  roy,  dit-il,  se 
transporta  sur  l'heure  (le  28  décembre,  immédia- 
tement après  l'assassinat  de  Guise),  vers  la  royne 
sa  mère  qui  estoit  malade,  à  laquelle  il  fist  en- 
tendre qu'il  estoit  mort.  A  quoy  elle  répondit  en 
soupirant,  en  ces  mots  :  Mon  fils,  vous  avez  mis 
vostre  personne  et  le  royaulme  en  proye(i).  » 
Gatherine  en  ressentit  une  impression  terrible 
qui  avança  certainement  sa  fin,  car,  malgré  les 
dissensions  politiques,  elle  afTectionnait  particu- 
lièrement le  duc  de  Guise.  Dans  la  soirée  du 
même  jour,  le  cardinal  de  Lorraine  subissait  le 
sort  de  son  frère.  Deux  jours  passèrent  et  Gathe- 
rine alla  visiter  le  cardinal  de  Bourbon  dans 
rappartement  du  château  où  il  était  gardé  à  vue. 
Le  vieux  prélat,  en  une  scène  violente,  l'accusa 
injustement  de  la  mort  des  Guise.  La  reine-mère 
sortittoutémotionnéede  cetcntretien.  Enrentrant 
dans  sa  chambre  «  la  goutte  lui  remonta  »,  elle 
se  mit  au  lit  et  elle  devait  ne  plus  se  relever. 

(1)  BagueNault  de  Puchesse,  otzi».  cité,  p.  395,  note. 


292  CATHERINE    DE   MEDICIS 


A  ces  événements  sanguinaires  succédait  une 
vive  terreur  dans  la  ville  de  Blois.  Après  l'assas- 
sinat des  Guise  on  avait  remarqué  au  ciel  divers  % 
signes  de  mauvais  augure  :  «  Si  nous  ne  nous 
amendons  et  faisons  pénitence  de  nos  péchez  et 
iniquitez,  dit  une  relation  anonyme  du  temps, 
que  certainement  nous  voirrons  Pyre  de  Dieu 
nous  accabler  de  toutes  parts,  comme  nous  en 
avons  jà  veu  un  commencement  devant  nos  yeux 
en  la  ville  de  Bloys,  où  nous  avons  perdu  les 
deux  lumières  et  pilliers  de  nostre  France  (les 
Guises)  par  une  meschante  et  malheureuse  tra- 
hison, lesquels  nous  devons  bien  regretter  avec 
pleurs  et  lamentations.  Je  vous  jure  qiie  la  main 
me  tremble,  et  le  cœur  me  fond  en  larmes  en 
vous  recitant  ces  deux  vertueux  personnages. 
Messieurs,  prions  Dieu  qu'il  luy  plaise  de  nous 
amender  et  nous  amener  tous  à  pénitence  ;  car 
si  ne  nous  amendons  et  faisons  pénitence  et  nous 
convertir  à  Nostre-Seigneur  Jesus-Christ,  voyant 
les  signes  horribles  et  espouvantables  qui  se 
sont  apparuz  en  plusieurs  endroicts  de  nostre 
France,  et  principalement  sur  la  ville  de  Bloys; 
le  jour  de  Noël  dernier  tomba  un  flambeau  de 


CATHERINE    DE    MEDICIS  293 

feu  ardent,  lequel  se  perdit  en  un  instant;  puis 
le  jour  des  Sains-Innocents  aussi  enssuivant 
(28  décembre),  s'apparut  sur  les  sept  ou  huict 
heures  au  soir,  deux  hommes  armez  en  hlanc, 
ayant  en  main  dextre  une  espée  tranchante  en- 
sanglantée, lesquels  hommes  durèrent  peu  à 
l'œil  des  personnes  qui  estoient  là  à  les  regar- 
der, voulant  quasi  desmontrer  par  là,  la  mort  de 
quelque  grand  prince  ou  princesse  pour  mes- 
chancetez  et  trahisons  qui  s'y  sont  commis  depuis 
peu  de  temps  en  ça,  et  qui  tous  les  jours  s'y 
commettent  (i).  » 

Si  Catherine  eut  connaissance  de  cette  prédic- 
tion, cela   dut  encore   bouleverser   ses  esprits. 

(1)  Signes  merveilleux  apparuz  sur  la  ville  et  chasieau 
de  Bloys  en  la  présence  du  roy  et  Vassistance  du  peuple.  Ensem- 
ble les  signes  et  comètes  apparuz  près  Paris  le  douzième  de 
janvier  1589,  comme  voyez  par  ce  présent  pourtraict,  1589. 
(Sans  nom  d'imprimeur,  ni  indication  du  Ireu  d'impression, 
pp.  5  et  6.)  {Collection  de  Vauteur.)  Cette  brochure  rarissime 
a  été  réimprimée  à  un  petit  nombre  d'exemplaires  en  1876  à 
Lyon,  par  Louis  Perrin.  L'auteur  de  cette  prédiction  est 
sans  doute  Maistre  Pierre  de  la  Carquillarde,  médecin  et 
astrologue  natif  de  La  Roche-en-Savoy e  et  deumeur  à  Gyen- 
sur-Loyre,  astrologue  auquel  on  doit  le  Pronostique  et  pré- 
voyance des  choses  rares  et  est  ranges  demonstrées  par  les  corps 
et  influences  célestes,  desquelles  nous  sommes  menacez  dur  les 
années  1588  à  1590,  dédié  au  roy  de  France  et  de  Pologne  ; 
pet.  in-8  également  réimprimé  à  Lyon  par  Louis  Perrin 
en  1876. 


294  CATHERINE    DE   MÉDICIS 

Jour  par  jour,  son  mal  s'aggrave  ;  la  fièvre  se 
déclare  en  même  temps  qu'une  pneumonie  dont 
les  progrès  sont  rapides.  Selon  l'usage  de  l'épo- 
que, on  lui  fit  rédiger  son  testament  lors.! ce 
tout  espoirfut  perdu,  c'est-à-dire  le  jeudi  i5 jan- 
vier 1589  avant  midy.  Par  ce  testament,  elle 
léguait  la  majeure  partie  de  sa  fortune  à  Ghres- 
tienne  de  Lorraine,  sa  petite-fille,  mariée  à 
Ferdinand  P*"  de  Médicis,  grand-duc  de  Toscane 
et  fille  de  Claude,  septième  enfant  de  Catherine. 
«  ...  Et  pour  la  bonne  amitié  qu'elle  (Catherine) 
a  et  porte  à  Mme  Chrestienne,  princesse  de  Lor- 
raine, sa  petite-fiUe,  pour  l'avoir  nourrie  comme 
sa  propre  fille,  lui  a  donné  et  légué  sa  maison  et 
palais  qu'elle  a  en  la  ville  de  Paris,  apparte- 
nances et  dépendances  sur  la  moitié  de  tous  et 
chacuns  ses  meubles,  cabinets,  bagues  et  joyaux 
qu'elle  aura  et  se  trouveront  luy  appartenir  lors 
de  son  décès  (1).  » 

Cette  rédaction  terminée,  elle  demande  un 
prêtre,  Unjeune  abbé,  attaché  au  château,  vient 
et  reçoit  la  confession  de  l'agonisante.  Quand  elle 


(1)  L'Abbé  Chevalier.  Debîes  et  Créanciers  ;  Paris,  1867 
et  18G9  (note  2.)  Voir  aussi  Edmond  Bonnaffé,  Inventaire  de 
Catherine  de  Médicis  ;  Paris,  Aubry,  1874,  et  CAMrLLi:  Pjton, 
l^e  Quartier  des  Halles,  aux  pp.  79,  97  et  395, 


r 


CATIIEHINE    DE    MEDICIS  295 

eut  achevé  sa  confidence  suprême,  elle  pria  le 
prêtre  de  lui  dire  son  nom.  Celui-ci  déclara  se 
nommer  Julien  de  Saint-Germain,  confesseur  du 
roi  qui  l'avait  doté  de  la  riche  abbaye  de  Charlieu. 
Ah  !  mon  Dieu,  s'écria  Catherine,  Je  suis 
morte  !  Subitement  elle  s'était  rappelée  la  pré- 
diction de  Cosme  Ruggieri  qui  lui  avait  spécifié 
de  craindre  Saint-Germain.  Le  soir,  elle  expi- 
rait sans  grande  souffrance,  simplement  entourée 
de  ses  femmes  (i). 

Comme  elle  était  plus  crainte  qu'aimée,  c'est  à 
peine  si  Ton  fit  pour  ses  funérailles  la  cérémo- 
nie traditionnelle  de  l'exposition  du  corps.  «  Elle 
n'eust  pas  plus  tôt  rendu  le  dernier  soupir,  dit 
l'Estoile,  qu'on  n'en  fit  non  plus  de  compte  que 
d'une  chèvre  morte.  »  Et  Pasquier  mentionne 
que  :  «  Vrai  est,  n'ayant  été  bien  embaumée,  car 
la  ville  de  Blois  n'est  guère  fournie  de  drogues 
et  épices  pour  cet  effet,  quelques  jours  après, 
commençant  de  mal  sentir  depuis  l'a^^partement 
du  roy,  on  a  été  contraint  de  l'enterrer  en  pleine 
nuit,  non  dans  une  voûte,  pour  n'y  en  avoir  au- 


(1)  De  Thou,  édition  de  Londres,  t.  X,  p.  502  ;  Etienne  Pas- 
quier, 1. 1,  chap.  XII;  Mézeray,  Histoire  de  France  :  Jlenri  III  ; 
Abbé    Chevalier,  Debtes   et  Créanciers  ;  et  CJamii^le  Piton, 

p,  358. 


296  CATHERINE    DE    MÉDICIS 

cune  de  prête,  mais  en  pleine  terre,  tant  ainsi  que 
le  moindre  de  nous  tous,  et  mêmement  en  un 
lieu  de  l'église  où  il  n'y  a  aucune  apparence 
qu'elle  soit.  Misérable,  certes,  est  la  condition 
humaine  ! ...  » 

Trois  semaines  plus  tard,  un  prélat  de  cour, 
Regnault  de  Beaune,  archevêque  de  Bourges, 
prononça  sur  sa  tombe  l'oraison  funèbre  exigée 
par  les  convenances  (i),  cependant  qu'un  avocat 
du  parlement  de  Paris,  François  Méglat,  rédi- 
geait une  apothéose  ou  harangue  dans  laquelle 
il  eut  le  courage  de  dire  toute  l'admiration  que 
Ton  devait  à  la  défunte  (2). 

Mais  à  Paris,  le  P.  Gunicestre,  prédicateur 
en  renom  et  docteur  en  théologie,  ne  se  gêna 
pas  pour  dire  à  ses  auditeurs  :  «  qu'elle  avoit 
fait  beaucoup  de  bien  et  de  mal,  mais  encore 
plus  de  mal  que  de  bien  ».  Sur  quoi  il  conclut 
que,  comme  elle  avoit  fort  souvent  favorisé  l'hé- 
résie par  sa  politique  aussi  bien  que  par  ses  su- 

(1)  Oraison  funèbre  faicte  aux  obsèques  de  la  royne,  mère  du 
roi),  par.  Messire  Regnault  de  Beaune,  en  présence  du  roy, 
de  la  royne,  etc.  à  Bloys  le  III^  jour  de  Feuurier  1589,  in-8. 

(2)  Apothéose  ou  harangue  funèbre  de  la  royne  douairière. 
Plus  la  paranymphe  de  justice,  la  parfaicte  amitié  et  les  con- 
solations de  la  morte.  Par  F.  M.  (François  Méglat).  Paris, 
chez  Prenosteau,  1601,  in-12. 


CATHERINE    DE   MÉDICIS  297 

perslitions  et  son  commerce  avec  les  sorciers  et 
astrologues,  «  il  ne  sçavoit  vraiment  pas  si  l'on 
devoit  prier  Dieu  pour  elle  ». 

«  Je  vous  diray  pourtant,  ajouta  ce  prédica- 
teur, que  si  vous  voulez  bien  luy  donner  à  l'ad- 
venture,  par  charité,  un  pater  et  un  ave,  il  lui 
servira  toujours  de  ce  qu'il  pourra.  Je  laisse 
tout  cela  à  votre  liberté  (i).  » 

Les  seize,  dit  Félibien,  déclarèrent  hautement 
que  si  «  l'on  apportoit  son  corps  à  Paris  pour 
l'inhumer  à  Saint-Denis,  ils  le  jetteroient  à  la  voi- 
rie ou  dans  la  rivière  de  Seine  ». 


(1)  Michel  Félibien,  Histoire  de  Paris,  t.  II,  pp.  1175  et 
1176,  édition  de  1725. 

Nous  avons  une  relique  curieuse  de  Catherine  de  Médicis  : 
c'est  sa  jambe,  décrite  et  vantée  par  Brantôme,  et  qui  repose 
aujourd'hui  dans  l'une  des  vitrines  du  Musée  Tauet  à  Pon- 
toise.  Cette  jambe,  coupée  au  genou,  fut  recueillie  en  1793 
par  Bruley,  receveur  des  domaines  à  Saint-Denis,  lors  de 
la  violation  des  tombes  royales  par  les  hordes  révolution- 
naires. Complaisamment,  Mme  veuve  Tavet,  conservatrice 
du  Musée  de  Pontoise,  m'a  démontré  l'indiscutable  authen- 
ticité de  cette  curiosité  historique.  Ainsi,  cette  jambe  qui, 
au  dire  de  Brantôme,  était  d'une  finesse  et  d'un  ensemble  de 
lignes  admirables,  cette  jambe  qui  fut  la  première  en  France 
gainée  d'un  bas  de  soie  fin  et  bien  tiré  et  pour  l'exhibition  de 
laquelle  Catherine,  montant  à  cheval,  inventa  une  selle  mu- 
nie d'un  arçon  spécial  qu'utilisent  encore  nos  amazones 
modernes...  cette  jambe  n'est  plus  qu'un  débris  informe, 
noir  et  desséché.  «  Et  j'ai  pesé  dans  ma  main  la  cendre  des 
héros  »,  a  dit  Lamartine. 


298  CATHERINE    DE   rMEDICIS 

Devant  cette  haine  publique,  le  corps  de  Ca- 
therine, dans  son  cercueil  de  plomb,  devait  at- 
tendre durant  vingt  années,  près  d'un  pilier  en, 
l'église  Saint-Sauveur  de  Blois,  la  sépulture 
royale  qu'elle  avait  fait  édifier  sous  ses  yeux  par 
Germain  Pilon  en  la  basilique  de  Saint-Denis, 
lors  de  la  mort  de  son  époux  (i). 

Quant  à  Henri  III,  quoi  qu'en  pense  Bague- 
nault  de  Puchesse,  c'est  très  sincèrement  qu'il 
comprit  l'importance  de  cette  disparition.  Le 
19  janvier,  il  annonçait  en  ces  termes  la  mort 
de  sa  mère  au  marquis  de  Pisany  : 

«  Je  laisseray  ce  propos  des  affaires  publics 
de  mon  royaume  pour  vous  dire  l'affliction  par- 
ticulière de  laquelle  il  a  pieu  à  Dieu  me  visiter 
pour  la  perte  que  j'ai  faicte  de  la  feue  royne  ma 
dame  et  mère,  qui  passa  à  plus  heureuse  vie  le 
IIP  de  ce  mois  après  une  maladie  de  fièvre  et 
d'une  grande  defluxion  dans  l'estomac,  qui  luy 
avoit  duré  quinze  ou  seize  jours,  s'y  estant  en- 
cores  sur  la  fin  adjousté  une  pleurésie  ;  et  comme 
je  luy  estois  tenu  non  seulement  du  devoir  com- 


(1)  Lettres  de  Henry  et  Diane  de  Fiance,  duchesse  d'An- 
goulême,  relatives  au  transport  du  corps  de  Catherine  de 
Médicis,  du  château  de  Blois  à  labbaye  de  Saint-Denis, 
Archives  nalionales  :  K,  108  11°  lOé  ;  pièces  oris^inales. 


CATHERINE    DE   MEDICIS  299 

mun  de  la  nature  pour  n'avoir  mis  sur  terre, 
mais  de  tout  le  bonheur  que  j'ay  jamais  eu  en 
ce  monde,  aussi  le  deuil  et  regret  que  m'apporte 
la  privation  du  bien  de  sa  présence,  ne  reçoit 
en  comparaison  le  ressentiment  qui  suit  natu- 
rcllem^ent  la  perte  des  personnes  qui  attouchent 
de  semblable  degré,  pouvant  à  bon  droict  estre 
nommée  avec  le  tiltre  de  mère  du  roy,  la  mère 
du  royaume.  Telle  néantmoins  a  esté  la  volonté 
de  Dieu,  à  laquelle  il  me  fault  conformer,  comme 
je  le  doids  faire  en  toutes  choses  ;  et  m'asseu- 
rant  que  Sa  Sainteté  participera  à  mon  déplai- 
sir, tant  pour  la  bonne  volonté  qu'elle  me  porte, 
que  pour  le  respect  et  honneur  que  méritoit  de 
soy  une  si  grande  et  vertueuse  princesse,  vous 
tuy  donnerez  cest  advis  de  ma  part(i).  » 

Malgré  la  ligue,  malgré  l'assassinat  des  Guise 
et  la  part  active  que  les  agents  de  Philippe  II 
avaient  prise  au  mouvement  parisien,  le  roi  d'Es- 
pagne n'avait  pas  complètement  cessé  ses  rela- 
tions diplomatiques  avec  la  cour  de  France. 
Aussi  Philippe  II  envoya-t-il  ses  condoléances  à 
Henri  IIÏ,  dès  qu'il  apprit  la  mort  de  Catherine. 

(1)  Bibliothèque  nationale,  n.  acq.  man^  f.  fr  :  n°  2743,  et 
collection  Costa  de  Beauregard,  archives  de  la  maison 
î1'\ngennes,  citées  par  Bagiienfiult  de  Puchesse, 


300  CATHERINE    DE    MEDICIS 

A  cette  marque   courtoise,  Henri  III  répondit 
par  la  lettre  suivante  : 

«  Monsieur,  l'extrême  perte  que  j'ai  faicte  en 
la  mort  de  la  feue  roine  ma  bonne  mère,  vous 
sera  comme  je  m'aseure  en  l'âme  pour  la  proxi- 
mité qui  est  entre  nous  avecques  beaucoup  de 
desplaizir,  dont  je  ne  seaurois  que  ressentir  ceste 
obliguation;  car  comme  je  n'avois  ni  ne  sçau- 
rois  avoir  rien  de  plus  cher,  aussy  ressans-je  le 
regret  qu'il  vous  a  pieu  m'an  tesmoigner,  comme 
icy  dès  je  remettrai  doncques  à  ce  mien  se- 
crétaire d'Estat  nommé  Forget,  à  vous  déclarer 
plus  partyculièrement  comme  les  autres  affaires 
dont  je  lui  instruit  pour  les  vous  représenter  et 
antandre  de  ma  part.  Et  sur  ce,  je  prye  à  Dyeu 
vous  conserver,  Monsieur,  en  très  bonne  et  par- 
faicte  santé. 

«  De  Tours,  le  cinquième  jour  d'Avryl  1689 . 

«  Vostre  bon  frère, 

«  Henry  (1).  » 

Catherine  de  Médicis  laissait  plus  de  dix  mil- 
lions de  dettes,  et  les  contestations  qui  s'élevè- 
rent au  sujet  de  sa  succession  furent  si  nom- 

(1)  Archives  nationales,  K.  1578,  B.  66,  n»  72.  A.  {Négocia- 
tions France-Espagne)  5  avril  1589. 


CATHERINE    DE    MEDICIS  301 

breuses,  que  son  héritière  ne  put  jamais  entrer 
en  possession  des  biens  qui  lui  étaient  échus  (i). 


«  Que  malheureux  fut  encor  le  jour  que  telle 
royne  mourut,  écrit  Brantôme,  et  sur  le  poinct 
que  nous  en  avions  plus  de  nécessité  et  en  avons 
encor : 

Cette  royne  qui  fut  de  tant  de  roys  la  mère. 
Et  de  reynes  aussy,  ensemble  de  la  France, 
Mourut  lors  qu'on  avoit  d'elle  le  plus  d'affaire, 
Car  nul  qu'elle  n'a  pu  luy  donner  assistance  (2). 

Les  événements  se  pressaient,  en  effet  ;  et 
Catherine  mourut  juste  à  temps  pour  ne  pas  subir 
la  plus  grande  des  douleurs  que  le  destin  aurait 
pu  lui  réserver  :  la  chute  des  Valois  qu'elle  eût 
été  impuissante  à  éviter,  quoi  qu'en  dise  Bran- 
tôme. 

(1)  Arrêt  du  parlement  donnant  commission  aux  lieute- 
nants civil  et  particulier  du  Chàtelet  pour  faire  estimer  les 
livres  rares,  beaux  marbres  et  antiquitez,  bois  de  cèdre, 
pierres  taillées  estants  allentour  et  es  environs  du  chasteau 
de  Saint-Maur,  tous  objets  ayant  appartenu  à  Catlierine  de 
Médicls,  et  dont  le  prix  est  revendiqué  parles  créanciers  de 
ladite  dame  [Archives  nationales,  E.  l  B.  foi.  136  R.) 

(2)  Brantôme,  Vie  des  dames  illustres,  édition  Garnier 
frères,  pp.  98  et  100. 


302  CATHERINE    DE    MEDICIS 

Ainsi,  du  moins,  s'éteignit-elle  sans  avoir  vu 
mourir  une  politique  qui  avait  absorbé  toute  sa 
vie.  Mais  de  même  qu'elle  fut  frappée  à  sa  der- 
nière heure  par  l'étrange  coïncidence  qui  lui 
rappelait  la  funeste  prédiction  relative  à  Saint- 
Germain,  peut-être  aussi  se  rappela-t-elle  l'oracle 
du  miroir  magique,  annonciateur  de  la  catas- 
trophe qui  fit,  qu'à  sept  mois  d'intervalle,  toute 
son  œuvre  la  suivait  au  tombeau. 


CONCLUSION 


Lorsqu'un  historien  entreprend  l'étude  da  ca- 
ractère et  de  la  vie  de  Catherine  de  Médicis, 
môme  sans  parti  pris,  il  est  tout  disposé  à  la 
haïr.  Mais  à  mesure  que  cette  figure  se  révèle, 
se  précise  à  son  examen,  il  sent  en  son  for 
intérieur  la  diminution  du  premier  sentiment, 
qui  insensiblement  s'atténue  et  disparaît  même 
pour  céder  la  place  à  une  complète  admira- 
tion. 

C  est  que  dominée  par  le  désir  de  gouverner, 
Catherine  ne  fut  nullement  méchante  par  es- 
prit, et  qu'à  chacune  des  manifestations  de  sa 
cruauté,  comme  à  chacune  des  manifestations 
de  ses  étranges  croyances,  correspond  une  cir- 
constance politique.  Aussi  intrigante  que  diplo- 


304  .  CATHERINE    DE    MEDICIS 

mate,  elle  n'eut  jamais  de  plan  ni  d'opinion 
nettement  déterminés;  ses  pensées  comme  ses  | 
actions  variaient  et  changeaient  de  formes  selon  1 
le  cours  des  événements.  Et  c'est  pourquoi 
nous  la  voyons  tour  à  tour  indulgente  et  impla- 
cable, superstitieuse  et  incrédule,  catholique  et 
huguenote,  timide  et  astucieuse,  ïnais  toujours 
impénétrable  à  l'œil,  comme  elle  fut  impéné- 
trable à  la  discussion. 

Toujours  aussi  elle  a  redouté  les  humains  et 
redouté  l'avenir.  Et  l'on  peut  dire  que  deux 
siècles  avant  Vauvenargues,  elle  avait  établi  cet 
axiome:  «  que  l'on  doit  tout  attendre  et  tout 
craindre  du  temps  et  des  hommes  ».  De  là,  sa 
lutte  sans  trêve  avec  les  mystères  du  destin,  et 
sa  confiance  dans  les  oracles  rendus  par  ses  as- 
trologues et  magiciens.  De  là  aussi  son  atta- 
chement pour  certains  animaux  et  sa  foi  en 
l'influence  protectrice  des  talismans. 

De  cette  personnalité  dont  la  vie  fut  si  agitée, 
si  tourmentée  par  une  ambition  sans  borne, 
s'échappent  pourtant  des  qualités  incontes- 
tables denergie,  d'intelligente  finesse  et  de 
clairvoyance  qui  lui  permirent  de  ne  jamais 
craindre  ni  les  dangers,  ni  les  hazards  des 
combats  politiques  et  religieux. 


CATHERINE   DE    MEDICIS  305 

Catherine  de  Médieis  eut  aussi  des  sentiments 
artistiques  dont  nous  goûtons  encore  aujourd'hui 
l'heureuse  application  dans  la  construction  de 
plusieurs  chefs-d'œuvre  d'architecture,  qui  se- 
ront toujours  l'ornement  de  Paris  et  de  divers 
coins  de  France. 

Sa  cour,  qui  fut  la  plus  brillante  des  cours 
européennes  de  son  temps,  a  été  l'asile  des 
artistes,  des  savants  et  des  littérateurs  distingués 
de  l'époque.  Indépendamment  des  Baïf,  Dorât, 
Fionsard,  nombreux  sont  les  intellectuels  de  tous 
genres  qui  vécurent  de  la  munificence  de  Cathe- 
rine. 

Les  poètes  auxquels  elle  avait  accordé  ses 
largesses  ne  l'oublièrent  pas  après  sa  mort. 
En  une  épitaphe  composée  de  deux  quatrains  (i), 
l'un  de  ces  rimeurs,  avec  une  paisible  et  spiri- 
tuelle ironie,  a  résumé  les  principaux  actes  de 
ce  caractère  intrépide,  fantasque  et  fort  : 

La  reyne  qui  cy-gît  fut  un  diable  et  un  ange. 
Toute  pleine  de  blâme  et  pleine  de  louange. 
Elle  soutint  l'État  et  l'État  mit  à  bas  ; 
Elle  fît  maints  accords  et  pas  moins  de  débats. 


(1)  Notice  anonyme  et  sans  date,  de  VImprimerie  J.  Pinard, 
rue  d'Anjou-Dauphine,  n°  S  à  Paris. 

18. 


3Ud 


CATHERINE    DE    MEDICIS 


Elle  enfanta  trois  roys  et  cinq  guerres  civiles^ 
Fit  bâtir  des  chasteaux  et  ruiner  des  viles, 
Fit  bien  dé  bonnes  loys  et  de  mauvpis  édits... 
Souhaite-lui,  passant,  enfer  et  paradis  ! 


TABLE  DES  MATIERES 


% 


TABLE   DES  MATIERES 


Pages. 
INTRODUCTION .  9 

LA  STÉRILITÉ  DE  CATHERINE,  LE  DOCTEUR  JEAN  FER- 

NEL  ET   LES   BREUVAGES   MAGIQUES 26 

LES  ORACLES  ASTROLOGIQUES  DE  LUC  GAURIC  ET  DE 
NOSTRADAMUS,  MORT  DE  HENRI  II  ET  MORT  DE 
MONTGOMMERY 47 

LA  MORT  DE  FRANÇOIS  II,  LE    SACRE    DE    CHARLES    IX 

ET  l'astrologue  SIMEONI 400 

LE  MIROIR  MAGIQUE 125 

l'envoûtement  ET  l'assassinat  des  chefs  pro- 
testants  145 

l'envoûtement  de  CHARLES  IX  ET  COSME  RUGGIERI  171 
L  oracle    de    LA   TÊTE    SANGLANTE   ET   LA   MORT   DE 

CHARLES  IX 230 

AUTRES  FORMES  DE  LA  SUPERSTITION  DE  CATHERINE 

ET  INFLUENCE   DE   l'oCCULTISME    SUR   l'eSPRIT  DE 

SES   FILS -         242 

LES    PRÉSAGES   ASTRONOMIQUES    POUR   l' ANNÉE   1589 

ET    LA   MORT    DE    CATHERINE    DE  MÉDICIS.       .       .       .         288 

CONCLUSION 303 


t171^''-<. 


ACHEVÉ   D'IMPRIMER 
le  trenle  avril  mil  neuf  cent  onze 

P\R 

E.  ARRAULT  ET  O^ 

A   TOURS 

pour  le 

MERCVRE 

DE 

FRANCE 


â839 


Catherine  de  Médicis 

à  la  fin  de  sa  vie. 

{Sceau  A.  N.) 


University  of 
Connecticut 

Libraries 


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